Cannes Jour 2 - Image une

Journal d’un festivalier – Cannes Jour 2

Premier jour complet à Cannes. C’est le moment de reprendre les bonnes vieilles habitudes de journalistes peu consciencieux. Car oui, il en existe de deux types. D’une part, ceux qui se lèvent tôt pour assister aux premières projections de 8h30 afin de twitter le plus vite possible un avis que personne ne lit sur un film que nul ne verra avant longtemps – et encore, vu les derniers chiffres du box office, on pourrait presque gommer le « avant longtemps ». D’autre part, ceux qui commencent en se rendant sur la plage privée Nespresso pour un petit déjeuner offert sous un merveilleux ciel bleu les pieds dans le sable avant une projection plus tardive.

Nespresso plage - Cannes 2022

Nous faisons bien sûr parti de la deuxième catégorie et cela risque de continuer quelques jours encore. Donc 11h, direction la salle Debussy, la deuxième plus importante du festival qui accueille en général la sélection Un certain regard pour trois films qui s’enchaîneront : Corsage de l’autrichienne Marie Kreutzer, Plan 75 de la japonaise Hayakawa Chie et The Stranger de l’Australien Thomas M. Wright. Et, après un tour au marché du film, nous avons terminé la soirée en Corée avec Hunt de Lee Jung-Jae, plus connu en France sous le nom de n°456 (Squid Game pour ceux qui n’auraient pas la référence) qu’on a d’ailleurs croisé se faisant interviewer sur la terrasse des journalistes – de quoi rendre jalouses certaines personnes !

Corsage - Cannes 2022Vicky Krieps dans Corsage de Marie Kreutzer (Un Certain regard)

Rien de très français aujourd’hui si ce n’est Finnegan Oldfield (et encore…) en Louis Le Prince dans Corsage. Ce réel précurseur des images animées aurait, si l’on s’en tient à ce que le film montre, déjà eu dans les mains de la pellicule perforée 35mm en 1878. C’est dire si Marie Kreutzer prend quelques distances avec la réalité historique mais c’est probablement pour le mieux tant ses anachronismes – et ils sont nombreux : musicaux, narratifs ou autres – offrent une certaine poésie à l’ensemble. Elle dresse le portrait d’Elisabeth d’Autriche à l’opposé de ce que faisait Sofia Coppola pour Marie Antoinette, sans saturation de couleurs, de sucre et de plaintes mais avec une liberté totale de ton. Sa reine dépressive tente de se rebeller face aux conventions, elle triche, s’amuse quitte à s’oublier et rêve de bonheur et d’indépendance vis-à-vis des hommes en jouant avec la mort. Les personnages secondaires sont hauts en couleurs, le montage est dynamique même si l’ensemble reste longuet parfois mais l’excellente Vicky Krieps parvient à nous maintenir à flot.

Plan 75 - Affiche cannoise

À peine le temps de boire un verre en admirant les hauteurs du Suquet que Plan 75 débutait. Premier film d’une jeune cinéaste japonaise, Hayakawa Chie, il traite de thématiques contemporaines de façon originale et directe. Le ton est posé dès les premières minutes : le plan 75 propose dans un futur proche aux plus de 75 ans d’être euthanasiés pour endiguer le nombre de personnes âgées qui mettent à mal l’économie du pays. Et dans un monde où chacun est le fantôme de l’autre et où le travail brutalise les individus, ceux qui souhaitent réussir leur mort sont nombreux. La réalisatrice suit plusieurs parcours, vieillards se sentant exclus ou employés du gouvernement travaillant pour le Plan 75 et la première force du film tient au fait de ne pas juger de façon péremptoire mais de poser des questions aux réponses insolubles. Rien n’est tout blanc ou tout noir. À travers ce film, Hayakawa Chie évoque la disparition progressive de ce qui fait le ciment de l’humanité : le rapport à autrui et l’empathie. Tout tient aussi grâce à une superbe photographie et à une sobriété dans la mise en scène qui joue des regards caméras comme rarement tout en filant plusieurs thèmes sans jamais les lâcher.

The Stranger - Cannes 2022The Stranger de Thomas M. Wright (Un Certain regard)

Pour The Stranger nous n’avions pas de places, merci la billetterie ! Il a donc fallu attendre une heure en plein cagnard dans la file de dernière minute avec des employés qui semblaient eux aussi souffrir pas mal mais cela a payé. Heureusement le film de Thomas M. Wright est maîtrisé. Tiré de faits réels, il relate une affaire criminelle et de la manière dont le gouvernement a amené un suspect à révéler son crime. Polar ingénieux et glaçant, il s’ouvre sur des visions d’une Australie sauvage et lugubre qui cache des secrets en son sein avant de s’attarder sur des personnages marginalisés. Si le début surprend et laisse perplexe, petit à petit on découvre les tenants et aboutissants de l’enquête. La narration est dépourvue de linéarité, mélangeant les temporalités et il faut parfois s’accrocher pour suivre, ce qui risque d’en rebuter plus d’un. Un lien plus prégnant entre les éléments n’aurait pas été de refus pour assurer une cohérence plus forte. Pour autant ce rythme étrange intensifie l’angoisse générale, rend plus délétère encore la psychologie de personnages qui naviguent entre réalité et cauchemar. Quant à l’atmosphère générale, elle est juste glaçante. Pour ceux qui aiment les polars tortueux, Joel Edgerton et les belles images.

Hunt - Affiche cannoise

Enfin, Hunt de Lee Jung-Jae. Les films coréens des séances de minuit sont souvent violents et foutraques. Cela ne change pas cette année. On a eu droit à un film aussi bancal que jouissif qu’on est bien en peine de résumer tant il sombre petit à petit dans le n’importe quoi. Pourtant tout commençait bien : début des années 80, le régime en Corée du Sud change et le président-dictateur veut imposer sa loi. Débute alors une histoire d’espionnage entre Corée du Nord et du Sud avec – évidemment – intervention de la CIA. Les deux protagonistes, chefs ennemis de deux services de sécurité auprès du gouvernement, sont vite impliqués mais les rebondissements sont si nombreux que même un kangourou en serait jaloux et la dernière demi heure semble totalement sous acide. Si l’ensemble amuse c’est qu’on a l’impression que le scénariste a perdu les pédales et s’est dit que plus il y aurait de tirs, d’explosions, de sang, de morts et d’incohérences, plus ça permettrait d’oublier à quel point rien ne va. C’est d’autant plus vrai à minuit passé quand on en est à notre 4ème film de la journée.

Là encore, on observe une certaine cohérence dans l’ensemble à travers l’aspect labyrinthique et non linéaire des films, souvent décousus, parfois pour le meilleur et parfois pour le pire (ou le rire). Demain, la journée devrait être un peu plus française à Cannes !

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *