Pos Eso - Visuel Une

Cannes 2015, jour 5 : une journée animée… au Marché du film (mais pas que)

Cette journée, on l’a passée à arpenter le Marché du film de Cannes. Pour ceux qui ne connaissent pas, l’ambiance y est très étrange entre les jolies jeunes femmes au sourire éternel qui nous interpellent afin qu’on parle de leurs films (et c’est vrai que Mom, Tommy made a dinosaur ou Kill the dictator ont l’air passionnant) et ceux qui fuient, nous demandant de contacter quelqu’un qui jamais ne répondra à nos sollicitations. Heureusement, il existe un entre deux.

Mom Tommy Made a dinosaur

Et alors que le Pixar allait être diffusé le soir même, on s’est dit que ce serait intéressant de voir ce que proposaient les arcanes du festival. Cannes semble en effet encore allergique à la forme animée quand elle ne permet pas de déployer des stars sur le tapis rouge, et c’est donc naturellement qu’on est allé voir quelques producteurs ou distributeurs. La plupart des longs en compétition à Annecy en juin prochain y figuraient et on a pu en voir deux qui bénéficiaient d’un joli écho : Pos Eso de SAM, un film d’horreur espagnol en pâte à modeler, et The Case of Hana & Alice de Shunji Iwai, un anime très réaliste.
Pos Eso - Affiche anglaise
Pos eso était bien l’un des films les plus attirants du marché même s’il semble, malheureusement, passer un peu inaperçu. Le cinéma d’horreur espagnol est désormais célèbre, mais comme leurs longs métrages animés sortent difficilement chez nous, on connaît moins leurs réussites dans ce domaine. il y a deux ans O Apostolo en était une et aujourd’hui on se tournera allègrement vers le nouveau film de Sam, un animateur habitué à l’animation de genre, ce qui est assez peu courant pour être signalé. Pos Eso revendique clairement son côté parodique déjà présent dans le titre et ses influences cinématographiques, rejouant L’Exorciste comme Indiana Jones, Alien ou Poltergeist, dans un tohu-bohu aussi bon enfant que délicieusement gore. Au passage, il se moque de la société espagnole, de l’église catholique, de la tauromachie et de la course à l’argent. On apprécie le design des figurines pas trop lisses, carrés et dont on ressent la matière et l’idée, comme c’était le cas dans ParaNorman, d’avoir su entremêler stop motion pour les personnages « réels » et images de synthèse pour tout ce qui relève du surnaturel. Ce faisant, Sam distingue ainsi les deux mondes complémentaires à l’aide de techniques différentes, la première étant bien plus « terre à terre » que la seconde, plus volatile et aérienne.
The Case of Hana and Alice - Affiche japonaise
À côté, The Case of Hana & Alice est complètement différent. Il s’agit du premier long métrage animé d’un réalisateur connu pour ses films live. En 2004, Shinju Iwai avait déjà réalisé un film intitulé Hana & Alice, l’histoire de deux adolescentes. Aujourd’hui, il utilise le dessin pour faire le prequel de ce film qui relate la rencontre entre les deux meilleures amies aux univers opposés. L’histoire est simple, un shojo ordinaire, mais bien écrite. On peut supposer que l’utilisation de l’animation permet à Iwai d’éviter de prendre deux nouvelles actrices pour jouer les adolescentes tout en retrouvant quelque chose des deux héroïnes de son premier long. Le résultat est surprenant, loin d’être parfait mais on le lui pardonnera aisément. On sent dans sa mise en scène des mouvements de caméra parfois complexes, des plans, une manière de filmer les deux jeunes filles et les décors qui vient de la prise de vues réelles. Le rendu est de la 2D mais la conception est clairement de la 3D comme on le ressent dans les très beaux génériques de début et de fin. Iwai propose des choses qu’on voit peu dans l’animation japonaise commerciale, repensant les mouvements naturels pour les rendre les plus proches  du naturel sans pour autant tomber dans un hyperréalisme. Les lignes des corps sont plus fines que dans les animés habituels, les coloristes ont procédé a des aplats encore plus simples et la reconstitution des décors, bien qu’aquarellés et moins détaillés, offre un monde qu’on pourrait prendre parfois pour le nôtre. En somme, ce qu’on perd en texture, on le gagne en fluidité, permettant ainsi des déplacements nouveaux. Néanmoins, la technique trouve ses limites car cette mise en scène rapide, ces envies de ralentis ou d’accélérés, de même le rythme de marche des filles ne collent parfois pas au rythme global du film créant des impressions désagréables. Mais dans l’ensemble l’expérience est intéressante et à voir en ce qu’elle propose un renouvellement d’une forme que l’on pensait figée.
Vice Versa - Affiche France
En dehors de ces deux films, on a également pu assister au déferlement des grands studios US avec le nouveau Pixar. L’ambiance était cette fois différente avec une salle immense, comble et conquise d’avance. Et, sans être parfait, Vice Versa est clairement le meilleur long métrage de la boite de John Lasseter depuis Là-haut. Déjà, il ne s’agit plus d’une franchise comme Cars 2 ou Monstres Academy, et le scénario est vraiment original et ne ressemble pas à du Disney recyclé comme l’était Rebelle. On entre ici dans le cerveau d’une enfant qu’on va suivre jusqu’à ses 12 ans à travers les émotions par lesquelles elle passe. On sent derrière le film tout le travail de recherche par lequel les pontes de Pixar ont dû passer pour écrire le scénario ce qui permet au film d’avoir une vraie profondeur. Loin des gros clichés habituels, ils parviennent en fait à mettre en image tout le mécanisme de la pensée, ses différents niveaux pour un travail de vulgarisation impressionnant. Et surtout, on sent que Pete Docter s’est bien amusé avec sa nouvelle version de Renderman, le logiciel 3D qui accompagne le studio depuis 1988. Le travail sur les textures des personnages non humains est incroyable et ils ont réussi à leur conférer de véritables caractéristiques propres qui passent par des démarches et un mouvement singulier étudié d’un bout à l’autre pour donner à chaque protagoniste une véritable personnalité. Celle-ci ne passe pas tant par les voix ou les couleurs que par leur façon de se tenir et de se déplacer. Problème : à côté des émotions et de l’ami imaginaire, les humains, à l’apparence mi cartoon, mi réelle, passent pour de simple personnages secondaires tant ils sont banals. Côté histoire, on a quand même droit à tout le délire hollywoodien avec courses poursuites inutiles et passages pseudo-larmoyants obligatoires. Mais on leur pardonne tant le début et la fin sont juste brillants.
 
Si Cannes ce sont des films, ce sont aussi les personnes derrière ces films et on ne pourra pas terminer cet article sans évoquer une rencontre avec Valérie Schermann, productrice à Prima linea, la société qui a donné Zarafa et Peur(s) du noir notamment. Depuis presque deux ans maintenant, ils développent l’un des projets animés à venir les plus intéressants à savoir le premier long-métrage de Lorenzo Mattotti, célèbre dans le monde de la bande-dessinée et du dessin mais moins dans le cinéma, malgré sa participation au Pinocchio d’Enzo D’Alo comme concepteur des décors, et à Peur(s) du noir dont il a signé l’une des histoires. Celui-ci veut adapter l’un des classiques de la littérature italienne pour enfants : La Fameuse invasion de la Sicile par les ours de Dino Buzzati. Et alors que la famille de ce dernier a toujours refusé, à l’exception du Désert des tartares réalisé par Valerio Zurlini, de céder les droits des livres pour des adaptations, ils ont obtenu leur aval. Et ce qu’on a pu voir – un premier teaser terminé et quelques études de décors et de séquences – donne particulièrement envie : on y retrouve la touche colorée si singulière de Mattotti qui contrôle le projet d’un bout à l’autre et plaira certainement à ses fans. Le film, qui devrait être conçu en 3D stéréoscopique, a déjà les soutiens de Pathé et France 3 cinéma et on espère qu’il verra le jour autour de 2018. D’ici là, on va prendre notre mal en patience…
La fameuse invasion de la sicile par les ours
Demain, on retourne à la réalité avec quelques surprises… (à suivre)

 

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