Office - Cannes - Une

Cannes 2015, jour 6 : Petit périple asiatique

Si Cannes fait voyager dans des contrées reculées, c’est à la sélection Un certain regard qu’on le doit. Les films viennent des quatre coins du monde, souvent d’endroits dont on ne connaît pas le cinéma et la sélection nous invite à de vraies découvertes, à voir des choses qu’on ne verrait certainement pas autrement. Parmi les films proposés hier, on a eu un film Indien, Masaan, un film Philippin, Taklub,  et on a pu voir également un film coréen Hors compétition, Office (O Piseu).

Masaan

Masaan de Neeraj Ghaywan est l’un des deux films indiens en sélection pour Un certain regard avec Chauthi Koot de Gurvinder Singh, preuve s’il en est de l’essor d’un nouveau cinéma indépendant en dehors de Bollywood. Ici l’histoire était typiquement indienne : on suit deux récits qui finiront pas se croiser et s’entremêler. Le premier concerne une jeune femme qui décide de faire l’amour avant le mariage par pure curiosité et qui est rattrapée par les lois morales et la corruption policière qui gangrène l’Inde. Le second récit est celui d’un amour impossible entre une jeune femme et un homme de caste inférieure. Ce dernier veut changer de vie et obtenir un meilleur travail après ses études car pour le moment il exerce un métier traditionnel : il brûle les corps des morts sur les rives d’un fleuve selon des rites ancestraux. Évidemment, rien ne va dérouler comme voulu. On est dans l’antithèse de Bollywood qui s’acharne à montrer un pays comme étant le lieu parfait du bonheur total. Ici on est dans les rues, les quartiers pauvres et populaires, avec les gens qui vivent leurs codes, leurs lois, leur honneur qui brise les individus et les empêchent d’être libre. Ghaywan filme l’ensemble avec une dose de poésie appréciable et un léger côté mélo mais qui n’est jamais trop envahissant. Pour découvrir un autre versant d’un pays qu’on ne connaît que par ses clichés la plupart du temps, Masaan est le film idéal.
Taklub - Affiche Cannes
Passage ensuite par les Philippines. On l’avoue, avant Cannes notre connaissance de ce cinéma était des plus limitées. Et là en deux semaines, on a découvert deux films magnifiques. Le premier à Cannes Classics, Insiang, (voir notre article ici) et le second à Un Certain Regard donc. Taklub veut dire Piégé et est réalisé par le plus célèbre des cinéastes philippins actuels, Brillante Mendoza, déjà en sélection quelques années auparavant. Il revient avec un film aussi fort que beau, typique de son pays, notamment d’un point de vue religieux et social. Les habitants sont profondément catholiques et on le sent tout au long du film, dans les recours à la bible et les vies brisées des personnages qui se demandent comment réagir face aux catastrophes naturelles qu’ils subissent jour après jour. En effet, le film est à la limite entre documentaire et fiction. Une partie du pays a été ravagé par des typhons et tsunamis, détruisant un grand nombre de villages et de maisons et surtout tuant et emportant des milliers de personnes. Mendoza prend sa caméra pour filmer des personnages au jour le jour mais loin d’être un document sur l’état de son pays, c’est un film sur la difficile reconstruction de familles décomposées qui vivent sans savoir où sont leurs morts et s’ils auront un lendemain. Mendoza choisit quelques personnes, des acteurs sûrement non professionnels, pour leur faire réinterpréter des rôles qui collent à leur vie de tous les jours. Le procédé n’est pas nouveau mais il fonctionne parfaitement ici d’autant plus que la mise en scène, la musique et le montage sont puissants. On voit ces individus se réfugier lorsqu’un orage arrive, faire des tests ADN pour savoir si on n’aurait pas retrouvé un de leurs enfants disparus, vivre au jour le jour avec si peu, croire et essayer de remonter et de vivre, ce qui est la chose la plus délicate alors que le deuil est impossible et l’apocalypse sur le pas de la porte. Le film se clôt sur une citation du livre de l’Ecclésiaste qui résume le propos avec la plus grande simplicité : « Un temps pour tuer, et un temps pour guérir, un temps pour abattre, et un temps pour bâtir ; un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser ».
Office - Affiche Cannes
Enfin, on se sera déplacé en Corée pour une séance de minuit particulièrement réussie avec Office de Hong Won-Chan. Ici, on ne fait plus vraiment dans le « traditionnel » mais dans le thriller et la satire sociale, même si cette dernière est dénuée de toute dimension comique. La folie des entreprises est un véritable problème qui mène à des dépressions énormes et que le cinéaste rejoue à la limite de l’horreur. Tout se passe dans un bureau où les protagonistes deviennent malades à force de trop travailler et le film s’ouvre sur un des employés qui tue sa famille à coup de marteau suite à la pression qu’il subit. On est clairement dans la veine de tous les excellents thrillers Coréen récents avec un scénario très travaillé, sans incohérence. L’ambiance est bien amenée, lugubre et artificielle comme le sont les relations entre les personnages, et claustrophobe puisque quasiment tout le film se situe sur le lieu de travail. Le réalisateur va loin mais jamais il ne verse dans la surenchère et les effets grotesques. L’ensemble est efficace et hautement appréciable.
Demain, on parlera de cinéma français car oui, il le faut aussi ! (à suivre…)

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