Linda veut du poulet - Image une Cannes 2023

Cannes 2023 – Journal de bord d’un festivalier jour 4

Ce quatrième jour de Cannes 2023 aura été plutôt animé. Si d’ordinaire le long métrage d’animation est aux abonnés quasi absent, cette année sort quelque peu du lot avec 4 films, un à l’ACID (Linda veut du poulet de Sébastien Laudenbach), un en séance enfant (Robot Dreams de Pablo Berger), un en clôture (l’habituel Pixar) et un… sur la plage (Mars Express de Jérémie Périn). Espérons que lors des prochaines éditions, ils atteignent enfin la compétion. Un progrès notable a aussi été fait sur les courts métrages puisque sur les 10 films en compétition officielle, 4 sont animés. Une belle surprise mais, malheureusement, leur projection le dernier jour en séance unique, fait que nous ne pourrons pas y assister.

En attendant la projection presse dans une salle du palais de Mars Express, film de SF projeté les pieds dans le sable – avec le bruit des fêtes autour, les gens qui vont et viennent, parlent ou sont sur leur téléphone et potentiellement la pluie ! Bref très peu pour nous – concentrons nous sur les deux premiers. Le Pixar attendra une éventuelle projo de presse parisienne ou mieux sa sortie en salles.

Linda veut du poulet - Affiche

Deuxième long métrage de Sébastien Laudenbach, après le sublime La Jeune fille sans mains, déjà programmé à l’ACID en 2017, Linda veut du poulet est coréalisé par Chiara Malta, cinéaste davantage issue du documentaire. Le spectateur retrouvera le style ouvert et brut de La Jeune fille sans mains, cette fois plus maîtrisé mais tout aussi bariolé et vivant. Un dynamisme complété par la bande son avec des voix enregistrées sur le vif, dans des lieux similaires à ceux du film pendant plusieurs semaines. Le point de départ est simple : une fillette, orpheline de père et vivant dans une cité au milieu des HLM, est injustement punie par sa mère et lui demande en échange de cuisiner un poulet aux poivrons, spécialité du papa. Malheureusement, grève générale et aucun magasin n’est ouvert. Le réalisateur passe alors d’un conte réaliste à hauteur d’enfant à un univers comique et anarchique qui rappelle Tati par moment. L’ensemble est scandé par trois chansons, fait rare dans l’animation française. Elles offrent à chaque fois l’occasion de proposer des voyages expérimentaux réussis et adéquation avec le récit. En outre, chaque personnage est associé à une couleur et ces tâches multiples parsèment le film pour l’envoyer parfois vers une forme d’abstraction débordante d’énergie, toujours limpide et agréable. Et, si le film est aussi politique, ce n’est pas tant grâce à la grève – un truc d’adultes – mais parce qu’il est un hymne libertaire à la débrouillardise. D’abord tourné vers les enfants et leurs rebellions, Linda plie le monde pour l’adapter à son regard, le voir plus beau, plus léger, moins normé et statique. Linda veut du poulet est prévu dans les salles le 18 octobre prochain.

Robot DreamsRobot Dreams de Pablo Berger

Malheureusement, ce n’est pas le cas du film de Pablo Berger. Probablement sélectionné en ce Cannes 2023 pour avoir réalisé en 2012 l’excellent Blancanieves, le cinéaste livre avec Robot Dreams une gentille histoire de chien seul au monde qui commande un robot pour être son ami avant d’être contraint de l’abandonner sur une plage de New York pendant 8 mois. Une grille les sépare et le bonhomme métallique est blessé ! Du graphisme, cousin lointain de Futurama et du style Cartoon Network, à la poésie factice qui peine à émerger, rien n’a convaincu. Et ce ne sont pas les multiples références qui parsèment le film, à l’image de l’affiche du Yoyo (1964) de Pierre Etaix dans la chambre du protagoniste, qui changeront quelque chose. Il est loin du clown triste précité. Idem pour l’idée de de faire un film muet mais musical qui devient vite factice et forcée. S’affranchir de la barrière du langage est une des clés de voute du film. Du coup tout est sonore avec la volonté de faire avancer le récit par des chansons… chantées. Mais on a bien du mal à y croire. Qu’est ce qui empêche en effet les personnages de s’exprimer ? Difficile aussi d’entrer dans l’histoire, le rythme étant décousu. Lors du premier quart d’heure, les saynètes s’enchaînent rapidement avant que le récit ne se disloque et ne ralentisse. Les deux existences parallèles du chien en ville et du robot sur la plage sont trop déconnectées. Finalement assez lâche, le toutou se bât peu, passe sa vie à attendre et les solutions pour rejoindre le robot sont trouvées par d’autres. Quelques idées visuelles émaillent tout de même le film et amusent dans les rêves, à la manière du robot qui quitte l’écran par en dessous pour le retourner et revisiter Le Magicien d’Oz (1939). Mais, même là, l’effet est rendu prévisible par le format d’écran qui change brusquement d’un plan à l’autre. Reste la fin, douce, mélancolique et appréciable car peu conventionnelle dans ce type de film. Mais, ceux qui chercheraient une quelconque réflexion sur la solitude, le robot ou l’anthropomorphisme seront déçus. Mieux écrit, le film aurait pu donner lieu à un beau court métrage. Il n’en reste qu’un long anecdotique et bancal.

Portraits fantômesPortraits fantômes de Kleber Mendonça Filho

Le dernier film Cannes 2023 de la journée, Retratos Fantasmas (Portraits fantômes) de Kleber Mendonça Filho, nous permet en ce Cannes 2023 de poursuivre notre périple documentaire. Rarement nous n’en aurons autant vu ici. À croire que Thierry Frémaux, le grand manitou, cherche à transformer son image puisque, comme l’animation, cette forme est rarement mise en avant. Cette fois, le cinéaste brésilien auteur des Les Bruits de Recife (2012), Bacurau (2019) ou Aquarius (2016) dessine son histoire personnelle et celle de sa cité natale à l’aide d’archives, souvent personnelles, tournées ou photographiées dans tous les formats possibles et sur une soixantaine d’années voire plus. Le film sonne comme une déclaration d’amour à cette ville de bord de mer à travers les grandes salles de cinémas qui l’habitaient et des traces qui subsistent. Le mélange d’images est délicat, tendre, trace les contours de souvenirs qui s’imbriquent, s’effacent et reviennent et parlera probablement à n’importe quel cinéphile pour qui les salles ont eu une importance. Témoignage intime et universel, ces portraits sont le contrepoint documentaire d’Empire of Light de Sam Mendes : les bâtiments contiennent la mémoire de ceux qui y sont passés mais aussi des événements extérieurs. Et en contant la vie des films, des bâtiments, des spectateurs, il fait surgir des traces de l’histoire de son pays. Ce témoignage secondaire reste précieux car il met en scène des fantômes qui n’en sont jamais vraiment. Il disparaissent pour mieux ressurgir, même sous forme de ruines, et sont toujours présents quelque part comme l’évoque l’étonnante scène finale dans un taxi. Distribué par Urban Cinéma le 1er novembre 2023.

En ce lundi 22 mai, Cannes 2023 nous donnera l’opportunité d’un retour en Chine avec un polar à l’image du temps cannois et, après un passage par Almodovar, quelques mots sur la compétition avec le film de Jonathan Glazer.

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