Only the River Flows - Image une Cannes 2023

Cannes 2023 – Journal de bord d’un festivalier jour 5

La météo de Cannes 2023 (station très courue par les festivaliers depuis 5 jours)  nous annonce le dernier jour de pluie ! Dès demain les salles devraient donc se vider et nous permettre d’accéder un peu à ce que l’on veut. Et, après une socca matinale, ben direction les salles avec un premier film à l’image de la météo cannoise comme son réalisateur s’est plu à le faire remarquer.

Après le Wang Bing, on retourne en Chine avec Only the River Flows de Shujun Wei (Un Certain regard), un polar comme on en voit arriver de plus en plus dans le pays du milieu depuis quelques années. Dans la lignée du Lac aux oies sauvages (Diao Yinan – 2019) ou de Black Coal (Diao Yinan – 2014), il invente ses propres codes et s’attache davantage à décrypter la Chine contemporaine à travers des figures ambiguës plutôt que reprendre les codes occidentaux du genre. Années 90 : une pluie battante, une petite ville grise, une énorme usine, un meurtre mystérieux suivi d’un autre et, surtout, un commissariat soit-disant exemplaire, masque d’une dépression qui semble toucher chaque personnage, chaque décor. L’enquête en tant que telle est relativement simple et l’intérêt du film réside dans la manière de mettre en scène la noirceur humaine et les travers d’une société qui préfère mettre à l’écart plutôt que réunir. Tourné en 16mm, Only the River Flows marque par ses tons gris, lugubres, par une pluie omniprésente et son organicité qui tend vers le macabre en permanence, parfaite représentation d’un pays qui se débats dans ses contradictions, comme si personne ne pouvait véritablement exister là-bas. Tout bonheur est illusoire, et c’est bien le propos du film depuis la première séquence admirable où des enfants jouent aux gendarmes et aux voleurs dans un immeuble abandonné, jusqu’au cinéma fermé transformé en bureau pour les enquêteurs, toujours sur scène. Ils jouent autrement et évitent de se confronter au réel. Avortement, transsexualité, pression parentale et sociale, handicap, le cinéaste tourne autour de ces sujets sans les aborder de front : ils sont là, partie intégrante d’un monde qui peine à évoluer.

Plus coloré à défaut d’être plus joyeux : Strange Way of Life présenté en Séance Spéciales en ce Cannes 2023. Habitué du festival, Pedro Almodovar revient avec ce court-métrage d’une trentaine de minutes qui sortira en salle le 16 août prochain chez Pathé. C’est dire si on y croit chez le coq plus que centenaire. Interprété par Ethan Hawke et Pedro Pascal et produit par Saint-Laurent, la société de haute-couture ayant décidé de se lancer dans la production, le film se révèle anecdotique dans la filmographie du cinéaste, contrairement à son très beau court précédent, La Voix humaine. Ici, deux hommes, qui ont eu une histoire longtemps avant, se retrouve alors que l’un, shérif d’une petite ville américaine au temps du Far West, doit tuer le fils de l’autre coupable d’un crime. Le sentiment négatif est peut-être à la production. Réaliser un western propre et lisse, sans un grain de poussière ni une mèche rebelle et dans lequel même les tâches de sang sont des toiles abstraites est assez aberrant et il est difficile d’y croire. De plus, les romances dans les westerns sont rarement les éléments les plus intéressants et il n’est question que de cela ici. Pas sûr que le style si caractéristique d’Almodovar colle à ce genre, même si les jeux de couleurs sont une nouvelle fois incroyables.

Nous avons amplement préféré le nouveau film de Jonathan Glazer, cinéaste rare puisqu’il n’avait plus réalisé de long métrage depuis Under the skin en 2009. Si The Zone of Iinterest, présenté en Compétition officielle à Cannes 2023, est également un film de monstres, ils sont ancrés dans l’Histoire, bien plus réalistes et sa mise en scène quitte la chair et l’érotisme pour emprunter une voie plus proche de celle de la froideur clinique d’un Michael Haneke. Glazer évoque la vie quotidienne et familiale de Rudolf Höss, chef du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau dont le foyer était mitoyen au mur du camp, ainsi que son départ pour Oranienburg. Et après Occupied City, le film fleuve de Steve McQueen, Cannes 2023 montre que les cinéastes peuvent encore se renouveler lorsqu’ils parlent de la seconde guerre mondiale. Son film est une leçon de mise en scène autour du hors champ mais aussi de la distance et des paysages sonores. Si, au départ, tout donne l’impression de l’utilisation d’une nappe faites de bruitages indiscernables typique des films d’horreur, on s’aperçoit vite qu’il s’agit des machines du camp dont nous ne verrons rien, sauf quelques lumières glaçantes au milieu de la nuit. Pour éviter toute émotion, le cinéaste préfère les plans moyens ou larges, évitant de s’attarder sur les visages et regards des criminels pour les présenter comme une façade d’humanité derrière laquelle se cache le pire de ce dont l’humanité est capable. Le décalage entre le jeu des enfants, le jardin à cultiver ou les activités dans la rivière et ce qu’on sait, qu’on devine et qu’on perçoit est effroyable. Comme ces images glaçantes du camp actuel ou de caméra de vidéosurveillance qui viennent, étonnamment, rappeler le futur de cette Histoire, notre présent et le fait que tout ceci n’est pas juste un cauchemar.

The Zone of InterestThe Zone of Iinterest de Jonathan Glazer

Nous aurions bien vu le Todd Haynes mais les retards pris dans les projections – et l’incapacité du festival à gérer des foules et des horaires – nous en a empêché. Le film avait déjà commencé. Ce sera donc pour mardi, avec le nouveau Michel Gondry et Mars Express par Jérémie Périn et Laurent Sarfati, les deux auteurs à qui l’on doit déjà l’excellente série d’animation Lastman.

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *