Sans le vouloir, le Festival de Cannes 2023 pourrait aider à devenir scénariste de blockbusters en Corée du Sud et c’est Project Silence de Tae-gon Kim présenté en séance de minuit qui nous en a fait pleinement prendre conscience. Comme les récents Project Wolf Hunting (Hong-seon Kim – 2022), Dernier train pour Busan (Sang-Ho Yeon – 2016) ou Tunnel (Kim Seong-hun – 2016)– et probablement d’autres que nous n’avons pas vus – ce long métrage catastrophe repose sur une variation autour d’une même recette. À vous ensuite de choisir les ingrédients !
La recette :
- Prenez un lieu clos mais assez grand : un pont ici (bateau, train ou tunnel pour les autres)
- Un complot/une assise politique : un projet top secret, un homme cherchant à devenir président…
- Un groupe de personnages destinés à mourir avec quelques individus qui sortent du lot pour tenir une bonne partie du film. Par exemple un homme pragmatique et sa fille adolescente, deux femmes qui manquent de confiance, un gentil arnaqueur punk, un couple de vieillards.
- Un événement/monstre inattendu. Cette fois, une bande de chiens hargneux destinés à tuer (aucun spoiler ici c’est dans la bande annonce)
- Saupoudrez avec quelques drôles puis tendres, scènes d’action, vagues révélations intimes que le spectateur aura deviné depuis le début et un moment tire-larme.
- Une dernière séquence avec changement de personnalité ou libération du/des survivants.
- Un plan final qui laisse envisager la possibilité d’une suite.
Astuce : Tentez de modifier un de ces éléments à votre guise pour faire croire que vous êtes originaux.
Voilà. Bon courage. Cela sera sûrement du même acabit que les autres, tout le monde trouvera cela sympathique ou navrant mais vous serez devenus riches.
Maintenant voyageons un peu et revenons aux « vrais » films !
Cette année, la Mongolie était en compétition dans la sélection Cannes 2023 Un Certain Regard avec Si seulement je pouvais hiberner de Zoljargal Purevdash dont la sortie en salle est prévue pour le 28 décembre prochain chez Eurozoom. Première fois à Cannes pour ce pays dont les films s’exportent peu. Ces quinze dernières années, c’était via la caméra du cinéaste chinois Wang Quan’an qu’on l’avait surtout vu. Et, en dépit d’un certain classicisme formel, le long métrage était particulièrement réussi. À travers le portrait d’une famille pauvre ayant déménagé dans des bidonvilles proches d’Oulan-Bator, la réalisatrice dépeint le quotidien d’un adolescent fier et têtu qui pourrait changer son destin grâce à un concours de sciences physiques. De façon douce et touchante, sans jamais tomber dans un pathos dérangeant, le film évoque, en arrière plan, un pays et ses enjeux économique, sociaux et politiques actuels. En jouant sur les oppositions entre les espaces clos et étroits, pourvoyeurs de tensions et de chaleur et des lieux plus ouverts mais labyrinthiques et souvent froids, le film aborde la déforestation, la pauvreté insoluble, le déficit des soins, les prix élevés ou l’urbanisation démentielle à laquelle le gouvernement est incapable de répondre et qui entraine pillages et vols, familles décomposées ou alcoolisme… Étonnamment, ces éléments sont parfaitement intégrés dans un scénario intelligent où l’entraide entre les générations devient le moteur du récit.
Retour à la compétition de ce Festival de Cannes 2023 pour terminer avec la petite merveille du jour : Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismaki (en salle le 20 septembre chez Diaphana). Si, pour ceux qui connaissent le cinéaste finlandais, son film pourrait donner l’impression d’une variation sur un même thème, tant on retrouve les éléments qui caractérisent son style inimitable, cela va bien plus loin. En effet, il prend le contrepied des films actuels, souvent trop longs, aux récits alambiqués ou aux mises en scènes grotesques, pour tenter d’en offrir un condensé ou revenir à l’essence même du cinéma, au geste prêt, au mouvement premier. Ici, rien n’est de trop. Son film ne dure même pas 1h20 et c’est juste un mélo minimaliste doublé d’un bel hommage au 7ème art. « Juste » car il en reprend tous les stéréotypes narratifs : un homme, une femme, une rencontre, un problème, une résolution, une disparition, une résolution. Simple, efficace comme pour expliquer que ce n’est pas la conduite d’un récit qui fait le film mais sa forme.
De plus, en ce qui concerne Les Feuilles mortes, parler de minimalisme n’a rien de galvaudé : les acteurs sont souvent statiques, aucune musique hormis celle de la radio ou des bars, peu de dialogues donc aucun mensonge comme si les personnages ne pouvaient pas faire autrement qu’exprimer leurs pensées clairement, pas une scène de trop, peu de mouvements de caméra. Des psychologies d’une intense et remarquable naïveté. Un rapport au monde enfantin et brut. Et, comme toujours chez Kaurismaki, le rythme visuel passe par de savants jeux de couleurs, des traces rouges, bleues, jaunes parsemées dans chaque plan, dans des décors ou costumes eux aussi tournés vers une impeccable simplicité. Et un humour qui passe par un décalage aussi peu subtil qu’inattendu à la manière du premier rendez-vous des protagonistes devant un certain film de Jarmush, ou via l’achat d’une assiette. Tout est question de précision, rien ne dépasse et cela suffit à émouvoir, à rendre heureux comme si le rapport le plus direct, le plus simple aux choses restait le meilleur. Doux rappel… Et, comme chez Almodovar ou Sirk, c’est à travers cet aspect mélo que passe aussi quelque chose de politique : quelques mots à la radio sur l’Ukraine, un renvoi pour avoir dérobé un produit périmé, une allusion aux Lumières de la ville. Pas besoin d’en faire davantage, le message passe. Et la version des Feuilles mortes de Yves Montand en finnois est tout simplement sublime ! Rien que pour le Kaurismaki, ce festival de Cannes 2023 valait le coup d’en être.