Le Retour à la raison - Image une - Cannes 2023

Cannes 2023 – Journal de bord d’un festivalier jour 8

Depuis trois jours maintenant, Cannes n’en finit plus de se dessécher (mais pas le Festival de Cannes 2023) et de retrouver les couleurs qu’on lui connait. Ceux qui ne sont venus que les premiers jour doivent le prendre mal et ils ont bien raison. Nous en profitons pour continuer nos petits déjeuners en bord de plage avant de nous réfugier dans les salles pour des films moins longs mais tout aussi intéressants et bien plus expérimentaux. Après les 10h de projection en une journée pour 3 séances (cf jour 2) , aujourd’hui ce sera 3h45 pour un nombre de séance équivalent !

Retour à Un certain regard pour commencer avec l’unique entrée iranienne de ce festival de Cannes 2023, fait surprenant en soit par rapport aux autres années. Les Versets terrestres, qui sera distribué en salle par ARP Sélection, sont l’œuvre de Ali Asgari et Alireza Kathami, deux cinéastes déjà bien connus pour leurs courts métrages primés dans les plus importants festivals depuis une petite dizaine d’années. Alireza Kathami avait également réalisé seul le poétique et sensible Les Versets de l’oubli en 2018. Cette fois, ils reviennent avec une œuvre ancrée dans l’actualité politique et sociale de leur pays en réalisant un film-dispositif réussi. 1h15, 8 séquences et autant de plans fixes d’une dizaine de minutes. À chaque fois un homme ou une femme et un problème. La succession des plans est liée à l’âge des protagonistes qui progressent pratiquement par sauts d’une dizaine d’années du nouveau-né – représenté par son père – au vieillard. À chaque fois les personnages, souvent sur-cadrés et placés dans des lieux banals, magasins ou institutions, sont aux prises avec une autorité qui reste hors champ, comme pour entendre l’absurdité du monde sans la voir. Chaque séquence évoque un problème : l’impossibilité de choisir un nom, de s’habiller ou de se tatouer comme on le souhaite, l’hypocrisie sociale, l’incompétence de certains services, etc. La critique est limpide, exemplaire et elle fait mouche à tous les coups. En peu de temps, les deux cinéastes dressent un panorama, tantôt drôle, tantôt désespérant, du pouvoir politique en Iran de nos jours. Impressionnant !

Les Versets terrestres Les Versets terrestres de Ali Asgari et Alireza Kathami

Après Almodovar, c’est au tour de Pedro Costa et de Jean-Luc Godard d’être programmés l’un en séance spéciale et l’autre à Cannes Classics avec chacun un court métrage. Le cinéaste portugais présentait Les Filles du feu. Habitué aux plans séquences interminables, il a surpris avec un film annoncé comme durant 9 minutes. Comment allait-il parvenir à ses fins alors que c’est la moitié de la durée moyenne d’un de ses plans ? Simple : un triptyque en split screen. Deux parties fixes, la troisième sous la forme d’un long travelling. Dans chacun des cadres une fille en gros plan devant des lumières rougeoyantes rappelant des braises et des contrastes marqués. Chacune chante (des chants ukrainiens et la Passacaglia op.22 de Marini). En gros, il a fait un vidéoclip. Joli, sympathique mais on peine à comprendra pourquoi il faudrait crier au chef d’œuvre ou au génie alors que certains cinéastes font de même et sont critiqués pour leur « esthétique clip ». Intelligent, Costa a rappelé en préambule de la séance qu’il était difficile de réaliser un film court. Il a raison.

Les Filles du feuLes Filles du feu de Pedro Costa

Heureusement, Godard était là (même si mort depuis quelques mois maintenant) avec son Film-annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de guerres ». Créé peu de temps avant son décès, il a été coécrit par Nicole Brenez, Fabrice Aragon et Jean-Paul Battaggia. Il se propose à la fois comme un véritable film, composé essentiellement de photogrammes fixes, dessins, citations, et de quelques éléments enregistrés comme il avait pu déjà le faire dans ses Ciné-tracts en 1968, et comme la bande-annonce de quelque chose de plus important qu’il avait imaginé et ne fera jamais. Ce film est donc un entre deux, déjà de part sa durée : 20 minutes, mais également de part sa nature indécise mais non indifférente. Il devient ainsi un film politique sur le langage, comme souvent, réfléchissant la nature même du cinéma et du langage cinématographique mais également notre rapport au langage parlé et au pouvoir ainsi que notre manière de percevoir, monter ou créer des images. Godard semble finalement plus proche ici de l’animation, rappelant que le principe originel du cinéma n’est pas nécessairement de capter mais de s’amuser avec le mouvement, de coller, d’assembler, de créer des formes originales qui reconsidère l’illusion réaliste que tous semblent prôner.

Film annonce du film qui n'existera jamais - Affiche

Autre grand auteur, souvent mis de côté et oublié : Man Ray. Et avec lui, notre seconde et dernière séance Cannes Classics de l’année à Cannes 2023 puisque nous n’avons guère eu le temps d’en voir plus malheureusement. Si les rares œuvres cinématographiques de l’artiste d’abord dada puis surréaliste étaient assez simples à trouver en ligne, leur qualité laisse à désirer comme les musiques qui les accompagnaient. Heureusement, cette restauration réalisée à l’occasion du centenaire de son premier film vient palier à ce double problème. Intitulé Le Retour à la raison, ce programme réunit les quatre courts métrages du cinéaste-peintre-photographe (Retour à la raison, Emak Bakia, L’Étoile de mer et Les Mystères du château de Dé) et les proposent accompagnés d’une BO créée par Sqürl, le duo de Jim Jarmusch et Carter Logan. L’image est d’une netteté incroyable, plongeant le spectateur dans une forme d’étonnante léthargie sublimée par les nappes sonores aux accents post-rock. C’est ainsi que l’on suit les explorations abstraites du premier film, dans la veine de Richter ou Fernand Léger, avant de bifurquer sur le corps de Kiki mis en ciné poème par Robert Desnos avant de terminer sur une excursion aux allures cubistes dans la villa Noailles. Les amateurs d’un cinéma qui suggère et donne à rêver seront comblés, les autres, et bien tant pis pour eux.

Le Retour à la raison - Man Ray - Cannes 2023Jim Jarmusch et Carter Logan

Demain, pour le dernier jour de compétition de ce Cannes 2023 et avant la remise des premiers prix, nous reviendrons (plus ou moins) sur Terre avec Katell Quillévéré, Victor Erice et Wes Anderson.

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