Asteroid City - Image une Cannes 2023

Cannes 2023 – Journal de bord d’un festivalier jour 9

Et voilà, dernier jour cannois avant le palmarès officiel de cette édition de Cannes 2023 qui, comme chaque année – tradition oblige – verra les journalistes du monde entier fulminer contre le jury et la palme attribuée au mauvais film. C’est probablement à cela que servent les prix : faire en sorte que les critiques puissent critiquer, avant de recommencer l’année prochaine. En attendant, plusieurs prix ont déjà été décernés dans des sélections parallèles. Du côté de la semaine de la critique, c’est Tiger stripes d’Amanda Nell Eu, le seul que nous ayons vu, qui a obtenu le Grand Prix, et pour Un certain regard, la récompense principale va à How to Have Sex de Molly Manning Walker alors que le prix du jury est attribué aux Meutes de Kamal Lazraq, soit deux titres parmi les 5 auxquels nous avons pu assister.

Mais, avant la remise des prix, revenons sur les trois derniers longs métrages vus pendant le festival. Les deux premiers ont été présentés à Cannes Premières, cette mystérieuse sélection inventée voilà deux ans par Thierry Frémaux, dont il tente chaque année d’expliquer les tenants et les aboutissants. En vain.

Le premier, Le Temps d’aimer de Katell Quillévéré, est un film plutôt sympathique mais il repose avant tout sur l’écriture et l’interprétation, sa mise en scène étant d’une platitude absolue. 1947, une jeune femme interprétée par Anaïs Demoustier qui a eu une aventure et un enfant avec un officier nazi, rencontre un jeune homme plutôt riche interprété par Vincent Lacoste. On devine rapidement que ce dernier est plus attiré par les hommes que par les femmes et voilà que la cinéaste déroule la France des années 50 et 60 percluses entre des contradictions morales délicates et un désir d’émancipation réfréné, le tout du point de vue d’une famille petite bourgeoise. L’ensemble est linéaire, bien joué, sans accroc. La réalisatrice enchaine les effets attendus des premiers plans sur des images d’archives à la fin avec un départ en train qu’on a l’impression d’avoir déjà vu mille fois. Les amateurs de France 3 le dimanche soir adoreront, ceux qui en attendent un peu plus à Cannes 2023, beaucoup moins.

Le Temps d'aimerLe Temps d’aimer de Katell Quillévéré

S’en est suivi la projection de l’attendu Fermer les yeux (Cerrar los ojos) de Victor Erice. Le réalisateur espagnol n’avait plus réussi à tourner un long métrage depuis Le Songe de la lumière en 1992, c’est dire si son retour, à 82 ans, était inespéré. Cinquante ans après L’Esprit de la ruche, il retrouve d’ailleurs Ana Torrent dans une œuvre étonnante de 2h45 sur la mémoire, la vieillesse et le miracle du cinéma centrée sur la disparition d’un homme. Peut-être était-ce la fatigue qui nous gagnait mais la première partie nous a semblé à la fois belle mais éprouvante : interminables discussions en champs contrechamps, certes virtuoses, dans un cadre et des lumières magnifiques, mais longues. La seconde partie, en revanche, est ce que nous avons vu de plus beau cette année. Le style d’Erice est d’un classicisme absolu mais d’une maîtrise remarquable, la plus belle des leçons de mise en scène, et tout est en parfaite adéquation avec un récit autour des fantômes du cinéma. Le final, d’une simplicité et d’une douceur remarquables, ne pourra qu’émouvoir même le plus endurci des cinéphiles (et Dieu sait que l’on en croise de sacrés spécimens à Cannes).

Fermer les yeux Fermer les yeux de Victor Erice

Dans un style radicalement opposé, mais également réussi, nous sommes parvenus à nous incruster à la projection du film de Wes Anderson présenté en compet de ce Festival de Cannes 2023. Qu’en dire si ce n’est qu’Asteroid City est bel et bien un film de Wes Anderson. Les amateurs, dont nous faisons parti, adoreront, les autres détesteront. Le casting est encore une fois incroyable, avec de nombreuses apparitions de stars (Willem Dafoe ou Margot Robbie passent faire coucou pendant deux minutes). Seul petit bémol : il est incroyablement bavard et, au bout d’un moment, surtout subissant un flagrant manque de repos, cela peut devenir particulièrement pénible. Sinon, le cinéaste pose une pierre de plus à l’édifice qu’il construit depuis 20 ans, il s’amuse et nous amuse, allant lorgner vers la mise en abîme en surlignant l’aspect théâtral de son œuvre. Il fait de la cité des astéroïdes à la fois le décor imaginaire d’une pièce en train d’être inventée en noir et blanc, avec tous les soucis inhérents à la création artistique, mais aussi le lieu de son film qui se déroulent dans des couleurs chatoyantes. Il prend le prétexte d’un concours scientifique pour évoquer des thèmes forts comme l’enfance, la dépression ou la mort avec une touche de magie qui donne l’impression que tout pourra toujours être surmonté. Son imaginaire incroyable est ici ancré dans l’Amérique profonde des années 1950 et dans la SF de l’époque dont il s’amuse des conventions en particulier avec un extra-terrestre parmi les plus beaux que l’on ait vu depuis Mars Attack (1996) de Tim Burton !

Asteroid City - Affiche

Finalement, en repensant aux films vus à Cannes 2023 cette année, la thématique récurrente, notamment chez les cinéastes qui ont dépassé la cinquantaine, semble être le recours au cinéma, à sa magie comme à ses mystères pour panser les maux du monde, rejouer une innocence perdue et espérer un futur plus beau. Comme une suite entrevue en début d’année avec Babylon, The Fabelmans et Empire of Light. Quoi de mieux en fait ?

Palmarès de la sélection Un certain regard 

Prix Un Certain Regard
How to Have Sex réalisé par Molly Manning Walker

Prix de la Nouvelle Voix
Augure réalisé par Baloji

Prix d’Ensemble
Crowra (La Fleur de Buriti) réalisé par João Salaviza & Renée Nader Messora

Prix de la Liberté
Goodbye Julia réalisé par Mohamed Kordofani

Prix de la Mise en Scène
Asmae El Moudir pour Kabid Abyad (La Mère de tous les mensonges)

Prix du Jury
Les Meutes réalisé par Kamal Lazraq

Palmarès de la Semaine de la critique

Grand Prix
Tiger Stripes d’Amanda Nell Eu

Prix French Touch du jury
Il pleut dans la maison de Paloma Sermon-Daï

Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation
Jovan Ginić pour Lost Country de Vladimir Perisic

Prix Découverte Leitz Cine du court métrage
Boléro de Nans Laborde-Jourdaa

Prix Fondation Gan à la Diffusion
Pyramide Films pour Inchallah un fils de Amjad Al Rasheed

Prix SACD
Iris Kaltenbäck, autrice de Le Ravissement

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