Chris the Swiss – Rencontre avec Anja Kofmel

Présenté au festival de Cannes 2018 à la Semaine de la critique, Chris the Swiss d’Anja Kofmel est une enquête personnelle sur les circonstances mystérieuses entourant la mort de Christian Würtemberg, jeune journaliste retrouvé tué en 1991 pendant les conflits en Ex-Yougoslavie après avoir rejoint une dangereuse milice. La réalisatrice n’est autre que la cousine de Chris. Pour mettre en forme ses recherches, elle a choisi un genre cinématographique qu’on voit de plus en plus en festivals et maintenant en salles : le documentaire animé. On l’a rencontré pour en savoir plus.

Chris the Swiss - Affiche Cannes 2018

Digitalciné : Qu’est ce qui vous a amené au cinéma d’animation puis à vouloir réaliser un documentaire animé ?

Anja Kofmel : J’ai toujours dessiné, fait de l’illustration et en même temps j’étais attirée par le cinéma avec son rythme, son mouvement. J’ai fait une école d’animation en Suisse mais j’ai eu un moment de crise. Animer c’est souvent être seule à sa table, dans une pièce et j’avais besoin de voir des gens, de sortir. En plus, j’ai toujours aimé le documentaire. Quand j’ai voulu raconter l’histoire de Chris, j’ai donc eu envie faire un documentaire mais je ne suis pas journaliste. Par contre, Chris est mon cousin et je me suis dit que je pourrais essayer de comprendre ce qui lui est arrivé avec ce point de vue, plus subjectif. Et ça me paraissait logique d’entremêler animation et documentaire. J’avais vu Valse avec Bachir d’Ari Folman et Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud et ces films m’avaient fait comprendre qu’on pouvait faire autre chose avec l’animation.

DC : Vous aviez déjà parlé de Chris en 2009 dans votre film de fin d’études, Chrigi.

AK : Oui mais je n’avais utilisé que l’animation. Et j’étais restée sur le regard de la petite fille que j’étais lorsque Chris est mort sans aller vers la guerre et sans enquêter sur le mystère lié à son décès.

DC : Comment avez-vous commencé la production de ce documentaire animé ?

Anja Kofmel : Les producteurs sont arrivés tôt, vers 2011. J’ai d’abord rédigé un dossier normal en présentant le film comme un documentaire. L’idée d’entremêler les images réelles et l’animation était juste un concept, encore assez peu concret. Puis avant d’écrire le scénario j’ai fait beaucoup de recherches. J’ai commencé à interviewer les personnes qu’on voit dans le film, à les filmer car j’avais peur que si je ne le faisais pas à ce moment-là, ils n’accepteraient pas une deuxième fois. Et puis je trouvais important de m’exposer dans le film, c’était ma recherche. J’ai tendance à être un peu nerveuse naturellement et je voulais aussi retrouver ça dans le film. Puis j’ai transcrit ces interviews et j’ai commencé à écrire un scénario.

DC : Le producteur venait du documentaire ?

Anja Kofmel : Oui, le premier producteur n’avait pas fait de films d’animation et ça a pu être problématique au début car il y avait peu de longs-métrages documentaires avec de l’animation. Cette année à Cannes on en a vu 4 mais à cette époque, il n’y en avait quasiment aucun. Ça a été compliqué de persuader producteurs et financiers. Le plus difficile a aussi été de faire comprendre aux producteurs de l’animation qu’on ne planifie pas un documentaire de façon trop précise et aux producteurs venus du documentaire que, au contraire, l’animation a besoin d’une organisation très en amont et très précise. Au début, la production poussait aussi toujours un peu vers le documentaire car c’est moins cher !

Anja Kofmel
Anja Kofmel ©Urban Distribution

DC : Comment avez-vous mené votre enquête ? Que saviez-vous de Chris ?

Anja Kofmel : Je disposais des notes de mon cousin et j’avais collecté les articles écrits sur le sujet à cette époque, je savais qui les avait écrits. Puis je savais qu’une délégation de Reporters sans Frontières était allée enquêter après la mort du second journaliste en 1992. Ils n’avaient rien trouvé mais j’avais de quoi débuter mes recherches. J’ai aussi appris sur internet qu’un projet américain était en préproduction, et qu’il parlait de la brigade de Chris. J’ai pris contact avec le studio pour faire un stage chez eux et ils m’ont dit qu’ils étaient bloqués niveau budget. Par contre, ils m’ont envoyé le scénario pour que je puisse le lire et il était signé Eduardo Rozsa-Flores, celui qui avait créé le groupe paramilitaire dans lequel Chris s’était engagé. Une des scènes parlait de Christian Würtenberg mourant dans les bras de Rozsa-Flores, donc s’il avait conservé le nom de mon cousin, je me suis dit que ce devrait aussi être le cas des autres. Et j’ai pu les retrouver.

DC : La brigade était composée d’individus dangereux. Tout le monde a accepté ?

Anja Kofmel : Non bien sûr. Tout le monde n’a pas voulu être filmé. J’ai rencontré plus de personnes que ce qu’on voit dans le film. Parfois on avait pris rendez-vous et ils ne sont pas venus. Mais dans l’ensemble ça a été. Peut-être que le fait que je sois de la famille, que cherche des réponses concrètes sans intenter un procès ou les attaquer, a aidé. Certains n’ont fait que cette guerre-là et n’étaient pas des miliciens professionnels. Ils ont aussi perdu des proches pendant les combats et ils ont accepté de m’aider, de me livrer des informations pour que je ne reste pas sans savoir.

DC : L’animation est venue ensuite ?

Anja Kofmel : Oui je m’étais occupée de la création graphique, des personnages mais j’ai collaboré avec le chef du département animation et le chef du département décor pour rendre mes croquis adaptables en animation. C’était important qu’on reconnaisse Chris donc on est allés chercher ses caractéristiques physiques et on a réduit les traits à l’essentiel pour que l’animation soit plus simple et moins chère.

DC : Pourquoi le choix du noir & blanc ?

AK : Je dessine souvent en noir et blanc et c’est une esthétique qui me semble intéressante par rapport à la question de la mémoire. Elle se disperse avec le temps, ce qu’on perçoit avec l’absence de couleurs. Et ça me permettait de reconstruire l’histoire de Chris en noir & blanc tout en interposant cela avec la couleur dans les scènes contemporaines.

J’ai aussi cherché à utiliser l’animation comme un outil de reconstitution. Je ne voulais pas représenter par le dessin les personnes que j’ai retrouvées et qui ne voulaient pas apparaître à l’écran. Pour la partie documentaire je pense que c’était plus intéressant de voir les personnages, leurs expressions, leur façon de s’exprimer. Avec l’animation, on perd ça et on perd aussi de nombreuses informations. Je pense, par exemple, que dans Valse avec Bachir les scènes avec les personnages sur une chaise en situation d’interview sont moins fortes, même si je sais qu’il a dû le faire car eux ne voulaient pas qu’on les voit. À mon avis, le mélange animation et prise de vues réelles convient mieux.

Chris the Swiss

DC : Vous l’avez dit, vous n’êtes pas journaliste. Comment avez-vous procédé pour ne pas tomber dans l’hagiographie de votre cousin ?

Anja Kofmel : Mon objectif était vraiment de comprendre et d’essayer d’être honnête. Il reste toujours une part de subjectivité mais j’avais envie de savoir qui était cet homme que je n’ai connu qu’enfant et dont l’histoire a marqué mon existence. Il fallait donc une distance. Et puis, pendant la préparation et le tournage, je me suis aperçue qu’en parlant du film je disais toujours : Chris et Anja. Je ne m’incluais pas avec un « je » mais je devenais un personnage comme les autres. C’est important car j’aurais été incapable d’écrire en m’incluant trop.

DC : Comment avez-vous travaillé le son ?

Anja Kofmel : C’est un point très important. Le rôle du son devait assurer une certaine fluidité au film. Dans l’animation, il n’y a pas de son comme dans le documentaire, souvent tout est symbolique et il faut tout inventer. Il fallait donc trouver des sons et en même temps travailler avec les sons de ce que j’avais filmé. C’est le même ingénieur du son qui a tout fait et il ne venait pas de l’animation, il avait juste travaillé sur un court-métrage animé auparavant donc c’était nouveau pour lui. Chris the Swiss a été sa première véritable création d’un monde sonore. Au début ça a été un peu compliqué mais il a finalement adoré car c’est très créatif et qu’il a pu expérimenter sur le son. On a même réalisé un mix en Dolby Atmos. Je ne sais pas s’il sera beaucoup projeté ainsi mais c’est impressionnant. Idem pour la musique, j’ai choisi un musicien qui fait de l’électro et qui utilise les bruits. Je voulais par exemple que la musique commence avec un rythme qui pourrait ressembler à de simples sons puis qu’elle devienne peu à peu plus mélodique.

DC : Comment le film a été reçu dans dans les Balkans et par votre famille ?

Anja Kofmel : On a quelques problèmes pour sortir le film en salle en Croatie. Il est passé dans plusieurs festivals, comme Animafest à Zagreb, et il a été plutôt bien reçu mais je pense que les gens qui se déplacent en festival sont plus ouverts. J’ai aussi eu la chance de pouvoir le présenter au Festival du Film de Sarajevo. En général le public pose des questions plus critiques qu’en France ou en Suisse mais ça permet d’engager des discussions et c’est intéressant.

Pour ma famille, je m’étais mis d’accord avec eux dès le début. Je voulais qu’ils me laissent faire. Je ne savais pas ce que je trouverais et ça aurait pu être des choses qu’ils ne voudraient pas que je montre mais tant pis. Ils ne sont pas intervenus pendant la fabrication du film, ils ne l’ont vu qu’une fois terminé.

Christian Würtemberg
Christian Würtemberg

Merci à Anja Kofmel et à Rachel Bouillon.

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