Valérie Kaprisky - Image une interview

Rencontre avec Valérie Kaprisky

À l’occasion de la sortie en Blu-ray de À bout de souffle, made in USA (1983) chez l’éditeur BQHL, notre compère et ami Didier Verdurand s’est demandé si on ne serait pas intéressé par une interview avec Valérie Kaprisky pour qui ce film de Jim McBride avait véritablement lancé sa carrière. Pour être honnête, on n’a pas réfléchi bien longtemps tant l’actrice de La Femme publique d’Andrzej Żuławski, L’Année des méduses de Christopher Frank, tous deux sortis en 1984, mais aussi du moins connu mais très réussi Milena (1991) de Véra Belmont, a véritablement marqué de son empreinte les boomers que nous sommes mais aussi le cinéma français de cette époque qui n’a malheureusement pas su par la suite reconnaitre ce talent à sa juste valeur. Qu’à cela ne tienne pour cette actrice qui n’a jamais baissé les bras et qui vie aujourd’hui de sa passion au théâtre, à la télévision et même au cinéma. Elle laisse entrevoir ici une personnalité touchante, attachante et qui ne regrette rien. SG

Didier Verdurand : C’est le Festival de Cannes qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

Valérie Kaprisky : J’ai grandi à Cannes en effet et ça a forcément joué mais il y avait aussi un artiste dans ma famille, mon oncle, qui était chorégraphe, prof de claquettes – notamment de Jean-Pierre Cassel et Julien Clerc – et qui avait été le secrétaire personnel d’Aznavour surtout pendant les années américaines. Je regardais énormément de films américains avec mon père mais je ne voulais pas travailler dans le cinéma. Je voulais être interprète ou traductrice. J’adorais apprendre des langues et j’étais assez douée pour ça. Et puis, comme mon père n’a pas voulu que j’aille dans un certain lycée où on pouvait faire trois langues, j’ai décidé de partir faire ma terminale à Paris au lycée Victor Hugo, rue de Sévigné, et je traversais le pont Marie pour aller au cours Florent, qui était à l’époque sur l’île Saint-Louis, quai d’Anjou. J’habitais une chambre de bonne dans le 15ème…

Et vous voilà dans un premier film, Les Hommes préfèrent les grosses (qui sort en Blu-ray chez Rimini le 18 mars 2025 / NDLR) !

J’avais deux phrases à dire, mais je m’en souviens encore, j’avais tellement eu peur de les oublier ! « Elle est dans la salle de bain » et « C’est quoi la petite salade gourmande ? » (rires). Pour la petite histoire, Dominique Besnehard était le directeur de casting et des années plus tard, il est devenu mon agent…

A bout de souffle, made in USA - Jaquette Blu-ray

Comment avez-vous atterri sur À bout de souffle, made in USA ?

Je venais d’avoir un agent, Myriam Bru, et elle a appris que les Américains cherchaient l’actrice principale du remake du film de Godard. Quelques mois auparavant, j’avais énormément travaillé pour un film et j’avais vécu ma première désillusion professionnelle parce que suite à un changement de metteur en scène, j’avais perdu le rôle, alors que j’avais déjà signé mon contrat. J’étais tellement dégoûtée du haut de mes 18 ans. J’avais tellement pleuré… Je me suis donc présentée au casting de Breathless parmi des centaines de candidates, sans m’emballer car je voulais me protéger d’une nouvelle désillusion. À l’époque, j’avais besoin de croire en mon métier, j’avais besoin de croire dans l‘être humain, de rester positif, optimiste, etc. Donc j’étais hyper décontractée au casting, cool, professionnelle, sympa, mais détachée… et sans connaître mon texte car c’était une « Reading » et je ne savais pas que ce n’était pas une lecture proprement dite, c’est une scène que tu joues en jetant un œil parfois au texte. Mais ils me trouvent fantastique, me demandent de revenir le lendemain en connaissant le texte. Je leur ai plu.

A bout de souffle, made in USA - Photo

C’était en présence de Richard Gere ou Jim Mc Bride ?

Les deux, avec le producteur aussi. Richard Gere était là, il donnait la réplique à toutes les candidates. C’était extraordinaire. Il y avait de quoi être intimidée parce qu’il était déjà très connu, American Gigolo avait fait de lui une star. Mais je m’étais refusée d’être impressionnée pour ne pas être déçue si ça ne marchait pas. Et en réalité c’est à Los Angeles, au studio Zoetrope quand je me suis retrouvée dans le décor, que je me suis mise à trembler… Suite à un screen test, on m’a dit que c’était bon. Le producteur qui avait été l’imprésario de Barbara Streisand m’avait dit, écoute, tu fais ta valise pour deux mois ou une semaine. Soit tu restes une semaine si ça marche pas, soit tu restes avec nous pour deux ou trois mois. Parce qu’en fait, c’était un mois avant le tournage et j’ai vécu une préparation intense quand même parce que j’ai dû apprendre à conduire. J’ai passé mon permis de conduire là-bas avant de le passer en France parce que je devais conduire dans le film. J’ai pris des cours d’anglais, j’ai eu une coach qui m’a suivie sur tout le tournage. Et puis je me préparais, j’apprenais mon rôle, mon texte. Au début, ils m’avaient logé au Château Marmont, qui est pour moi un hôtel mythique et qui me rappelait tellement la première chanson du premier disque que j’avais acheté. C’était Hôtel California des Eagles. Puis sur leurs conseils j’ai ensuite loué une maison sur les collines d’Hollywood, à Laurel Canyon, ce qui m’a permis aussi d’accueillir un peu ma famille qui venait me rendre visite. À la fin du tournage, on y a fêté mes 20 ans.

Que pensiez-vous du À bout de souffle de Godard ?

À cette époque, je ne l’avais pas encore vu. J’avais plus une culture cinématographique anglo-saxonne que française. Peau d’Âne de Jacques Demy était alors mon film culte français. À bout de souffle, je l’ai vu après le tournage et j’ai trouvé que les deux films n’avaient pas grand-chose à voir et que ça avait plutôt desservi Breathless qu’on le présente comme un remake. C’était plus un hommage de Jim Mc Bride à Godard. Il faisait partie de cette nouvelle mouvance de metteur en scène qui était très admiratif de La Nouvelle Vague et en fin de compte, c’est vrai que le metteur en scène a apporté sa signature personnelle parce que c’est un film plutôt arty. Jim McBride était très féru d’architecture, de l’univers de la bande dessinée, de rock’n’roll, Jerry Lewis, tout ça. Donc, je pense qu’au final, enfin, surtout en France, ça l’a desservi parce que les gens ont un peu crié au scandale. « Oh là là, il ne faut pas toucher à Godard, il ne faut pas faire de remake de Godard ! »  Aux Etats-Unis, il a bien marché à sa sortie et au fil du temps il est devenu culte. Je n’arrête pas de répondre à des interviews de gens qui sont fans et j’ai appris que c’était un des films préférés de Quentin Tarantino. L’affiche de Breathless est en grand dans le hall de son cinéma, le New Beverly.

La Femme publique - Affiche

Vous avez vite enchainé avec La Femme publique

J’ai fait le doublage de Breathless en français avec Lambert Wilson qui préparait La Femme Publique. Je crois que c’est lui qui a parlé de moi à Zulawski, qui a vu le film. J’ai appris mon métier sur La Femme publique. Sur l’expérience américaine, j’étais dans la spontanéité, dans une forme naturelle. Alors qu’avec Zulawski, tout est au contraire hyper fabriqué. Moi, je n’avais pas une once d’hystérie. Donc la jouer c’était pour moi quelque chose de très nouveau. Je considère Zulawski comme un immense directeur d’acteurs. C’est vrai qu’il vous pousse, il va extraire vraiment l’émotion la plus intense qui soit. Il faisait énormément de prises. En plus à l’époque, c’était de la péloche, c’était pas du numérique !

L'Année des méduses - Affiche

Comment avez-vous vécu la sortie ?

Je me suis retrouvée du jour au lendemain à moitié nue sur une affiche. Déjà le choix de l’affiche, bof quoi, je me suis dit « Merde mes parents vont me voir placardée partout, poitrine nue ?! »  J’étais un peu vexée, ça c’était de l’ego mal placé d’une jeune comédienne qui veut être prise au sérieux. J’étais un peu vexée parce que les gens retenaient surtout la nudité et pas tellement la performance d’actrice. Sauf pour la profession, où vraiment j’ai reçu de la reconnaissance puisque j’ai été nommée au César de la meilleure actrice. Je ne l’ai pas eu mais c’était très gratifiant, surtout aussi jeune. Sur Breathless, j’ai très très bien vécu toutes les scènes d’amour parce que je trouvais qu’elles étaient justifiées par rapport au fait qu’on raconte une passion amoureuse qui était hyper axée sur le désir et qu’il n’y avait pas que ça dans le film. L’Année des méduses (1984) a un peu enfoncé le clou… Je pense, avec le recul et la maturité que j’ai aujourd’hui à mon âge, que j’ai souffert d’un égo mal placé parce que je voulais être tellement reconnu, j’avais tellement besoin de reconnaissance pour mes capacités, pour ce que je pouvais faire plus que pour mon physique. En fait, je n’ai jamais dit je ne veux plus me déshabiller. Jamais. Mais les gens l’ont pris comme ça, alors que je demandais seulement pourquoi dix scènes de nus étaient là au lieu d’une ou deux. Mais c’était l’époque aussi qui voulait ça, on arrivait après la révolution sexuelle. Donc on n’était pas loin de l’époque hippie qui avait brisé le carcan de la bourgeoisie en utilisant pour cela la liberté sexuelle et la liberté d’exposer son corps. Le cinéma a représenté aussi la fin de cette période. Et quand on voit les films des années 80, pratiquement toutes les actrices étaient à un moment ou à un autre déshabillées.

Milena - Affiche

Il y en a un en particulier que vous avez failli faire, c’est 37°2 le matin

Un film magnifique, génial. Ce n’étais pas avancé, pas plus que ça. Jean-Jacques Beineix m’a proposé ce film à un moment où, justement, j’avais l’impression un peu parano que j’étais d’être surexposée et j’avais besoin d’explorer d’autres formes de personnages, mais c’est vrai que ce personnage était hyper fort. C’est compliqué quand même quand on est une jeune actrice, d’expliquer aux gens qu’on a envie de faire des rôles différents, il faudrait qu’on aille toujours creuser la même brèche, le même sillon. Moi je me reconnaissais pas du tout dans l’image de « sex-symbol ». J’étais une fille bourrée de complexes, bon je me trouvais ok physiquement mignonne sans plus quoi. J’étais pas Brigitte Bardot, je ne voyais pas pourquoi du jour au lendemain on m’avait étiqueté sex-symbol. Aujourd’hui je ne me pose pas plus de questions que ça heureusement, j’ai eu beaucoup de propositions de l’étranger. J’ai tourné en Italie avec Cristina Comencini (La Fin est connue – 1993). J’ai tourné au Québec avec Léa Pool (Mouvements du désir – 1994). J’ai fait pas mal de télés. J’ai fait du théâtre. Enfin, je n’ai jamais arrêté de travailler. En vrai. Mais c’est vrai, si vous voulez remplacer une image par une autre ou pour évoluer dans une image par une autre, il faut que le succès efface le succès précédent. Dans tous les films que j’ai faits, il n’y a pas eu un énorme succès. J’avais beaucoup misé, par exemple, sur Milena (Véra Belmont – 1991). J’avais travaillé d’arrache-pied sur ce personnage avec une documentation dingue. Je connaissais tout sur Milena Jezenska. Quatre mois de tournage, le film sort pendant la guerre du golfe. Personne au cinéma. Si Milena avait rencontré un succès aussi grand que La Femme publique, cela m’aurait permis de rebondir dans ce genre de personnages. Comme ça n’a pas rencontré le succès. Les gens sont restés scotchés sur L’Année des méduses.

Comment étaient vos rapports avec les autres comédiennes de votre génération comme Sophie Marceau ou d’autres stars de l’époque ?

Je ne sais pas parce qu’en fait je n’avais pas vraiment d’amies actrices. On se croisait, rien de plus. J’ai toujours gardé mes amis d’enfance qui n’étaient pas du tout dans le cinéma.

Secret de famille - Affiche théâtre

Votre actualité, c’est le théâtre ?

Oui, dans une pièce qui s’appelle Secret de famille, avec notamment Xavier Deluc. Je suis en pleine tournée en France, en Suisse et en Belgique et je dois dire que je prends énormément de plaisir. C’est la première fois que je joue une comédie sur scène, parce que j’ai déjà fait du théâtre deux fois, mais c’était plutôt dans des registres dramatiques. C’est extrêmement gratifiant et ça me regonfle le moral d’entendre les gens rire, de communiquer cette bonne humeur. Je joue un personnage assez extraverti, une femme, une quinca bien dans sa peau, qui a envie de revenir sur le devant de la scène. C’est une façon de jouer différente, on a tout de suite le feedback du public, on peut pas tricher on peut pas refaire la prise, je dois rester hyper concentrée pendant une heure et demie voire deux heures sur scène sans que personne nous dise « Coupez ! » alors que la concentration au cinéma est tellement plus difficile à obtenir… On tourne l’entrée dans le bar un jour et quinze jours plus tard ce qui se passe à l’intérieur du bar dans un autre décor il faut retrouver la même émotion se souvenir dans quel état d’esprit on était… J’adore l’esprit de troupe et je le trouve plus important au théâtre parce qu’on est tous dans le même bateau en même temps, s’il y en a un qui coule, tout le monde coule, donc on est tous là pour se repêcher les uns les autres. J’adore aussi cette vie de troubadour, c’est la première fois que je fais une tournée. Aller de ville en ville, les voyages, on est ensemble, on arrive dans une ville, on découvre un nouveau théâtre, les coulisses, la vie dans les coulisses, c’est foisonnant, je teste le son dans la salle, on se prépare, on se maquille, on s’habille, moi je fais mes vocalises, tu t’aides dans les couloirs. Après le spectacle on a tout de suite les opinions du public parce qu’on fait une signature de dédicace systématiquement après chaque représentation. On nous installe comme ça une grande table et on signe des autographes avec les petites affiches et c’est formidable d’aller à la rencontre des gens comme ça carrément et vous vous rendez compte que votre popularité existe toujours.

Vraiment ? Parce que moi je dis que je vous rencontre aujourd’hui, c’est dingue car personne ne vous a oublié.

Oui, ça me touche tellement. Franchement, ça me touche et ça me surprend, ça fait tellement longtemps que je n’ai pas été médiatisée.

Vous refusez des films ou alors, au contraire, vous attendez qu’on vous en propose ?

Je ne me permettrais pas de refuser… Non, non, non. Je dois dire que je n’ai pas beaucoup de propositions pour être tout à fait honnête avec vous, mais je fais des belles rencontres. Là, dernièrement, j’ai tourné dans un long métrage, film d’époque, tourné avec un mini budget et justement j’ai retrouvé cet esprit de troupe dont je vous parlais, que je trouve au théâtre. On tournait dans un château, c’est une adaptation d’un roman de George Sand qui s’appelle Marianne. Le metteur en scène m’avait prévenu, il m’a dit on tourne en trois semaines, en équipe réduite, dans un château, on dort dans un gîte. J’ai dit banco, allez on y va, super, génial. Et j’ai retrouvé les premiers émois de mes premiers tournages. Tout le monde met la main à la pâte, moi je faisais répéter les jeunes comédiens entre les prises, je leur donnais des conseils, on s’amusait. C’était hyper rafraîchissant.

Merci à Valérie Kaprisky et à François Vila qui a rendu possible cette rencontre.

Propos recueillis par Didier Verdurand

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