Taschen, vous connaissez ? Forcément. Éditeur de bouquins basé en Allemagne depuis plus d’une trentaine d’années, il s’est imposé à travers le monde avec ses publications prestigieuses sur l’Art, sur la photo où la fesse est en bonne place d’ailleurs, sur le cinoche… le tout à des prix souvent très bas car déclinant ses ouvrages en minimum trois langues lui permettant de les imprimer à plusieurs milliers d’exemplaires et de faire ainsi des économies d’échelle. Ce qui ne l’empêche pas de publier de prestigieux molosses de plusieurs kilos comme Greatest of All Time, soit 700 pages sur le boxeur Mohamed Ali vendu à 12 500 dollars. Le deuxième livre le plus onéreux au monde. En matière de cinéma, y a surtout sa collection dite Archives vendue aux alentours de 150 euros l’exemplaire et dont le dernier né se penche sur la figure tutélaire de Charlie Chaplin. On y reviendra sans faute car ce qui nous intéresse aujourd’hui est le non moins volumineux bouquin consacré aux meilleures séries télés sur les 25 dernières années. Tout un programme il faut en convenir mais forcément un tantinet casse-gueule.
À commencer par le choix même des séries. Forcément la liste ne peut (et ne doit) pas plaire à tout le monde. Il y a toutefois les incontournables, celles dont personne ne peut contester leur importance dans l’histoire récente d’un medium qui vit son âge d’or. C’est au hasard Twin Peaks, Oz, Les Soprano, Sur Écoute, À la Maison Blanche, Six Feet Under, Battlestar Galactica, Mad Men ou encore Breaking Bad. Il y a celles aussi qui sont devenues des marqueurs de toute une génération recevant de facto leur adoubement pour incarner un pan historique de la pop culture. On pense bien entendu à Lost, mais aussi à 24 Heures Chrono, Dexter, Les Simpson, Buffy, Ally McBeal, Sex & the City, X-Files, Friends, Desperate Housewives, Californication, Dr House, Glee, Downton Abbey, The Walking Dead, Game of Thrones, House of Cards, True Detective.
Il va sans dire qu’on retrouve ce haut du panier ici. Le contraire eut été de toute façon une faute de goût patente qui ne pouvait que se solder par la fermeture de ce gros livre joufflu richement illustré de près de 750 pages. Inutile de préciser au passage qu’il vous sera impossible de nonchalamment le compulser dans votre lit avant de s’endormir au risque de se fêler une côte. Et encore moins lors de votre cérémonial quotidien au risque de tomber avec tout au fond. Deux solutions alors, soit c’est le genre de bouquin que l’on pose sur sa table basse du salon pour épater la galerie lors de dîners férocement mondains, soit il s’agit d’un bel objet certes mais que l’on va ouvrir de temps à autre pour aller lire ce qui s’y dit après avoir refermé par ailleurs le dernier chapitre d’une série goulûment terminée façon Binge Watching.
En ce qui nous concerne, c’est un peu des deux. Il est en effet toujours bon pour son ego de montrer à son prochain sa culture bien sous tous rapports tout en ergotant que l’on ne s’est pas ruiné (49,99 euros, une peccadille surtout quand l’éditeur vous l’a envoyé free of charge). Et puis cela peut aussi permettre de briser la glace quand on reçoit son boss façon Cuisine et dépendances. Quant au second aspect, on s’y est déjà penché et il est évident que voici un livre qui présente de sérieux atouts pour prolonger la réflexion critique, sociétale et parfois même philosophique d’une série fraîchement visionnée ou non. C’est à la fois sa force mais aussi ses limites. La force d’être assez novateur dans le positionnement et les angles des textes, la faiblesse de ne pas être assez making of diluant quelque peu la pertinence des séries choisies.
Les Simpson oui mais pas South Park !
Comme on le disait, il y a une liste d’incontournables. Par contre il y a tout un champ de possibles moins évidents pour différentes raisons qui méritent pourtant que l’on s’y attardent mais pas uniquement sous l’angle de la critique forcément partiale. Ainsi des séries comme Homicide, L’Hôpital et ses fantômes, Les Experts, Boston Justice, Band of Brothers, The Shield, Firefly, The Closer… auraient mérité un défrichage de l’envers du décor (origines, accueil critiques, héritage…) qui auraient permis un meilleur ancrage de la série au sein du livre tout en lui donnant une aura auprès de lecteurs plus néophytes. Là, on se retrouve dans une sorte d’entre-soi plutôt agréable quand on maîtrise le sujet mais certainement abscons pour celui qui se cherche des points d’entrées lui permettant de faire le lien avec le choix pléthorique d’aujourd’hui.
Ce qui pour le connaisseur ou tout simplement pour celui qui en bouffe depuis plus de 25 ans, fragilise de fait quelque peu certains nominés qui à nos yeux n’ont pas lieu de figurer ici. Surtout quand par ailleurs l’on considère que d’autres ont été injustement oubliés. Ainsi, si l’on est agréablement surpris de trouver des séries comme Seinfeld, finalement assez peu connue en France alors qu’elle est la matrice depuis lors de toutes les sitcoms, Larry et son nombril, Louie, Entourage, Mon Oncle Charlie, ou How I met your mother, quid de Dream On, That ’70s Show ou Spin City qui n’ont rien à leur envier en matière d’écriture, de qualité d’interprétation ou d’idées novatrices.
Pourquoi ne pas avoir consacré quelques pages à Spartacus qui n’a certes pas le pedigree « HBOesque » de Rome mais dont les trois saisons restent encore dans toutes les mémoires tout en surclassant et de loin le choix des Tudors ou autre Damages. Dans les créations plus récentes on trouve The Bridge, Girls, Revenge, En Analyse, Dollhouse… au détriment de séries comme Friday Night Ligts, Sons of anarchy, Banshee, American Horror Story… True Detective est en toute fin mais on oublie Fargo. Rayon guerre il y a eu le formidable Generation Kill qui ne peut certes se prévaloir du même budget que Frères d’Armes mais dont la réflexion immersive sur la guerre, de sa moralité et de sa justification est toute aussi importante. Et puis comment oser passer sous silence Carnivàle et Profit, deux séries radicalement en avance sur leur temps, deux séries endémiquement malades qui à elles seules mériteraient qu’on leur consacre chacune un livre entier.
Il est évident qu’en ce domaine, le choix de telle ou telle série, la critique est plutôt aisée. À moins de faire une encyclopédie par définition exhaustive, on fera toujours des mécontents. Mais ce qui finit par déplaire quand même est l’absence de recul sinon via le très instruit texte d’intro signé Jurgen Müller et Steffen Haubner. En effet pas de ligne directrice ou un texte de conclusion / récap qui aurait permis de comprendre ou tout du moins de donner des axes de réflexions quant à la suite. Quant à ce déferlement de séries qui nous arrivent aujourd’hui. Où il devient de plus en plus difficile d’émerger et où pour beaucoup une qualité médiane est bien souvent au rendez-vous. Bien plus que sur le grand écran en tout cas. C’est bien simple, du temps des Soprano, il y avait une, voire deux séries qui faisaient la Une le temps d’une saison. Aujourd’hui c’est quasiment toutes les semaines qu’un pilote en chasse un autre et qu’il fait les gros titres par son audace, le maître mot à suivre en toutes circonstances au détriment d’éléments intrinsèquement plus aboutis ou profonds .
On ne va pas s’en plaindre puisque c’est l’âge d’or on vous dit. Même X-Files et Twin Peaks reviennent. De quoi prévoir un volume 2 très rapidement avec pourquoi pas entre-temps quelques correctifs apportés. Ma table basse est grande.
L’Univers des Séries TV – Le meilleur des 25 dernières années selon Taschen.