J’ai rencontré Jérémie Imbert pour la première fois lors d’une interview en décembre 2005 à l’occasion du documentaire qu’il avait réalisé en collaboration avec son ami Yann Marchet. L’Art du déséquilibre que cela s’appelait (et que cela s’appelle toujours d’ailleurs) que l’on trouvait sur le coffret DVD Pierre Richard – Réalisateur comprenant Le Distrait (inédit en Blu-ray à ce jour) et Les Malheurs d’Alfred (disponible en Blu-ray depuis depuis le 5 novembre 2014 et reprenant le doc sur un DVD à part). C’était la première fois que l’on se penchait sérieusement sur la carrière de Pierre Richard qui depuis plus d’une décennie était un tantinet tombé dans l’oubli ou en tout cas uniquement cantonné au rôle de comique un peu troubadour que l’on ressortait du placard des archives télévisuelles le temps d’une rediffusion d’un Grand Blond ou d’une Chèvre.
Il a fallu donc attendre la génération qui a grandi dans les années 70 et 80 et qui avait découvert ses films au cinéma et surtout à la télé pour que l’urgence d’une forme de réhabilitation se fasse sentir. Parmi ses fers de lance, on trouve donc Jérémie qui en dix années est devenu un compagnon de route de Pierre Richard pour ne pas dire un véritable ami. En authentique passionné des comédies à la française (le titre au demeurant d’un excellent bouquin dont il est l’auteur sorti chez Fetjaine), il a continué à creuser le sillon jusqu’à convaincre l’animal au sang noble de se laisser aller à des confidences professionnelles et parfois intimes qui pourraient faire office d’un livre. En résulte Je Sais rien, mais je dirai tout qui reprend des heures d’entretiens un peu sur le modèle de ceux entre Truffaut et Hitchcock mais en beaucoup plus drôles.
Jerry Lewis et Pierre Richard (© Collection Traverso)
Ce n’est d’ailleurs pas le moindre de ses mérites tant les qualités d’écritures de Pierre Richard orchestrées par Jérémie permettent de mettre en valeur le phrasé, la gouaille et tout le côté pétillant du personnage que l’on connaît à travers ses films. On a même le droit à plusieurs échanges ping-pong savoureux pour ne pas dire jubilatoires. Pierre Richard prend à l’évidence du plaisir à se raconter ainsi sans que pour autant une nostalgie un peu rance ne soit jamais de mise. C’est que les deux compères nous font vivre les souvenirs et les anecdotes comme si tout cela s’était déroulé hier. Pas d’amertume ou de règlements de compte non plus. Des clins d’œil plutôt ou alors quelques non-dits qui parleront aux connaisseurs.
Victor Lanoux et Pierre Richard à Courchevel (Collection personnelle Pierre Richard)
Le livre adopte par ailleurs le plan simple de la chronologie. Il a l’avantage et pour Pierre Richard et pour le lecteur de monter en charge et de ne rien laisser au hasard d’une filmographie riche, passionnante et dont certaines zones moins connues ne sont pas pour autant laissées sur le bas-côté. Mais pas que, puisqu’il y est aussi abordé les premiers temps du cabaret où Pierre Richard y a côtoyé toute une génération de futurs comédiens dont Victor Lanoux en tête de gondole. Le théâtre n’est pas non plus oublié puisqu’il lui permet actuellement de retrouver une stature plus en phase avec son immense talent. Et puis tout cela ne sent pas le livre testament. De celui d’un acteur dont la carrière est définitivement derrière lui. On y sent plutôt comme l’envie de se projeter encore et toujours vers des rives inexplorées et des rencontres toujours plus nombreuses. Le ton des réponses associé à la « mise en scène » de Jérémie donnent cette sensation que beaucoup reste à faire.
Sur le tournage du Jouet (© Georges Pierre)
Je sais rien, mais je dirai tout (au passage, un des meilleurs films de Pierre Richard réalisateur) se présente alors comme le formidable témoignage d’un homme toujours aussi rêveur et Gaston Lagaffe, d’un artiste plus que jamais en phase avec ses contemporains et d’une filmographie riche et intense dont on n’a pas encore tout a fait saisi l’importance au sein de notre cinéma alors qu’en Russie ou au Japon par exemple, il n’y a jamais eu de doute. Pierre Richard en parle d’ailleurs mais toujours sur le mode du noble artisan à la fois humble et reconnaissant. Il est comme cela Pierre. Et c’est aussi pour ça qu’on l’aime autant.
Je sais rien, mais je dirai tout est édité chez Flammarion (Préface de Gérard Depardieu)
La photo de Une est signée Bruno Tocaben