Trois visages est né d’une situation qui, sans être nouvelle, a littéralement explosé avec l’avènement des réseaux sociaux – extrêmement utilisés en Iran : la quête éperdue de contact, en particulier avec des personnalités du cinéma. Jafar Panahi, malgré sa situation officielle de réalisateur proscrit dans son propre pays est l’un des destinataires les plus sollicités par ces propositions – notamment de jeunes gens qui veulent faire des films. Et comme la plupart de ceux qui reçoivent de nombreux messages de la part de leurs fans sur les réseaux sociaux, il n’y répond que rarement, mais cela lui est déjà arrivé de ressentir une sincérité, une intensité qui l’ont poussé à se questionner sur la vie de celles et ceux qui envoient ces messages. Un jour, il a reçu sur Instagram un message qui lui paraissait plus sérieux, et au même moment les journaux ont parlé d’une jeune fille qui s’était suicidée parce qu’on lui avait interdit de faire du cinéma. Il a imaginé alors recevoir sur Instagram une vidéo de ce suicide, et s’est demandé comment il réagirait face à cela.
Trois visages (Se rokh – 2018)
Réalisateur(s) : Jafar Panahi
Acteurs : Behnaz Jafari, Jafar Panahi, Marziyeh Rezaei
Durée : 1h40
Distributeur : Memento Films Distribution
Sortie en salles : 6 juin 2018
Résumé : Une célèbre actrice iranienne reçoit la troublante vidéo d’une jeune fille implorant son aide pour échapper à sa famille conservatrice… Elle demande alors à son ami, le réalisateur Jafar Panahi, de l’aider à comprendre s’il s’agit d’une manipulation. Ensemble, ils prennent la route en direction du village de la jeune fille, dans les montagnes reculées du Nord-Ouest où les traditions ancestrales continuent de dicter la vie locale.
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- Avis express : Les trois visages du titre sont représentés à l’écran par trois générations d’actrice que le réalisateur iranien Jafar Panahi a voulu comme la symbolique d’un pays, le sien, tiraillé plus que jamais entre modernité et traditions ancestrales. Avec bien entendu entre les deux, la révolution islamique qu’il ne critique jamais frontalement mais que son regard d’artiste mi-acéré, mi-drolatique n’épargne aucunement. Pour cela, Jafar Panahi use une nouvelle fois du procédé de la mise en abyme qu’il a érigé au rang de procédé quasi dogmatique. Sa science en la matière s’affine toutefois encore en travaillant toujours son personnage de cinéaste mais au sein d’une fiction brouillant de plus en plus les lignes de ce qui est vrai et de ce qui ne l’est pas. Le voici donc accompagnant l’une des actrices les plus populaires du pays à la recherche d’une fille ayant posté sur Instagram un message lui reprochant son silence face à ses appels à l’aide répétés. Un silence qui l’a contraint au suicide devant l’obstination de sa famille à l’empêcher de devenir comédienne.
Leur périple va les emmener dans une région reculée et montagneuse où les villageois sont tout à la fois ravis de découvrir en chair et en os cette actrice symbolisant un monde qu’ils fantasment tout en refusant à l’une des leurs la possibilité de suivre éventuellement la même voie. Et puis, nichée à la périphérie, il y a cette artiste d’avant la révolution représentant un monde presque oublié mais qui pour Jafar Panahi fait bien le pont entre des époques qui ont besoin d’être conciliées. Le cinéaste qui ne peut sortir de son pays pour ne serait-ce présenter son film au dernier festival de Cannes où il a d’ailleurs obtenu le prix du scénario, ne fait pas pour autant de Trois visages un film qui donne des leçons ou qui se la joue au-dessus de la mêlée. Avec sa science éprouvée du film poupée russe, il s’amuse au contraire comme un petit fou à titiller la censure ou à s’amuser du regard que peut porter l’Occident à l’encontre de son pays.
À cet égard Trois visages est un modèle d’équilibre entre la projection intérieure et le voyeurisme extérieur. On a là un concentré d’intelligence au service d’un film qui n’a en fait besoin de personne pour exister mais qui incidemment sait faire rayonner la culture d’un pays dont la chance est de proposer encore aujourd’hui un visage si riche et contrasté. Cela passe aussi par une bienveillance de tous les instants. Bienveillance à l’égard d’un peuple qu’il ne prend jamais de haut, bienveillance vis-à-vis de son actrice qui comme toutes les actrices du monde entier se soucie bien plus de son image surtout quand celle-ci est mise en danger, bienveillance à l’encontre de son pays donc qui s’il n’en fait pas une région de carte postale touristique n’en souligne pas moins ses différences. Et quant à cette pointe de mélancolie qui affleure vers la fin, elle n’est que la promesse d’un futur certes très optimiste mais qui ne vient absolument pas contrarier la si belle mécanique d’un cinéma si loin et si proche de nous. SG – 4/5
- Box-office : Avec 12 617 entrées sur 165 copies en 24h, Trois visages prolonge le joli succès de Taxi Téhéran qui en 2015 avait fait un poil mieux avec 17 127 entrées sur « seulement » 140 copies pour terminer sa course à 600 553 spectateurs. Edit : 61 232 entrées à l’issue du premier week-end alors que dans le même temps Taxi Téhéran en réalisait 113 304, soit quasiment le double. Il semble donc que le bon démarrage ne se confirme pas.
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