C’est Mark Ruffalo et la société de production Participant qui ont proposé Dark Waters à Todd Haynes, un an après que l’article de Nathaniel Rich a été publié dans le New York Times Magazine. Lorsque le réalisateur l’a découvert, il a logiquement été choqué par cette affaire que Rob Bilott, avocat pugnace, a révélé malgré lui.
« Ce matériau allait se révéler complexe à fictionnaliser… En attendant, il pointait du doigt les innombrables pratiques malhonnêtes de grandes entreprises qui enfreignaient la loi depuis quelques années – et continuaient de le faire. Des pratiques qui restent d’une terrible actualité sociale et politique. Si l’on songe aussitôt à plusieurs réalisateurs talentueux pour porter ce projet à l’écran, Mark avait pensé à moi sans que je puisse m’expliquer pourquoi. » – Todd Haynes
Dark Waters (2019)
Réalisateur(s) : Todd Haynes
Avec : Mark Ruffalo, Anne Hathaway, Tim Robbins, Bill Camp, Victor Garber, Bill Pullman
Durée : 2h07
Distributeur : Le Pacte
Sortie en salles : 26 février 2020
Résumé : Robert Bilott est un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques. Interpellé par un paysan, voisin de sa grand-mère, il va découvrir que la campagne idyllique de son enfance est empoisonnée par une usine du puissant groupe chimique DuPont, premier employeur de la région. Afin de faire éclater la vérité sur la pollution mortelle due aux rejets toxiques de l’usine, il va risquer sa carrière, sa famille, et même sa propre vie…
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- Avis express : Il fallait une bonne dose d’imagination pour se dire que le réalisateur le plus sirkien de ces vingt dernières années allait s’intéresser puis se lancer dans un film comme Dark Waters. Un brûlot contestataire qui ne prend aucun gant envers l’establishment de son pays mais aussi à l’encontre de cette doctrine néo-libérale qui gangrène l’économie mondiale. Pour cela il va s’appuyer sur un article au long cours publié dans le New York Times Magazine en 2016 qui relate la croisade d’un avocat de Cincinnati contre le mastodonte DuPont de Nemours. Robert Bilott officiait plutôt jusqu’ici dans la défense des grands groupes industriels au sein d’un cabinet prestigieux. Mais lorsqu’un paysan ami de sa grand-mère vient l’alerter au début des années 2000 de la pollution des eaux bordant ses terrains par l’usine du coin dont il est certain qu’elle cause la mort de son bétail tout en mettant en danger la santé de sa famille, sa vie va radicalement changer.
Si encore aujourd’hui, les procès à l’encontre de DuPont n’ont pas livré leurs verdicts définitifs, les recherches, la pugnacité et la clairvoyance de cet homme ont permis de mettre à nu un scandale sanitaire mondial. Et toute la force du film de Todd Haynes est qu’au-delà du déroulé de son histoire qui lui est finalement amené sur un plateau, il arrive à en faire un thriller dans la grande tradition de ce cinéma politique qui avait le vent en poupe dans les années 70. Son ADN rappelle aussi Erin Brockovich que Soderbergh réalisait en 2000. Le côté David contre Goliath dont raffole n’importe quel spectateur est en fait la seule concession accordée à un film dont la colonne vertébrale tient surtout dans la rigueur de son déroulé et l’extraordinaire soin apporté à sa démonstration. On cherche par exemple le ou les climax, les séquences portées par le spectaculaire ou les phrases chocs censées rythmer l’intrigue. Au lieu de cela nous avons au mieux un montage anxiogène dans un parking souterrain pour une palanquée de réunions où on se crêpe le chignon entre gens de bonne compagnie et quelques virées à la campagne sous un ciel toujours menaçant.
Le reste du temps Mark Ruffalo occupe littéralement l’espace avec sa carrure d’homme qui ploie sous le poids de ses prises de décision toujours plus lourdes. C’est bien entendu là que réside la force et donc la réussite de Dark Waters. Dans cette propension à donner un visage à cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, en l’humanisant si l’on puis dire. Mark Ruffalo ne s’y est d’ailleurs pas trompé en devenant producteur du film. Mais s’il s’est accaparé le projet, ce n’est jamais pour tirer la couverture à soi avec au bout la petite statuette qui va bien. Sa démarche, son jeu et son port de tête qui accompagne le tout ne sont là que pour appuyer des dialogues au cordeau et une mise en scène d’apparence classique mais ultra signifiante. Et puis la magie opère. Le spectateur reste sans cesse sur le qui-vive. Rien ne douchera son ardeur à comprendre et à découvrir la vérité. Et si pour cela il faut se taper des recherches dans les milliers de dossiers au fin fond d’un sous-sol peu éclairé ou rencontrer des experts en chimie industrielle qui caviardent leurs réponses d’explications en des termes abscons avec pour seuls espoirs des avancées vers la lumière aussi excitantes que promener son chien à 23h par un froid de gueux, « so be it » comme dirait l’autre.
L’autre en question c’est Todd Haynes et sa manie d’enrober tout ça dans un montage plus tranchant que votre meilleur couteau de cuisine. Le qui-vive vient de là. Si le réalisateur veut nous amener à comprendre que la réalité d’une telle enquête se compte en années fastidieuses et roboratives, il est là aussi pour nous faire ressentir que le couperet peut tomber à tout moment. Celui de la puissance d’un géant de la chimie comme DuPont prêt à tout pour cacher ce qu’il sait depuis toujours : la pollution qui a eu lieu dans l’État de Virginie dans les années 80-90 suite au rejet massif dans les eaux de produits ayant servi à la fabrication du PFOA, une molécule présente partout à commencer par le Téflon utilisé au sein des poêles antiadhésives. Le thriller et le suspense jaillissent de cela. Il est poisseux, organique et foutrement efficace. Et il permet à Dark Waters d’aller jusqu’au bout du bout. Là où les eaux saumâtres ont provoqué chez des milliers de personnes et leurs descendances des cancers, des augmentations anormales du taux de cholestérol, des bébés venant au monde avec des déficiences mentales ou physiques…
Dark Waters n’est pas essentiel à la compréhension de notre monde, de sa mondialisation au profit de quelques uns et au détriment de tous les autres. Ça on le sait déjà. Il est par contre une réponse et une incitation à s’élever chacun avec nos armes contre ce que beaucoup considère comme une fatalité. Todd Haynes veut nous montrer la voie avec pour arme principale son immense talent. 4/5 – SG
- Box office : 270 545 entrées en 2 semaines et demi sur 247 copies. Et puis rideau. Un virus devenu lui aussi mondial est venu fermer brutalement les portes de nos salles de cinéma. On peut ainsi estimer que le film de Todd Haynes aurait atteint les 350 000 entrées en des temps plus cléments. Ce qui en soit aurait tout de même été vécu comme une frustration par son distributeur Mars Films au regard des 469 680 entrées sur 144 copies réalisées par Carol, son précédent film. Un distributeur qui au passage lutte pour sa survie économique depuis la fin de l’année 2019.
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1er juillet19 août 2020 du côté de la branche vidéo du Pacte.