Emir Kusturica s’était fait connaître en 1985 à l’international avec Papa est en voyage d’affaires qui obtint la Palme d’Or à Cannes. Le studio Columbia va alors vouloir produire son prochain film qui n’est autre que Le Temps des gitans (1988) récompensé lui aussi à Cannes par le Prix de la mise en scène.
Miloš Forman qui était président du jury cannois en 1985, lui demande s’il ne pourrait pas le remplacer à son poste d’enseignant à l’université de Columbia (ce qui lui permettrait de réaliser Valmont sorti en 1989). Kusturica accepte. C’est alors que David Atkins, un de ses étudiants, lui soumet le scénario de Arizona Dream. Tombé sous le charme du récit, il va en faire son nouveau projet.
Arizona Dream a reçu l’Ours d’Argent (Prix Spécial du Jury) lors du Festival de Berlin 1993.
Arizona Dream (1992)
Réalisateur(s) : Emir Kusturica
Avec : Johnny Depp, Jerry Lewis, Faye Dunaway, Lili Taylor, Vincent Gallo
Distributeur : UGC (1993) / Malavida (Rep. 2024)
Durée : 2h21min
Sortie en salles : 6 janvier 1993
Reprise : 10 juillet 2024
Résumé : Axel vit davantage dans un monde rempli de rêves et de poissons volants qu’à New York, où il habite. Sur le point de se remarier, son oncle Leo, vendeur de voitures en Arizona, lui demande de traverser les Etats-Unis pour être son témoin. Sur place, il rencontre Elaine, une veuve fantasque qui ne rêve que de voler, et sa fille Grace qui en veut à la terre entière. Il se retrouve alors ballotté entre les rêves de toutes celles et ceux qui l’entourent…
Articles / Liens :
- Notre avis : Arizona Dream est certainement l’un des derniers films hollywoodiens qui empruntaient le fameux chemin du cinéaste étranger portant un regard de l’intérieur sur l’Amérique. Lors de la décennie précédente, le film iconique en la matière n’était autre que Paris, Texas (1984) de Wim Wenders. Il s’agit quasiment là d’un genre en lui-même que la diaspora des années 30 de réalisateurs venus d’Europe tels que Billy Wilder, Ernst Lubitsch, Otto Preminger et consorts ont initié, sinon personnifié. La différence toutefois avec Wenders et Kusturica c’est que leurs films n’ont pas été conçus au sein du système hollywoodien mais bien en dehors leur conférant une identité autre et aussi passionnante à redécouvrir. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que le voici à nouveau dans les salles en 2024. Histoire de voir si tout cela reste d’actualité ou définitivement un mythe.
Emir Kusturica faisait donc une pige d’enseignant à l’université de Columbia (à la demande de Miloš Forman, autre immigré européen qui a amené avec lui au travers de ses meilleurs films une vision inoubliable de l’Amérique) quand un de ses élèves (David Atkins dont la carrière n’a pas vraiment décollé depuis) lui propose le scénario d’Arizona Dream alors intitulé American Dream. Emballé par ce qu’il lit, Kusturica embarque avec lui la Warner qui produit le film à hauteur de 15 millions de dollars (l’équivalent de 35 millions en 2024) mais qui s’en désolidarisera en demandant plus de 20 minutes de coupes à la vision du produit fini et un casting plutôt prestigieux composé du triumvirat « têtes de gondole » Johnny Depp, Faye Dunaway et Jerry Lewis, sans oublier Lili Taylor et Vincent Gallo. Le tournage posera ses caméras en Alaska, à New-York et surtout dans l’Arizona où la plus grande partie de l’action se déroule. Là, un jeune homme de 23 ans joué par Johnny Depp se retrouve entre une veuve un peu perchée (Faye Dunaway) qui collectionne les conquêtes juvéniles et dont le rêve est de voler et sa belle-fille (Lili Taylor) jalouse aux tendances suicidaires. Le voici donc qui prend racine dans une maison perdue au milieu de nulle part permettant à Kusturica de filmer lui aussi et à sa façon les grands espaces de l’Ouest américain.
Il amène avec lui sa folie slave qui sur l’écran prend la forme de séquences azimutées, oniriques, un peu folles mais au final jamais déconnectées de cette envie de montrer une Amérique mortifère qui ne cesse de regarder en arrière quand il y avait encore des territoires à conquérir et un rêve à accomplir. Dans Arizona Dream, les rêves sont accomplis. Que faire maintenant ? Un postulat symbolisé par l’oncle du jeune homme joué par Jerry Lewis. Vendeur de Cadillac, propriétaire de son propre magasin, d’une maison avec piscine et sur le point de se marier avec une jeune fille de 30 ans sa cadette. Il est le portrait du parfait self-made man qui a selon lui réussi. Il voudrait que son neveu reprenne l’affaire. Mais lui ne veut que rentrer à New-York où vivre littéralement ses rêves lui semble plus dans ses cordes. Jusqu’au jour où sa rencontre avec Elaine va donc changer ses plans.
Ce couple à tendance trio permet à Kusturica de percer la carapace d’une Amérique que l’on sait puritaine. Et ainsi d’en sonder l’âme qui ne demande qu’à s’exprimer. Chez Kusturica cela part dans tous les sens comme si au sein de cet espace de liberté, il fallait que tout sorte et vite. Au moins le temps d’un film. Et puis tel une sorte de fil rouge, il y a le cousin joué par Vincent Gallo. Il est un acteur raté qui connaît par cœur des dialogues de films emblématiques. On a ainsi droit à Raging Bull de Scorsese, La Mort aux trousses d’Hitchcock ou encore au Parrain 2 de Coppola lorsqu’il tombe à la télé sur la fameuse scène entre Al Pacino et John Cazale où le premier lui explique qu’il aura la vie sauve tant que leur mère est en vie. C’est une façon pour Kusturica de revisiter les mythes américains. Des mythes façonnés par des immigrés ou des fils d’immigrés qui ont montré au monde leur version de l’Amérique. Kusturica en a encore des étoiles plein les yeux mais ne peut s’empêcher de les transformer en des oraisons funèbres. Notre jeune homme n’en a finalement que bien trop conscience lui qui s’en retourne in fine dans le monde des rêves non pour y retrouver une grandeur passée mais plus pour tenter de s’arrimer à une réalité dont il ne sait pas quoi en faire. Vingt ans plus tard, si la formidable musique d’Iggy Pop et Goran Bregović accompagne toujours avec force et poésie ses pérégrinations, elle reste plus que jamais en apesanteur d’une vision définitivement oubliée où même la nostalgie n’a plus aucune emprise. On ne peut que s’en désoler. 3,5/5
- Box office : Lors de sa sortie en janvier 1993, Arizona Dream avait réuni 960 543 spectateurs. Le film avait été distribué sur 48 copies en 1ère semaine (le max étant 123 en 4ème semaine) et avait été exploité sur 10 semaines. Des chiffres qui feraient rêver aujourd’hui n’importe quel distributeur pour un film siglé A&E. Mais il faut croire qu’Arizona Dream n’a rien perdu de son attractivité puisque le film de Kusturica attire encore 1 642 personnes lors de sa première semaine de reprise (sur 19 copies) orchestrée par Malavida, un distributeur indépendant emblématique qui s’est spécialisé en ressorties de films de patrimoine qu’il travaille à chaque fois avec une belle passion communicative. De fait ici on ne pourra qu’être particulièrement sensible au soin porté à la nouvelle affiche qui, une fois n’est pas coutume, est beaucoup plus belle et signifiante que l’originale.
- La chronique Blu-ray et 4K UHD : Si un Blu-ray édité par StudioCanal existe bien depuis juin 2009, il faudra dorénavant plutôt acquérir le combo Blu-ray / 4K UHD que ce même StudioCanal propose depuis le 17 juillet 2024. Outre un nouveau master restauré 4K utilisé pour les deux galettes, on y retrouve tous les bonus de la précédente édition (souvenirs de tournage : Dialogue entre Johnny Depp et Claudie Ossard, scènes coupées, bande-annonce originale) ainsi qu’un entretien inédit avec N.T. Binh qui revient sur la genèse et le tournage du film.
- Dossier de presse
- Voir la bande annonce (Rep. 2024)
Affiche originelle – Affiche reprise 2024