En compétition à Cannes et Oscar du Meilleur film étranger (une première pour un film tchèque), Le Miroir aux alouettes a été couvert de prix dans le monde entier et a connu un énorme succès public aux États-Unis. Ida Kamińska qui joue la vielle commerçante juive sera aussi nommée aux Oscars pour ce film, en tant qu’actrice, en 1967 !
Le succès critique et commercial du Miroir aux alouettes aux États-Unis en 1966 associé à l’Oscar du meilleur film étranger ont enraciné le film dans les classiques modernes. Les nominations ultérieures aux Oscars pour Les Amours d’une blonde (1965) de Miloš Forman et Trains étroitement surveillés (1966) de Jiří Menzel ont confirmé que le cinéma tchécoslovaque n’avait rien d’un feu de paille.
Le Miroir aux alouettes (Obchod na Korze – 1965)
Réalisateur(s) : Ján Kadár et Elmar Klos
Avec : Jozef Kroner, Ida Kaminska, Frantisek Zvarik et Hana Slikova
Distributeur : Malavida Films (Rep. 2025)
Durée : 2h07min
Sortie en salles : 12 mai 1966
Reprise : 5 février 2025 (version restaurée 4K)
Résumé : 1942. Dans un petit village slovaque occupé, Tono, un menuisier sans histoire, loin des idées fascistes, doit accepter la gérance d’une mercerie, appartenant à une dame Juive, Madame Lautmannová. Âgée et presque sourde, elle ignore tout des nouvelles lois raciales : elle le prend pour un assistant. Tono finit par la protéger, jusqu’au jour où la population yiddish est rassemblée sur la grand place pour être déportée…
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- Notre avis : On l’avoue bien volontiers, le cinéma du duo Ján Kadár (slovaque) – Elmar Klos (tchèque) ne nous était jusqu’ici pas des plus familiers. Le Miroir aux alouettes est pourtant un film qui a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger en 1966 tout en rencontrant par la suite son public lors de sa sortie sur les écrans américains (pour la France nous n’en savons rien). Le Miroir aux alouettes est par ailleurs dispo en DVD chez nous depuis 2008 chez l’éditeur Malavida. C’est toujours Malavida qui le ressort au cinéma en 2025 en version restaurée 4K rendant de facto obsolète le DVD. Il aura donc fallu cette ressortie pour que nous partions à sa découverte. Inutile de vous préciser que celle-ci fut aussi belle que douloureuse.
Belle parce que l’on est à l’évidence devant un film qui tout en s’inscrivant dans le mouvement de la Nouvelle vague tchèque qui avait alors le vent en poupe, Le Miroir aux alouettes s’en détache par ses partis-pris de mise en scène et sa volonté de raconter une histoire à l’ancienne. C’est-à-dire en respectant certains codes à même d’impliquer le spectateur par des voies classiques et certainement pas aussi expérimentales ou dissonantes que ce que l’on pouvait voir dans des films qui lui étaient contemporains tels que L’As de pique (1963) de Miloš Forman ou Éclairage intime (1965) d’Ivan Passer. Mais si la grammaire cinématographique est a priori plus consensuelle, le choix du sujet l’est beaucoup moins.
Il est en effet question dans Le Miroir aux alouettes de cette « banalité du mal » théorisée en 1963 par la célèbre politologue et philosophe Hannah Arendt. C’est ici que l’on bascule dans le douloureux puisque Le Miroir aux alouettes nous parle de la Shoah ramenée à hauteur des petites gens dont fait partie Tono, menuisier de son état dans un petit village slovaque, qui se voit attribuer par son beau-frère issu de la milice locale pro nazie, la gérance d’une petite mercerie appartenant à une vieille dame juive, veuve et sourde. Il s’agit en effet d’aryaniser le pays avant de bientôt se débarrasser des juifs. Tono est très loin des soubresauts tragiques du moment et n’a aucune velléité fascisante mais sous la pression de sa femme qui voit en cette opportunité la possibilité de s’élever socialement et parce qu’il jalouse son beau-frère à qui la vie semble soudainement lui sourire, il va se résoudre à jouer le jeu. Mais un double jeu en fait puisque s’il donne le change devant tout le monde, il n’est finalement que le simple commis de la vieille commerçante qui de toute façon n’a aucune conscience de ce qui se trame et envers qui il ne veut in fine aucun mal et encore moins s’accaparer de son commerce. Un compromis pour le moins bancal et qui ne protègera absolument personne de la tragédie en devenir.
À commencer par le spectateur d’hier mais aussi d’aujourd’hui qui pourrait croire que ce qu’il voit à l’écran n’arrivera plus. Le Miroir aux alouettes nous renvoie en fait à nos propres démons et nous rappelle une vérité douloureuse. La Shoah ne doit en effet son « succès » non parce qu’une élite l’a imposé au plus grand nombre accréditant la thèse du totalitarisme fascisant venue d’en haut, mais justement et précisément parce qu’il a été adopté tacitement ou non par des centaines de milliers de personnes de par le monde à commencer par la France de Vichy si massivement adoubée par les français d’alors. Une vérité qui nous pètera au demeurant à la gueule à partir de 1969 avec Le Chagrin et la pitié de Marcel Ophuls et que Louis Malle avec Lacombe Lucien en 1974 finira d’entériner.
Une vérité que cette ressortie du Miroir aux alouettes permet de raviver telle une plaie jamais cicatrisée. On doit certes s’en réjouir mais aussi et malheureusement le déplorer tant on aurait pu espérer que l’humanité était passée à autre chose. Oui on le sait, nous sommes naïfs et ce n’est pas la moindre des leçons que nous enseigne encore aujourd’hui Le Miroir aux alouettes. Et comme on l’a déjà dit, pas la moins douloureuse. 4/5
- Box office : 148 entrées sur 7 copies en 24h.
- La chronique Blu-ray et 4K UHD : Inutile d’espérer. Malavida ne sortira pas Le Miroir aux alouettes en Blu-ray et encore moins en Blu-ray 4K pérennisant ainsi une politique sur la chose actée depuis toujours. Alors certes L’incinérateur de cadavres (1968) de Juraj Herz dont Malavida a aussi les droits en France, comme pas mal de films de cette période en provenance du bloc de l’Est, va bien sortir en février 2025 en Blu-ray. Mais comme nous l’a dit de vive voix l’éditeur, il s’agit d’une exception portée par Potemkine qui se charge véritablement de cette édition en France.