Après dix ans de bons et loyaux services sur son FPS Killzone, saga bien connue des joueurs, Guerrilla Games a décidé d’opérer un changement de genre radical avec Horizon Zero Dawn, jeu à base de monde ouvert mêlant action et RPG. Nous avons pu nous entretenir avec Troy Mashburn, l’un des designers phares du studio hollandais, afin d’évoquer en sa compagnie l’élaboration de cet univers post-post apocalyptique.
À quand remonte votre toute première « rencontre » avec l’univers des jeux vidéo ?
Cela date de l’époque de l’Atari 2600 et du Commodore 64. C’est sur ce dernier que j’ai conçu mon tout premier jeu à base de pixels qui se courent après. Je suis assez old school en la matière (rires).
Depuis, si on regarde votre profil LinkedIn ou votre portfolio sur Robotthumb, votre parcours est impressionnant : 6 ans chez LucasArts à San Francisco, 2 ans chez RockStar à Vienne en Autriche, puis retour à San Francisco chez Crystal Dynamics pour 4 ans et désormais chez Guerrilla Games à Amsterdam depuis 7 ans. Vous avez travaillé sur pas moins de 16 jeux au cours de toutes ces années, y compris plusieurs titres Star Wars et sur de très nombreux supports, notamment toutes les consoles PlayStation depuis la première sortie en 1995 (1994 au Japon). Sans compter l’impressionnante liste de logiciels que vous maîtrisez. Vous ne prenez jamais de vacances ?
(rires) Quand vous faites quelque chose qui vous passionne comme c’est mon cas, ce n’est pas du travail, c’est du plaisir. Bien sûr, vous faites parfois face à de gros obstacles mais c’est ce qui rend ce travail aussi fun. Quand je rentre du boulot, je joue aux jeux vidéo ou bien je bosse sur des projets personnels. J’adore ça, je ne m’arrête jamais.
Concernant Horizon Zero Dawn, pourriez-vous nous préciser quand et comment ce projet a commencé ?
Il remonte peu après la sortie de Killzone 3 en 2011. Tout le monde pitchait de nouvelles idées au sein du studio et Horizon Zero Dawn est celle qui remportait tous les suffrages. Nous sommes tous des fans des open world. Le jeu s’inscrit dans le genre SF que nous affectionnons tant tout en injectant une immense variété de décors et de couleurs.
Guerrilla Games était connu depuis 10 ans pour sa licence Killzone qui est un FPS tandis que Horizon Zero Dawn est un jeu d’action RPG en monde ouvert. C’est assez inhabituel de voir un studio s’écarter de la sorte du genre qui l’a rendu célèbre. Vous êtes-vous lassés de Killzone ?
C’est effectivement très compliqué de briser ainsi une certaine « routine » mais nous avions vraiment envie de créer quelque chose qui soit entièrement nouveau. Et quand l’idée de Horizon Zero Dawn fut approuvée, nous avons sauté sur l’occasion.
Quels sont les principaux challenges auxquels vous avez dû faire face avec un tel changement ?
Nous étions habitués à du shooter en corridors et avons dû effectuer pas mal de mises à jour sur le plan technique afin de développer ce gigantesque monde ouvert avec des perspectives à perte de vue et beaucoup plus de personnages présents à l’écran que nous ne pouvions le faire dans Killzone. Mais il s’agissait également d’un changement d’état d’esprit car quand nous développions un Killzone, tout y était très linéaire et scripté tandis que dans Horizon Zero Dawn, vous pouvez effectuer une quête selon différentes approches et à n’importe quel moment. Vous pouvez transporter en permanence de très nombreuses armes et différentes tenues que le joueur peut personnaliser à sa guise. La construction de cet univers s’est donc faite selon une approche systémique qui a représenté un immense défi pour Guerrilla Games mais qui rejoint ma conception du fun dans ce milieu.
Le jeu prend place dans un monde « post-post apocalyptique ». Tout le monde connaît la notion de monde « post-apocalyptique » mais qu’entendez-vous par « post-post apocalyptique » ?
Une fois encore chez Guerrilla Games nous adorons les univers futuristes et les immenses possibilités technologiques qui en découlent mais pour colorer ce monde tombé en ruines que nous avions imaginé, nous avons décidé de pousser l’histoire très loin dans le futur, à une époque où la nature a repris ses droits sur la planète avec toutes ses fleurs, ses arbres, cette verdure. Horizon Zero Dawn est donc le fruit de l’union entre ces deux éléments : la nature d’un côté et la technologique de l’autre. C’est ce que nous entendons par post-post apocalyptique.
L’action se déroule bien sur Terre ? Combien de temps dans le futur environ ?
Nous sommes bel et bien sur Terre. Vous croiserez d’ailleurs des ruines que vous reconnaîtrez sans doute mais qui sont désormais entièrement recouvertes par la nature. L’action se déroule 1000 ans dans le futur. Que s’est-il passé au cours de ce millénaire qui s’est écoulé sur une Terre où les machines sont désormais l’espèce dominante tandis que les humains sont revenus à un état tribal plus primitif ? C’est là tout le mystère.
L’intitulé exact de votre poste sur Horizon Zero Dawn est « Lead Combat Designer ». En quoi cela consiste-t-il précisément ?
Cela a trait à tout ce qui est systémique dans le jeu : comment fonctionne ce monde, quelles sont les règles qui le régissent ? Comment Aloy est vêtue, bouge, escalade, interagit avec les différents éléments du décor, etc. ? L’équipe chargée de concevoir ce monde a ensuite utilisé tous ces outils que nous avions développés.
En regardant le look des machines, il est assez difficile de ne pas penser à Transformers, et notamment L’Âge de l’extinction (2014), ou encore à un croisement entre ces films et Jurassic Park. Est-ce là deux de vos influences pour leur design ?
C’est plus une combinaison de multiples influences et non d’une seule en particulier. En se référant à l’histoire du jeu, ces machines furent conçues dans un but bien précis que vous serez amenés à découvrir au cours de l’aventure. Leur look animal est intentionnel et sied également au concept de « chasseurs primitifs » auquel sont désormais cantonnés les humains.
Vous n’aviez donc pas de références spécifiques en matière de films, de comics ou autres ?
Non, nous voulions vraiment concevoir un monde qui nous soit propre.
De quelle façon travaillez-vous ? Débutez-vous par des esquisses papiers ou bien directement sur ordinateurs ?
Nous commençons avec des designs papiers afin de dégrossir l’approche de chaque personnage et de chaque créature ainsi que pour déterminer comment ils se déplacent, comment s’articulent leurs mouvements. Puis, nous passons au design sur ordinateur.
Des bribes de « l’ancienne école » papier subsistent donc dans votre processus créatif ?
Oui car nous passons par de multiples itérations de concepts que nous apposons sur un immense tableau avant de les modifier, les combiner, etc.
Sur votre portfolio, vous mentionnez le « Friday Fun Factory » et aussi que plusieurs éléments du jeu final en sont issus. En quoi consistait ce concept et pourriez-vous nous donner des exemples précis ?
Très tôt dans le processus de développement, lorsque nous commencions à concevoir cette nouvelle IP à partir de zéro, j’ai voulu laisser une liberté de création totale aux designers pour qu’ils n’aient pas de regrets après coup sur l’absence de tel ou tel concept. J’ai donc proposé la chose suivante : le vendredi, vous pouvez imaginer ce que vous voulez selon les deux règles suivantes : vous devez avoir terminé en une seule journée et cette idée doit être jouable au sein du jeu. Avec une échéance aussi courte, les designers n’avaient pas le temps de s’attarder sur les détails et devaient in extenso en revenir à l’essence même du jeu que nous étions en train d’élaborer. Un exemple est cette machine à l’apparence équine qu’Aloy peut enfourcher pour se déplacer sur son dos. Si les mouvements faisaient penser à du papier carton dans sa première mouture, la machine finale que vous croiserez dans le jeu est néanmoins issue d’un tel processus créatif.
Le personnage d’Aloy que le joueur incarne fait penser à l’une des héroïnes vidéoludiques les plus mythiques : Lara Croft. Mais le fait qu’elle combatte ces gigantesques créatures mécaniques rappellent également deux autres personnages féminins iconiques au cinéma : Ellen Ripley dans Alien et Sarah Connor dans Terminator. S’agit-il là encore de références pour la création d’Aloy ?
Comme pour le reste, nous n’avions pas de références spécifiques mais à l’instar des trois héroïnes que vous mentionnez, nous voulions qu’Aloy soit à son tour un personnage fort, indépendant et qui sorte du lot. Elle aussi est le fruit d’une combinaison d’idées émanant de tous les designers du studio qui ont chacun leurs propres influences afin d’aboutir à une héroïne qui soit unique en son genre.
Il y a trois façons de jouer à Horizon Zero Dawn : chasseur furtif, guerrier rentre-dedans ou bien guérisseur bienveillant. En quoi ces trois approches influent-elles sur le jeu ?
Cela fait référence aux trois orientations au sein de l’arbre de talent d’Aloy. C’est son histoire que le joueur va suivre, celle d’une chasseuse, d’une guerrière mais nous voulions offrir le choix dans la façon d’aborder chacune des confrontations de ce périple selon que vous préférez avoir recours aux armes ou aux possibilités de l’environnement. Pour autant, notre approche n’est pas mono-dirigiste. Un combat peut très bien débuter furtivement, puis un événement inattendu survient qui vous oblige à revoir votre stratégie. Le joueur devra donc s’adapter face à de tels imprévus.
Pouvez-vous nous dire combien de temps il faudra avant de voir la fin de Horizon Zero Dawn ?
Je peux vous dire que vous allez en avoir pour de très nombreuses heures. Je ne pourrais pas vous donner un chiffre précis car tout dépendra de votre façon de jouer. Il n’y a pas que la quête principale, il y a de très nombreuses histoires annexes à explorer. Le monde qu’Aloy va traverser est à la fois très vaste et diversifié depuis les sites enneigés jusqu’aux forêts tropicales et aux déserts arides en passant par d’immenses canyons.
Sans rien spoiler de l’histoire, le but principal de l’intrigue consiste-t-il uniquement à découvrir comment le monde a terminé ainsi ou bien y a-t-il d’autres découvertes à faire ?
Il y a d’autres mystères mais la motivation première d’Aloy consiste à percer le mystère de ses origines. Et chemin faisant, sa quête personnelle sera intimement liée à l’histoire du monde au sein duquel elle évolue : d’où viennent ces machines et qu’est-il advenu de l’humanité ?
Le gameplay propose également plusieurs possibilités de réponses lorsque vous dialoguez avec un autre protagoniste. Ces choix influencent-ils d’une manière ou d’une autre le déroulement de l’intrigue ?
Ces choix vous donnent par exemple un droit de vie ou de mort sur tel ou tel personnage ou bien vous permettent d’exprimer un ressenti différent face à une situation donnée. Mais s’agissant une fois encore de l’histoire personnelle d’Aloy, il n’y a qu’un seul cheminement narratif et une seule fin possible.
Une fois encore sans rien spoiler de l’histoire, doit-on s’attendre à un énorme twist final qui explique comment la Terre a fini ainsi, à l’instar par exemple de La Planète des singes (1968) et de sa mythique séquence finale où Charlton Heston se retrouve au pied de la Statue de la Liberté et s’écrit : « Ils l’ont finalement fait ! ».
L’histoire est conçue de telle sorte que vous obtiendrez des indices tout au long de votre périple qui vous conduiront très habilement jusqu’au moment de la révélation en question. Je ne peux rien dire de plus pour ne rien spoiler (rires).
Étant donné que vous avez travaillé sur de très nombreux jeux Star Wars, il faut forcément que je vous pose la question : quel est votre film Star Wars préféré ? Et qu’avez-vous pensé des deux derniers : Le Réveil de la Force (2015) et Rogue One (2016) ?
Mon Star Wars préféré est sans conteste le tout premier, l’Épisode IV originel pour la simple et bonne raison qu’il est sorti alors que j’avais l’âge requis pour qu’il me fasse une aussi forte impression. Ce film a eu un impact énorme sur moi car il m’a démontré combien il était possible de laisser libre cours à son imagination. Quant aux deux derniers, je les ai bien aimés avec toutefois une préférence pour Rogue One car l’histoire est directement liée à celle de l’Épisode IV qui reste mon Star Wars fétiche.