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The Witch : Cris et chuchotements

Précédé d’un buzz assez phénoménal depuis sa première projection à Sundance en janvier 2015, The Witch sort enfin sur les écrans français sous la bannière Universal qui ne craint donc pas que des milliers de petits malins impatients de découvrir ce premier long signé Robert Eggers ne l’aient déjà visionné derrière leur ordi ou téléviseur. C’est que nanti de sa réputation d’œuvre singulière voire régénératrice du genre (le réalisateur le catalogue lui-même comme un film d’horreur), The Witch était le candidat idéal pour se retrouver sur toutes les plateformes de téléchargements peu légales avant même d’être dispo en DVD, VOD et Blu-ray dans son pays d’origine (le 17 mai dernier). On est donc à la fois heureux que la branche française d’Universal ait décidé de l’exposer dans nos salles sur pas moins de 144 copies tout en ayant bien du mal à comprendre la logique d’une date de sortie aussi tardive.

The Witch - Affiche

On ne connaît pas les objectifs d’entrées. Y en a t-il d’ailleurs ? Compte tenu de la campagne quasi inexistante autour de cette sortie uniquement repérée par ceux qui se tiennent au jus, on peut même dire que pour Universal, l’idée était certainement de faire au mieux avec les moyens du bord. À savoir s’appuyer sur la presse cinéma qui surfait depuis un moment déjà sur le phénomène sans même l’avoir vu et pourquoi pas aussi sur ceux qui l’auraient découvert en mode fuck Hadopi et qui à leur manière pouvaient porter la bonne parole sur les réseaux sociaux. Le fait est que le film a fait débat et qu’il ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Il semble clivant pour pas mal de jeunes queutards en mal de sensations fortes qui se sont plaints de ne pas en avoir eu pour leur argent (qu’ils n’ont pas dépensés faut-il le rappeler). D’autres ont confirmé les premières impressions très positives pour ne pas dire dithyrambiques glanées à Sundance. Ils y ont vu un film hors norme, peu en phase avec le genre auquel on veut bien le coller. Un truc méta qui va puiser ses inspirations bien loin de son port d’attache. De quoi donner l’eau à la bouche à une époque où le risque en cinéma devient un mot tabou.

The Witch raconte la lente descente aux enfers d’une famille puritaine de la Nouvelle-Angleterre du XVIIème siècle. Bannie du village par des concitoyens qui l’accuse de pratiquer la religion d’une manière peu conforme à la norme ecclésiastique ambiante, elle s’installe dans une contrée sauvage à l’orée d’une forêt pas très catholique. Pour le moins. Vu le titre du film, on devine ce qui s’y trame. Mais même là, alors que l’histoire semble suivre un chemin tout tracé, le réalisateur / scénariste dont les méticuleuses recherches historiques et plastiques sont évidentes à l’écran, nous emmène en des contrées très éloignées de nos attentes tant au niveau de la forme que du fond. Un constat qui passe essentiellement par la représentation de cette famille dont les failles d’abord ténues sont sans cesse charcutées par une caméra cliniquement introspective. C’est en effet sans états-d’âme que Robert Eggers arrive à ses fins. En explosant joyeusement son petit monde pour mieux révéler le côté inutile de leur existence et ce dévouement déiste jusqu’au-boutiste dont il attribue l’origine de leur perte.

En cela The Witch est en effet un film d’horreur. Le plus glaçant qui soit car il est une condamnation sans une once de mansuétude de la psyché humaine. De celle qui a fondé nos croyances, notre morale, et notre intellect d’homme dit civilisé. À l’image cela donne une mise en scène, une photo, des plans et un credo analytique proche d’un Dreyer ou d’un Bergman. Il y a en effet quelque chose de rigoureux et de très froid ici. Quelque chose de tapis dans la forêt qui se nourrit des fantasmes et des peurs de ceux qui veulent bien lui attribuer une forme, un nom, une existence et un but. La photo est lourde (de sens) et alourdit un ciel déjà de plomb. Les hommes, femmes et enfants semblent s’y mouvoir avec peine comme harassés par un destin dont ils en connaissent inconsciemment la finalité. La langue aussi est pataude, rugueuse comme sortie tout droit d’un âge dont on a perdu la trace. Jusqu’au format en 1.66 qui emprisonne tout ce petit monde dans une sorte de verticalité claustrophobe alors que nous, spectateurs, cherchons avec anxiété ce qui va nous tomber sur le coin du crâne.

Car The Witch suscite une sorte de trouille que l’on ne pensait plus ressentir au cinoche. De celle lancinante, malaisante et incroyablement charnelle. De celle qui colle à la rétine mais aussi à l’épiderme pour ne plus vous lâcher. C’est poisseux et incroyablement envoûtant. The Witch s’insinue ainsi par tous les pores et laisse au moment du générique de fin un arrière-goût dégueulasse au fond de la gorge. Eggers parvenant là à retrouver l’essence même du film de peur sans que l’on ait eu besoin de sursauter une seule fois. The Witch remonte ainsi très loin aux origines du cinéma et nous offre le privilège de ressentir ce que les premiers spectateurs ont certainement vécu quand ils ont assisté à l’entrée du train en gare de la Ciotat des Frères Lumière. Nous ne nous sommes pas barrés hors de la salle en hurlant mais ce n’est certainement pas l’envie qui nous a manqué.

The Witch de Robert Eggers – 1h33 (Universal Pictures France) – 15 juin 2016

Résumé1630, en Nouvelle-Angleterre. William et Katherine, un couple dévot, s’établit à la limite de la civilisation, menant une vie pieuse avec leurs cinq enfants et cultivant leur lopin de terre au milieu d’une étendue encore sauvage. La mystérieuse disparition de leur nouveau-né et la perte soudaine de leurs récoltes vont rapidement les amener à se dresser les uns contre les autres…

Note : 4/5

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