Dunkerque - Image une critique

Dunkerque : Le cuirassé Nolan

Il faut croire que Christopher Nolan a lu notre critique d’Interstellar (inutile d’écarquiller les yeux et allez plutôt la lire) puisque toutes les dérives que nous pointions intelligemment (oui oui intelligemment) du doigt à l’époque ont été purement et simplement gommées sur Dunkerque. Deux exemples parmi d’autres parce que nous sommes généreux avec toi ami lecteur. La longueur d’abord. 2h50 interminables sur Interstellar, 1h47 ici alors qu’entre nous, y avait là encore matière à pouvoir lâcher les chevaux. À tel point d’ailleurs que l’on regrette cette durée si courte. Oui, on le concède, faudrait savoir ce que l’on veut. On répondra que c’est l’apanage du critique (comme du politique) qui n’aime rien d’autre qu’adapter sa prose (son programme)  en fonction du film (du temps). Le côté verbeux ensuite et accessoirement cette philosophie de comptoir assénée tout au long d’Interstellar versus le peu de dialogues sur Dunkerque qui redonne tout son sens à la mise en scène de Nolan. Pour autant, est-ce que Dunkerque qui n’est au passage absolument pas un film de guerre, change les us et coutumes de l’univers du cinéaste ?

Dunkerque - Affiche

Oui et non comme dirait le normand qui compose avec bonheur notre rédaction. En fait Nolan est un extraordinaire caméléon qui sait parfaitement épouser les contours et les exigences de ses projets sans pour autant se renier. Avec Dunkerque il fait donc table rase de bon nombre d’acquis et de pré-requis « nolaniens » pour s’en créer d’autres. Marque de fabrique des plus grands me direz-vous si par ailleurs ces « nouveautés » ne le faisaient pas retomber dans certains travers. Quelques exemples parleront mieux que de grandes phrases oiseuses.

Le film débute par trois expositions intitulées Terre (ou La jetée) / Air / Mer. Il s’agit là des trois espaces où se dérouleront l’action du film. On précisera qu’à chaque fois est indiqué en dessous une notion de temps : une semaine pour Terre, une heure pour Air et un jour pour Mer. Une temporalité dont on saisira la signification après coup et qu’on vous laisse le loisir de découvrir. Et puis derrière Nolan de complexifier tout cela par un montage qui se joue justement du temps et des espaces comme un clin d’œil à Memento. Et comme pour Memento, une fois que l’on a compris le « truc », cela coule de source. Mais alors que pour Memento le dispositif se justifiait avec toutefois comme limite l’impossibilité chronique de pouvoir revoir le film, la chose ici tourne très vite à vide. On aurait même l’impression que Nolan adopte le procédé pour masquer une forme d’ennui ou pour perdre sciemment le spectateur. Pour autant, on n’oserait affirmer qu’un montage plus classique aurait rehaussé le film. On n’en est incapable. Preuve que Nolan a réussi son coup ?

Il y a ensuite cette volonté de ne pas travailler sur l’empathie des personnages. Nolan préférant l’aspect interchangeable des visages même s’il y a bien un fil conducteur dès le début avec ce « tommy » qui tente par tous les moyens d’embarquer. Là encore il y a une forme de cassure avec ses films précédents et sans remonter très loin avec Interstellar où le cinéaste ramait comme un dingue pour raccrocher les wagons entre le père (Matthew McConaughey) et sa fille restée sur terre (Jessica Chastain). Dunkerque est à ce titre clinique et annihile au passage les codes du film de guerre où l’on s’attarde toujours sur le passé de certains afin de provoquer les émotions du spectateur. Que dalle ici. Encore que Nolan semble une nouvelle fois faire marche arrière dans la deuxième partie du film. Celle qui se concentre sur ces trois personnes parties de Douvres sur un bateau de plaisance, comme beaucoup d’autres, afin de venir en aide aux soldats restés en rade sur les plages de Dunkerque. Là se tissent une histoire, un « background » et forcément pour nous à un retour vers quelque chose de plus familier. Est-ce que le cinéaste a eu peur de définitivement larguer le spectateur ? Est-ce que comme sur Interstellar, il a eu le sentiment de faire fausse route en opérant alors un virage à 180 degrés ? Difficile de trancher. Mais ce qui est certain c’est que cela déconcerte et sort tout le monde de sa zone de confort.

Enfin et sans avoir la prétention d’être exhaustif ici, Nolan remet en cause sa mise en scène usuelle qui sur Interstellar s’appuyait beaucoup sur les visages par exemple ou sur des mouvements opératiques de caméras. Sans vouloir caricaturer, cela donnait souvent une grammaire visuelle un peu binaire pour ne pas dire répétitive et donc saoulante. Avec Dunkerque, Nolan jette tout ça au rebut et va jusqu’à plagier certains plans du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein dans sa façon de filmer la masse compacte des soldats (pour la plupart de vrais figurants) prisonniers sur la jetée ou de leurs mouvements de panique sur la plage. Il y a là comme une volonté de renouer avec l’essence même du cinéma quand la caméra suit les soubresauts, les émotions, le tempo, les migrations et non l’inverse. Quand la caméra impose le rythme et non le subit. Du coup Dunkerque, surtout dans sa première partie, prend littéralement chair pour en devenir organique. D’autant que par ailleurs Nolan s’interdit tout sensationnalisme à La Soldat Ryan achevant de plonger son film dans quelque chose d’anti spectaculaire au possible. On est là face à une forme d’épure doublée d’un retour aux sources qui font sens.

C’est véritablement cette première partie qui nous a emballé avec en point d’orgue la musique de Hans Zimmer. Enfin, on devrait plutôt parler ici de gimmick sonore. Une sorte de tic-tac incessant qui appuie le compte-à-rebours infernal de ces soldats qu’il faut absolument évacuer. Ce n’est d’ailleurs que lors des dix dernières minutes que la musique se fait entendre. C’est à ce moment là et pas avant que le spectateur peut relâcher la pression et arrêter de maltraiter ses accoudoirs. Ce qui nous fait dire que Dunkerque va certainement profiter de la patine du temps et méritera plus que tous les autres films de Nolan le couperet de la revoyure. Et franchement, ce n’est pas le moindre des compliments que l’on peut lui faire dès aujourd’hui.

Dunkerque (2017) de Christopher Nolan – 1h47 (Warner Bros. France) – 19 juillet 2017

Résumé : 1940. Des centaines de milliers de soldats anglais et alliés sont encerclés par les forces ennemies. Ils sont bientôt pris en étau entre la mer et les Allemands…
L’histoire se déroule sur terre, en mer et dans les airs. Des avions Spitfire de la Royal Air Force prennent en chasse l’ennemi, tendant de protéger les hommes sans défense, coincés sur la plage. Entretemps, des centaines de petites embarcations pilotées par des civils et des militaires cherchent à rejoindre Dunkerque pour sauver les soldats. Une opération à haut risque et une véritable course contre la montre…

Note : Entre 3 et 3,5/5

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