The Host (2006) de Bong Joon-ho

The Host : Dans les coulisses de l’édition Collector Blu-ray 4K

En ce début d’été, au cours d’un déjeuner en terrasse d’une pizzeria du 9e à Paris sous un soleil radieux, notre interlocuteur, Guillaume De Castro, responsable des éditions chez The Jokers Films, nous confirme entre la poire et le dessert la rumeur qui courait déjà depuis plusieurs semaines : une édition Blu-ray 4K maxi collector de The Host de Bong Joon Ho est en préparation pour la fin d’année chez The Jokers. Il s’agira d’une exclusivité mondiale sur support Ultra HD. Ni une ni deux, les deux trublions de la rédac de DC attablés avec lui (Sandy et Stéphane) se regardent avec un sourire jusqu’aux oreilles façon « Joker » et se retournent vers leur interlocuteur avec la même lueur dans le regard : ça serait possible d’organiser un reportage en bonne et due forme sur les coulisses de la conception de cette édition ? Histoire qu’on soit un peu moins bête sur comment on fabrique une édition Blu-ray 4K et que par la même occasion les lecteurs qui tomberont sur l’article s’instruisent à leur tour. Rendez-vous fut donc pris à la rentrée de septembre dans les locaux de The Jokers Films (cette fois-ci par une journée fort pluvieuse – oui on aime rester précis à DC même sur des détails dont tout le monde se fout) pour une discussion à bâton rompu dans les arcanes de la fabrication de cette édition méga collector de The Host.

The Jokers a édité son premier Blu-ray 4K en 2020 avec Parasite puis son second en 2021 avec In the Mood for Love. Depuis un an, le rythme s’est considérablement accéléré avec 11 titres Blu-ray 4K parus entre novembre 2022 et juillet 2023. Pourquoi une telle accélération alors que beaucoup se morfondent de la mort à petit feu du support physique ?

Guillaume De Castro : Il faut bien se rendre compte que le marché n’évolue pas « logiquement ». C’est-à-dire que ce n’est pas le support avec la plus haute qualité qui se vend le plus. Aujourd’hui le DVD représente encore la majorité des ventes physiques. Toutefois, ce que nous avons constaté depuis la pandémie de COVID-19, c’est qu’il y a une accélération en faveur du 4K. Le public voulait regarder du streaming, la coupe du monde, etc. et beaucoup ont commencé à s’équiper en 4K : le téléviseur pour commencer puis la PlayStation 5 et la Xbox Series X/S sont arrivées avec des lecteurs Blu-ray 4K intégrés. La 4K a donc commencé à se démocratiser, d’une part chez les consommateurs et par effet domino chez les professionnels. Par conséquent, les coûts de fabrication d’un Blu-ray 4K physique (authoring, pressage, etc.) ont commencé à baisser.

Sur quels critères décidez-vous de sortir tel ou tel film sur support Blu-ray 4K ?

La réflexion est assez simple pour les films de patrimoine : si nous disposons d’un master 4K alors nous le sortons en Blu-ray 4K. Nous vérifions bien sûr auparavant la qualité du master. Si la qualité n’est pas satisfaisante à nos yeux alors nous ne donnons pas suite. Sur les films « frais », la question est différente car la décision est, entre autres, corrélée au succès en salles.

Parmi toutes les éditions 4K que The Jokers a édité jusqu’à présent, les ventes ont-elles été à la hauteur de vos attentes ? Y a-t-il eu de bonnes ou au contraire de mauvaises surprises ?

Les ventes sont corrélées au marché et comme le marché est en baisse… Donc tout dépend des espérances. Certaines ventes sont disons « normales », typiquement Ring, Dark Water ou encore le très beau coffret Infernal Affairs. Le contre-exemple, c’est Lettre d’une inconnue. Le film est magnifique, l’édition est très belle mais elle ne se vend pas. Il y a également des éditions qui se vendent très bien. In the mood for love est un succès à tous les niveaux. Le film continue à faire une centaine d’entrées par semaine dans le même cinéma depuis 1 an et demi et les ventes en vidéo sont elles aussi constantes.

En fin d’année, vous allez donc sortir une édition Blu-ray 4K de The Host (2006) de Bong Joon Ho. Les précédentes éditions Blu-ray et DVD sont sorties en France en 2008 chez Océan Films et distribuées par TF1 Vidéo. Vous avez donc racheté les droits vidéo du film ? Combien de temps dure un mandat chez The Jokers ?

Le mandat de Océans Films était arrivé à échéance. Nous avons contacté en direct les producteurs, Chungeorahm Films et Bong Joon Ho, afin de récupérer les droits pour la France. La durée des mandats est variable. En général, pour les droits vidéo seuls, c’est entre 5 et 7 ans, ce qui n’est pas notre cas. Un mandat incluant tous les droits (cinéma, télévision, vidéo, svod, etc.) dure entre 15 et 20 ans.

À quand remonte ce projet d’une édition Blu-ray 4K de The Host ? Un tel projet d’édition est-il la norme chez The Jokers ?

Le projet a débuté dès que nous avons acquis les droits en 2021 ou 2022, je n’ai plus la date exacte en tête. L’objectif de The Jokers n’est pas d’être un simple distributeur mais bien un acteur culturel. La question que nous nous posons en acquérant les droits d’un film c’est « que peut-on apporter de plus ? ». Pour The Host, le rachat après Parasite (2019) faisait sens car Bong Joon Ho n’est plus le même cinéaste aux yeux du monde qu’il était il y a quinze ans. Le projet initial était donc une ressortie en salles à partir de ce nouveau master 4K. Nous sommes d’ailleurs le seul territoire à l’avoir exploité en salles à ce jour (The Host est ressorti en France le 8 mars 2023). Puis de donner suite avec une édition vidéo car le support physique fait partie de notre ADN. Le travail sur The Host sera prolongé avec un livre de 250 / 300 pages en cours d’écriture par Stéphane du Mesnildot (déjà auteur du livre Memories of Murder, l’enquête) qui revient sur la fabrication du film et la place qu’il occupe au sein du cinéma coréen et sortira fin 2023 ou début 2024.

Quelles sont les grandes étapes d’un tel projet ? Par où commence-ton ? Il y a un cahier des charges à suivre scrupuleusement étape par étape ?

Les étapes en elles-mêmes sont toujours les mêmes. C’est la complexité et l’ampleur du projet qui détermine le nombre d’étapes. Pour une édition de film de patrimoine, la première étape, basique, c’est de voir le film. Nous avons fait une projection d’équipe en salles. Ensuite un gros travail de veille débute pour la recherche de contenus. Pour The Host, nous sommes les premiers à le sortir en 4K mais pas les premiers à le sortir sur support vidéo. Nous avons commencé par récupérer l’édition Collector coréenne de l’époque qui contient quatre DVD, le storyboard, le scénario. Dès le départ, nous savions que nous allions proposer le 4K et le storyboard. Nous rédigeons ainsi une liste des éditions existantes : date de parution et contenu. Si possible, nous tentons de nous en procurer un exemplaire. Ce travail de veille nous permet déjà d’estimer ce que nous allons pouvoir reprendre et ce que nous souhaitons créer en plus en termes de bonus. Très rapidement, nous avons su qu’il y aurait un nouveau documentaire inédit. Mais d’autres éléments sont venus se greffer au fur et à mesure. Fin février, Bong Joon Ho était à Paris pour la ressortie en salles de The Host. À cette occasion, une Masterclass a été organisée et j’ai indiqué qu’il faudrait la filmer pour la proposer en bonus.

Une fois cette direction stratégique définie, nous faisons établir des devis auprès des différents prestataires : le packageur, l’authoreur, les différentes sociétés chargées de la création des bonus. Le tout est réuni au sein d’un PnL (Profit and Loss) grâce auquel nous faisons des estimations de volume de vente par rapport à un prix de vente donné par opposition aux dépenses à engager. Le but est bien entendu de trouver le point d’équilibre et d’atteindre la rentabilité. Même si pour des éditions Jokers Classics très haut de gamme comme celle-ci, la rentabilité n’est pas le but principal recherché. C’est avant tout une question d’image de marque. Une fois que tout le monde s’est mis d’accord, le processus de création de l’édition est enclenché auprès des différents prestataires.

The Host – Edition DVD Collector Coréenne 4 disques

L’idée d’un nouveau mixage Dolby Atmos est apparue dès le départ ?

Oui. Nous avons organisé un sondage auprès de notre communauté afin de recueillir leurs avis et l’un des points qui est ressorti, c’est le Dolby Atmos. Ce qui faisait sens puisque Parasite bénéficiait d’un mixage Dolby Atmos. Notre objectif pour cette édition de The Host était aussi de faire le maximum. Faire en sorte que personne ne puisse arriver après nous et proposer quelque chose en plus. C’est un peu arrogant de dire ça mais en même temps notre but était de rendre hommage au film.

Il y aura donc une piste Dolby Atmos VO et VF ?

Non, VO uniquement. Pour faire une piste Dolby Atmos, il y a là aussi plusieurs étapes. D’abord, il faut demander l’autorisation aux coréens, qui demandent l’autorisation à Bong Joon Ho. Une fois que ce dernier a donné son accord, il faut récupérer les Stems. Les Stems sont en quelque sorte une version « éclatée » du mixage 5.1, des fichiers audios séparés correspondants aux bruitages, musiques, effets, dialogues, etc. Le problème, c’est que nous ne disposons pas des Stems de la VF. Nous n’avons pu obtenir les Stems que pour la VO. Pour ça, il a fallu les désarchiver en Corée, les numériser à nouveau puis nous les envoyer afin de pouvoir faire le mixage Dolby Atmos.

Pour faire une VF Dolby Atmos, il aurait carrément fallu refaire un nouveau doublage ?

C’était l’une des solutions envisageables en effet. L’autre solution aurait été d’essayer de bidouiller. Mais nous n’étions pas très fans du bidouillage.

Ce qui explique aussi pourquoi on ne trouve pas systématiquement des pistes françaises Dolby Atmos ?

C’est l’une des explications possibles. L’autre raison peut également être une question de place et de débit sur le disque. La piste coréenne Dolby Atmos de The Host pèse 4,5Go pour un débit de 10Mb/s. En multipliant le nombre de pistes Dolby Atmos, la place vient à manquer ou bien l’ajout de pistes Atmos se fait au détriment de la place occupée par la partie vidéo et du débit alloué à l’image.

Le Dolby Atmos n’existait pas en 2006, année où The Host est sorti en salles. Dolby a annoncé ce nouveau format en 2012. Comment « fabrique-t-on » une piste Dolby Atmos ?

On part des Stems que l’on fournit en entrée d’un logiciel spécifique à Dolby, sous licence. Le logiciel est suffisamment puissant sur la base du mixage 5.1 pour calculer et créer les nouveaux canaux afin d’aboutir au 7.1.4. Le but consiste à rendre l’expérience acoustique plus immersive mais sans pour autant dénaturer les choix artistiques de Bong Joon Ho. Les trois premières minutes du film sont par exemple impressionnantes, avec cette scène de pluie qui s’écoule du haut du pont où l’on a vraiment l’impression que la pluie est au-dessus de nous, ou encore la première attaque de la créature où celle-ci nous piétine littéralement via les enceintes positionnées au plafond.

Ce nouveau mixage Atmos a été validé par Bong Joon Ho ?

Pas en totalité. Pour la simple et bonne raison que cette piste Dolby Atmos n’est pas à destination du cinéma, ce qui nous retire un niveau de complexité. Le matériel de base que nous utilisons a été validé par Bong Joon Ho. Nous rajoutons une surcouche sans modifier les intentions artistiques originelles. Le son passe par un processus au cours duquel nous avons pu ajuster la verticalité du mix Dolby Atmos. Mais jamais nous n’avons altéré l’emplacement ou l’intensité d’un son.

Avec quels prestataires avez-vous travaillé pour cette édition : laboratoires, freelances, etc. ?

La partie authoring est supervisée par Etienne Rappeneau qui a travaillé entre autres chez Technicolor et qui est aujourd’hui indépendant. C’est lui qui nous a recommandé LUX pour l’étalonnage Dolby Vision. Il s’agit d’un nouveau laboratoire fondé en 2021 qui a entre autres travaillé sur Les Trois Mousquetaires. Le Dolby Atmos a été confié à Creative Sound qui sont des pionniers sur les mixages Atmos en France.

Aussi bien pour l’image que le son, les techniciens dans les laboratoires ont la référence cinéma validée par Bong Joon Ho ?

Oui, l’intention première est de normer. L’intérêt de passer en Dolby Vision est de s’assurer que le rendu soit le plus juste et adapté au diffuseur de chacun tout en restant fidèle au master qui nous a été fourni. C’est le même raisonnement pour la partie sonore. Nous disposons d’un mixage 5.1. Aujourd’hui la norme du dessus, c’est le Dolby Atmos qui nous permet de percevoir des petits détails qui sont bien présents dans le mix d’origine validé par Bong Joon Ho. L’objectif est donc d’améliorer sans rien dénaturer.

Vous êtes propriétaires de ces éléments techniques ?

Nous ne sommes pas propriétaire du master. En revanche nous sommes bien les prioritaires du master étalonné Dolby Vision et du nouveau mixage Dolby Atmos pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont pas été financés par la production du film. Nous avons l’autorisation pour le faire et sommes aujourd’hui les seuls à l’avoir fait.

Donc si des éditeurs d’autres pays (Angleterre, Allemagne, États-Unis, etc.) viennent vous voir car il souhaite réutiliser ces éléments, vous êtes en mesure de leur vendre ?

Oui, bien sûr car c’est du matériel technique. Lors de la signature d’un mandat avec un ayant-droit, il y a des clauses à propos de tel ou tel élément mais dans les grandes lignes, nous sommes libres de nous approvisionner auprès de qui nous voulons. Raison pour laquelle des éditions de pays différents se retrouvent parfois avec les mêmes masters, les mêmes pistes sons, voire les mêmes bonus. Je suis libre d’aller acheter des bonus, un master ou un mix son auprès de qui je veux.

Tu nous avais dit que Bong Joon Ho avait tenu personnellement à prendre part au projet. Comment s’est déroulé cette collaboration ? Et sur quels aspects est-il intervenu ?

Je n’ai pas personnellement Bong Joon Ho au téléphone, malheureusement. Mais il est intervenu à plusieurs reprises et nous avons noué avec lui une relation de confiance depuis plusieurs années. Il est intervenu pour la Masterclass. Il a validé l’artwork qui sert de visuel à l’édition. Manuel Chiche (fondateur de The Jokers Films) qui partait en Corée à ce moment-là lui a présenté personnellement les différentes variantes dont la création a été confiée à l’artiste Madison Coby via l’agence Intermission basée à Londres à partir des briefs que nous leur avions faits. Bong Joon Ho a donné son accord de principe sur la partie Atmos. Concernant l’étalonnage Dolby Vision, étant entendu que nous n’altérons en rien ses intentions artistiques, il n’y a pas besoin de son approbation. Il est assez pris avec son nouveau film actuellement, Mickey 17, mais il recevra l’édition finale et c’est à ce moment-là que nous aurons tous ses retours.

Revenons à présent sur ce nouveau master 4K qui a servi à la ressortie en salle. Vous l’avez récupéré directement de la production coréenne ?

Dans l’ordre, il y a les producteurs, Chungeorahm Films & Bong Joon Ho, qui veulent faire un nouveau master restauré. Ils ont donc suivi les étapes usuelles : scan, nettoyage, étalonnage, le tout sous la supervision de Bong Joon Ho. Ensuite, ils proposent ce nouveau master à ceux qui veulent (et peuvent) en acquérir les droits. Sauf erreur de ma part, à ce jour, nous sommes les seuls à y avoir accès. D’ici quelques mois, voire quelques années, les droits de ce nouveau master seront acquis dans d’autres pays.

Là où le coût peut très rapidement varier, c’est les licences Dolby. Je ne suis pas au fait de tous les détails mais je crois que ce sont des licences louées à l’année. Pour avoir le droit de les exploiter, il faut être formé et agréé spécifiquement par Dolby. Pour le Dolby Vision, il n’y a pas de différences fondamentales entre cinéma et home-cinéma. En revanche, sur la partie son, nous avons créés un Dolby Home Atmos mixé en 7.1.4 qui est en quelque sorte une version « mini » du Dolby Atmos salle avec ses 48 enceintes. La conception d’un Dolby Atmos cinéma aurait nécessité l’approbation de Bong Joon Ho. Le Dolby Atmos que l’on trouve en streaming, sur les consoles de jeux, sur les Blu-ray, c’est du Dolby Home Atmos en 7.1.4.

The Host a été filmé en 35mm. Sont-ils repartis du négatif original pour faire ce nouveau master 4K ?

Ils sont repartis d’un scan du négatif original monté d’une part et d’un scan des plans avec effets spéciaux depuis un internégatif d’autre part. Ensuite les deux scans ont été remontés numériquement pour constituer la source de la restauration. Les étapes de scan, restauration et étalonnage ont été réalisées en Corée sous la supervision de Bong Joon Ho. Nous avons récupéré un master 4K SDR et un master 4K HDR que nous avons poussé en Dolby Vision. La masterisation a été réalisée sous DaVinci Resolve avec les plugins Dolby.

Concernant l’étalonnage. Ce point précis est devenu une véritable ritournelle de complaintes en tous genres sur les forums et autres réseaux sociaux où les gens hurlent à la mort parce que l’image est trop jaune, trop verte, trop ceci ou pas assez cela. Comment s’est déroulé cette étape ?

Déjà, nous avons la source originale qui nous sert de référence. C’est ce master 4K validé par l’ayant-droit que nous récupérons et nous n’altérons en rien l’étalonnage. On passe « simplement » d’un espace colorimétrique le REC.709, à un autre, le REC.2020. Des détails et des couleurs vont alors apparaître qui n’étaient pas ou peu visibles auparavant. Ce qui donne l’impression que des zones de l’image ont été retouchées alors que ce n’est absolument pas le cas. On gagne simplement en contraste, en luminance, en détails, etc. grâce à ce nouvel espace colorimétrique. Mais il n’y a personne dans notre dos qui nous dit de mettre plus de vert, de bleu ou de jaune ici ou là. La différence sera toutefois plus notable entre le Blu-ray en SDR et le Blu-ray 4K en HDR alors que les couleurs sont à la base rigoureusement les mêmes et respectent scrupuleusement les intentions de Bong Joon Ho. Sur In the mood for love, nous avons essuyé des reproches concernant le dégrainage et la colorimétrie. C’est le matériel que nous avons reçu.

Ce qui n’a rien de surprenant puisque Davide Pozzi, directeur de L’Image Retrouvée, nous avait déclaré que les ayants-droits asiatiques étaient friands d’image dénuée de grain.

C’est un débat très subjectif et quasi interminable qui touche au ressenti que l’on a eu quand on a découvert le film la première fois. Le meilleur système pour éviter ça, c’est le Dolby Vision : ce qui sort du labo s’affiche à l’identique sur ton diffuseur à la maison. Ce que ne permet pas le HDR10. Car toutes les métadonnées présentes dans l’étalonnage Dolby Vision vont être retranscrites à l’identique par tous les diffuseurs estampillés « Dolby Vision ». Ça, c’est la théorie. Dans la pratique, ça n’est pas encore tout à fait vrai mais on y vient petit à petit.

Un disque 4K triple couche permet de stocker 100Go au maximum. À titre de comparaison, combien pèse le fichier du master 4K une fois toute la phase de restauration et d’étalonnage terminée ? Il y a forcément une « perte » de qualité lors de la phase d’encodage HEVC H.265 pour faire « rentrer » le film sur un disque 4K de « seulement » 100Go ?

Etienne Rappeneau nous a détaillé en quelque sorte le modus operandi concernant l’authoring du disque. Il y aura forcément toujours une perte de qualité par rapport au master principal. Mais le rôle de l’encodage, et surtout en H.265 (HEVC), est de faire en sorte que cette « perte » ne dégrade en rien l’expérience ressentie par l’utilisateur final.

Le master restauré Dolby Vision pèse 1,3To. Il contient juste l’image en UHD REC.2020 Dolby Vision et l’audio original en 5.1. Le taux d’encodage (débit) de ce master est d’environ 1300 Mb/s. À ce stade, on le considère comme un master ! Bien qu’il soit déjà un peu compressé par rapport à une suite d’images non compressées. Il faut savoir qu’un Blu-ray classique à un débit maximal de 48Mb/s, le Blu-ray UHD permet lui un débit d’environ 122Mb/s. Dans ce débit, tout doit rentrer. On peut comparer ça à un tuyau d’eau. La taille du tuyau est telle que de toute façon, arrive un moment où l’on ne pourra pas faire couler davantage même si on en met plus en entrée.

Le calcul pour The Host a été le suivant. On ne prend jamais le débit maximal comme base, on est donc parti sur 110Mb/s auxquels on soustrait nos pistes sons. Environ 10Mb/s pour la piste coréenne Atmos et 6Mb/s pour la piste française 5.1 en DTS-HD Master Audio 24bits. On a donc un total de 16Mb/s pour les pistes audios. On ajoute à cela 1 Mb/s par flux de sous-titres, au nombre de deux (complet et partiel). Au final, on obtient 18Mb/s pour l’audio et les sous-titres. On sait donc que 92Mb/s (110 – 18) peuvent être alloué à l’image. Mais il faut aussi penser que l’on doit rentrer sur un disque de 100Go (triple couche) qui contient le film et le nouveau documentaire de 52 minutes. À ce moment, on ressort les cours de calcul de débit, et on va donc consacrer 90% du disque au film, afin d’y allouer la meilleure qualité possible, et la meilleure image possible ! Le reste va servir aux bonus, menus, logos, etc. Le débit final affecté au film est de 86Mb/s sur le disque UHD !

Voici les fichiers qui composent le disque UHD de The Host :

Et voici un aperçu du Blu-ray UHD finalisé. On y voit bien que le film occupe la très grande majorité de la place sur le disque :

Pour l’anecdote, nous avions fait une vérification d’authoring UHD en poussant les débits au maximum possible. Et nous n’étions même plus en capacité de lire le disque. Les données étaient très impressionnantes sur le lecteur avec des débits qui culminaient à 130Mb/s mais au final le lecteur freezait complètement car il n’était plus capable de lire le flux de données.

Il n’est pas rare de découvrir des « pépins » une fois les éditions mises en vente : des problèmes avec une piste son, des problèmes de lecture sur certaines platines, des jaquettes avec des informations erronées, etc. Des pépins qui entrainent ensuite, lorsque l’éditeur le veut bien, des procédures d’échange que l’on devine très coûteuses, aussi bien sur le plan financier que logistique. Comment fait-on pour s’assurer que de tels pépins n’arrivent pas et que l’édition définitive mise en vente est irréprochable ?

La clé pour que tout se passe bien, c’est la vérification de tous les éléments encore, encore et encore. Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’erreur mais nous aurons fait tous les efforts nécessaires pour l’éviter. J’ai vu le film une fois avec l’équipe, une fois pour le Dolby Vision, une fois pour le Dolby Atmos, je l’ai revu la semaine dernière avec le Dolby Vision et le Dolby Atmos et je vais à nouveau le revoir pour vérifier la compression sur les disques. Et encore je fais partie de ceux qui l’ont visionné le moins. D’où l’importance d’avoir une liste de prestataires compétents et qui comprennent les enjeux de la vérification continue. Par ailleurs, Etienne Rappeneau a travaillé avec une autre société, Com’ On Screen, afin d’assurer un niveau de vérification supplémentaire.

Qu’en est-il des bonus ? L’édition Blu-ray sortie chez Océan Films en 2008 en proposait déjà beaucoup (près de 2h) et l’édition américaine sortie chez Magnolia en 2007 également avec notamment un commentaire audio du réalisateur. Qu’en sera-t-il de cette nouvelle édition ?

Nous avons repris ceux fournis par la production à l’époque (d’où le fait qu’ils soient en SD) et que l’on trouvait sur les éditions françaises, américaines, coréennes, etc. En revanche, nous n’avons pas repris le commentaire audio car il aurait fallu le sous-titrer ce qui aurait engendré un surcoût non négligeable car il aurait fallu retranscrire les deux heures de commentaires puis faire traduire cette retranscription en français. Il y a au total 4h35 de bonus dont 2h15 inédits. On trouve Histoire de famille, un nouveau documentaire inédit de 52 minutes tourné en Corée par Jesus Castro-Ortega qui avait déjà réalisé un documentaire pour Memories of Murder. Tout le monde revient sur The Host 15 ans après. On trouve la Masterclass de 71 minutes (minutage confirmé par Guillaume himself / NDLR) de Bong Joon Ho avec Thierry Frémaux au Grand Rex. Nous avons rajouté un petit module qui met côte à côte certaines séquences à l’état de storyboard en les comparant avec le résultat à l’écran. On trouvera également le storyboard complet de 334 pages qui contiendra 58 pages inédites et proposé en trois langues : coréen, anglais, français.

C’est ce que l’on peut appeler une édition « méga collector » !

En définitive, nous aurons une édition triple disques : un Blu-ray 4K et un Blu-ray contenant chacun le film et le nouveau documentaire de 52 minutes ainsi qu’un troisième disque, un Blu-ray de bonus auquel s’ajoute le storyboard complet. Le dernier point sur lequel nous avons passé plusieurs mois concerne le packaging : nous avons fait plusieurs essais à blanc en tentant d’hybrider plusieurs aspects, l’affiche, le livre et l’édition vidéo, pour aboutir à un Digipack dans lequel nous avons glissé un étui pour pouvoir mettre le storyboard, le tout avec une petite fermeture magnétique histoire de faire un peu plus classe.

D’autres éditions « non collectors » sont-elles d’ores et déjà prévues par la suite ?

Oui mais aucune date n’est arrêtée. La priorité est donnée à l’édition Collector, la plus prestigieuse, celle qui a nécessité le plus de travail. Et lorsque nous sortirons une édition « normale », il n’y aura pas le disque de bonus, ni le storyboard bien entendu.

Peux-tu déjà nous teaser quelques-uns des autres projets 4K prévus pour l’an prochain ?

Nous travaillons en ce moment sur trois films de Kim Jee-woon : Foul King (2000), Deux sœurs (2003) et A Bittersweet Life (2005) qui bénéficieront tous de sorties 4K restaurées avec une ressortie salle inédite en France pour Foul King et une version Director’s Cut elle aussi inédite pour A Bittersweet Life. Nous proposerons également quatre nouveaux films de Wong-Kar Waï mais qui ne sortiront pas tous en 4K : Chungking Express (1994), Les Anges déchus (1995), Happy Together (1997) et The Hand, un segment qu’il a réalisé pour le film Eros (2004) que nous proposerons a priori en version longue. Et la petite exclu que je peux vous donner, ça parle de samouraïs et ils sont sept. Nous le sortirons en 4K fin 2024 et ça sera notre grosse sortie de l’année prochaine.

Remerciements à Guillaume De Castro et toute l’équipe de The Jokers Films pour nous avoir accueilli pour ce reportage. Merci également à Étienne Rappeneau pour tous les éléments techniques qu’il nous a communiqué.

En haut : Trois maquettes en blanc pour des essais de packaging
En bas : Le packaging final

Une réflexion sur « The Host : Dans les coulisses de l’édition Collector Blu-ray 4K »

  1. Assez surpris par certaines précisions ou réponses apportées par Guillaume.
    Sur In The Mood For Love : si les discussions (bel et bien légitimes, et non issues de délires de fans imbuvables) sur l’étalonnage proviennent bien de l’étalonnage de la restauration directement, tout comme elle a été originellement dégrainée, les disques The Jokers (BR comme UHD) possèdent bien une passe ADDITIONNELLE de dégrainage (ou bien un problème notable d’encodage) : exemple ici

    Sur l’Atmos : très surpris par l’annonce du débit de la VO Atmos de The Host. Sauf à faire du 96/24, une piste Atmos a plutôt un débit moyen de 6 à 7 Mbps (avec quelques exceptions plus haut, mais on se situe là). C’est bien pour ça qu’on trouve des Blu-rays (et encore plus des UHDs) avec une VO ET une VF en DTHD Atmos. C’est par exemple le cas chez Metropolitan de façon régulière, y compris sur des films de 2h (on ne parle pas avec The Host d’un film de 2h30), et ces pistes font 4.5 à 6 Mbps, et n’empêchent pas d’obtenir des débit vidéo satisfaisants. De toute manière, dans ces conditions, passer d’une piste DTS HD MA 48/24 à 4.5 Mbps à une piste Atmos à 6 Mbps, ce n’est qu’1.5 Mbps de différence…

    Sur le HDR et le BT2020 : ce paragraphe est très confus : qu’ont-reçu The Jokers ? Un master SDR Rec709 ou un master HDR BT2020 ? Si c’est un master SDR Rec709 : il me semble que cela n’a techniquement aucune réalité concrète de parler de « passer « simplement » d’un espace colorimétrique le REC.709, à un autre, le REC.2020 » avec des « détails et des couleurs qui vont alors apparaître qui n’étaient pas ou peu visibles auparavant. » car une fois les données compressées, écrêtées par le SDR et le Rec709, il ne me semble pas que quoique ce soit pourra « réapparaître » avec la bascule, car ça reviendra à imaginer retrouver un spectre sonore complet quand on prend un mp3 128kbps et qu’on le réencode en FLAC (ce qui n’est absolument pas le cas).

    Enfin, je suis très perplexe face à l’analyse du marché UHD, qui parle d’accélération et de démocratisation grâce aux consoles : en pratique dans les chiffres, les ventes d’UHD a toujours été sous toutes les précédentes projections du marché et le reste encore, et il ne représente toujours qu’environ 3% max en volume des ventes en France.

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