Mourir peut attendre - Image une critique

Mourir peut attendre (au service secret de sa Majesté)

Daniel Craig a hésité avant d’endosser une dernière fois le costume de l’espion de cinéma le plus célèbre au monde. Il faut croire que « l’expérience » 007 Spectre ne l’a pas totalement convaincu et qu’il manquait une véritable conclusion rompant ainsi avec la tradition de la franchise. Et de fait avec ce cinquième et dernier opus, l’évidence est là. On ne sait si les têtes pensantes avaient déjà à l’époque de Casino Royale en 2006 une vague idée de l’arc narratif des cinq prochains films (un peu comme cela se fait de nos jours sur une série télé), mais à l’évidence aujourd’hui celui-ci s’inscrit à la fois dans une authentique continuité bondienne tout en s’en démarquant plutôt violemment. De fait Mourir peut attendre ne manquera pas d’irriter les autoproclamés gardiens du Temple alors qu’à l’évidence il marche dans les pas d’un certain Au service secret de sa Majesté (1969) réalisé par l’oublié Peter Hunt. Il est vrai l’un des films, sinon le film le plus décrié de la série mais aussi le Bond le plus cathartique de la franchise et finalement celui qui nous tient le plus à cœur. Jusqu’à aujourd’hui.

Mourir peut attendre - Affiche

Car oui Mourir peut attendre est un objet filmique délicieusement et incroyablement ambivalent. Pour ne pas dire schizophrène. D’un côté on retrouve tout ou quasiment toute la bible de ce que l’on est en droit d’attendre au sein du bestiaire bondien à savoir les gadgets high-techs, la Aston Martin DB5 (électrique !) et sa course-poursuite qui va bien, un générique de début au graphisme gentiment vintage sur une composition et des vocalises de Billie Eilish, la star électro-pop du moment, les personnages récurrents (Q, Monepenny, M…), sans oublier le « bad guy » qui fait le pont avec l’autre versant moins attendu sinon déstabilisant mais définitivement passionnant de ce Mourir peut attendre. Interprété par Rami Malek que le grand public a véritablement découvert avec la série Mr Robot, il symbolise à bien des égards la prise de risque maximale recherchée par les scénaristes et la production.

C’est que voilà un super vilain motivé par peu de choses et certainement pas par le Commander Bond. Au tout début en tout cas comme le démontre la séquence d’introduction, passage obligé et attendu par les fans et les autres. Si elle détonne par l’absence même du personnage principal, elle noue en 25 minutes tous les enjeux à venir de ce 25ème opus. Oui vous avez bien lu, quasi ½ heure d’intro qui ne cherche même pas à repousser les limites de l’exercice où explosions et cascades improbables sont normalement la norme. Là, il est juste question de raconter une histoire en forme de flashback. Et c’est juste délicieusement osé pour un James Bond. Le vilain introduit (si l’on puis dire), il faut dorénavant faire le lien avec l’homme au permis de tuer. Sans vouloir révéler plus que nécessaire, le lien s’appelle Léa Seydoux qui est tout sauf une James Bond girl mais qui rappelle la sublime Diana Rigg alias Tracy Bond dans Au service secret de sa Majesté. Le seul film où James décide de se marier avec la fille d’un parrain de la mafia alors que dans le même temps il doit lutter contre l’organisation d’un certain Blofeld, décidé à propager un virus capable d’anéantir une bonne partie de l’humanité.

Quand dans Mourir peut attendre Madeleine Swann (Léa Seydoux donc), fille de tueur rappelons le, entraîne bien malgré elle James Bond dans les bras de Lyutsifer Safin (vous l’avez ?) qui outre l’ambition de faire sienne Madeleine est bien décidé à propager un virus capable d’anéantir une bonne partie de l’humanité (bis repetita). Sauf que Malek n’est pas Telly Savalas dans Au service secret de sa Majesté. Le réalisateur Cary Joji Fukunaga le voulant à l’évidence peu charismatique mais sans cesse anxiogène, doté d’une intelligence hors norme exacerbée par une enfance traumatique (comme c’est toujours le cas dans tout bon 007 qui se respecte) mais aux motivations somme toutes très circonscrites. À tel point d’ailleurs que le film ne les donnera jamais vraiment jusqu’à cet échange entre Bond et M dans son bureau du MI-6 où chacun reconnaît qu’à part annihiler une partie de l’humanité façon Thanos chez Marvel, ils ne voient pas.

Ce qui quelque part donne un sacré coup de vieux aux 24 autres films dans le sens où les Dr No, Spectre et autre Blofeld, pour ne citer que les premiers qui nous viennent à l’esprit, se transforment instantanément à la vision de Mourir peut attendre en de simples faire-valoir rappelant par l’épaisseur de leur traitement, des personnages de cartoon où plus c’est gros et « over the top » mieux c’est. Bien conscient de cela, les instigateurs de ce nouvel épisode n’ont ainsi pas voulu une nouvelle fois tomber dans la surenchère et tout surgonfler préférant donc se concentrer sur des problématiques qui n’ont plus rien à voir avec la galaxie bondienne. Beaucoup s’en sont déjà offusqués rejetant en bloc cette vision qui va à l’encontre de l’idée même que l’on se fait du personnage et de sa psyché, nous on y voit une petite (r)évolution qui sur un film (l’avenir nous dira s’il ne s’agit que d’un « accident ») parvient à revitaliser en profondeur une saga qui ainsi n’en devient que plus iconique.

Mourir peut attendre - Ana de ArmasMesdames et Messieurs – Anna de Arma

D’autant que les scénaristes et le réalisateur n’ont pas abandonné en cours de route l’idée ne nous proposer un film qui respecte les codes du genre. Au-delà des poursuites spectaculaires à moto, en bagnole, à cheval (non pardon on s’emballe), on a droit à des sidekicks foooormidables. À commencer par la renversante Ana de Armas qui joue une agente de la CIA prénommée Paloma (rien que le blaze on fond littéralement de bonheur) qui vient épauler Sir Bond à Cuba. En la découvrant on se dit bon, voici la nouvelle sexy Bond girl annonçant trois semaines (intensives) d’entraînement et dont on se dit qu’elle va finir dans les bras de l’agent secret qui au passage n’est plus au service de sa Majesté puisqu’il a pris sa retraite (cf. la fin de 007 Spectre). Que nenni. La donzelle s’affirme déjà comme une agente hors-pair – à tel point que James Bond, tout étonné, répète en pleine castagne du coin de l’œil « Three weeks indeed ! ») – pour tirer ensuite sa révérence comme si de rien n’était. C’est ainsi. Bond ne se déplace plus avec le symbole phallique tatoué sur le front.

Et puis le vrai 007 du film c’est Nomi jouée par Lashana Lynch. Soit une femme noire dont on sait déjà qu’elle ne sera pas le futur visage de la franchise. C’est peut-être le seul petit bémol de Mourir peut attendre. Prendre une telle option et ne pas la conserver (même si l’avenir n’est pas gravé dans le marbre au moment où ces lignes s’écrivent toutes seules) est une petite gabegie. Il faut dire aussi qu’elle est sans cesse dans l’ombre d’un James Bond avec ce personnage qui tel qu’il était écrit était de toute façon bien difficile à défendre. Un petit manquement / maladresse qui, ne nous y trompons pas, ne nuit en rien à la réussite insolente de ce nouveau James Bond.

Daniel Craig a par ricochet bénéficié de la sortie à laquelle il pouvait prétendre. À la hauteur d’un Casino Royale dont Mourir peut attendre est le parfait négatif. Sean Connery avec Les Diamants sont éternels (on remisera pudiquement sous le tapis Jamais plus jamais sorti en 1983 qui de toute façon n’est pas considéré comme un James Bond officiel), Roger Moore avec Dangereusement vôtre (1985) et Pierce Brosnan avec Meurs un autre jour (2002) n’ont pas eu droit aux mêmes égards (on met de côté Timothy Dalton et George Lazenby qui ne totalisent à eux deux que trois films). Il n’est pas dit que le futur s’annonce radieux. Raison de plus pour chérir ce 25ème Bond qui est à la hauteur des attentes et qui doit à n’en pas douter satisfaire un Daniel Craig qui signe là sans conteste et indéfectiblement la meilleure caractérisation du personnage… juste devant Lazenby. Chapeau bas !

Mourir peut attendre (2020) de Cary Joji Fukunaga – 2h43 (Universal Pictures International France) – 6 octobre 2021

Résumé : Bond a quitté les services secrets et coule des jours heureux en Jamaïque. Mais sa tranquillité est de courte durée car son vieil ami Felix Leiter de la CIA débarque pour solliciter son aide : il s’agit de sauver un scientifique qui vient d’être kidnappé. Mais la mission se révèle bien plus dangereuse que prévu et Bond se retrouve aux trousses d’un mystérieux ennemi détenant de redoutables armes technologiques…

Note : 4/5

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *