Robert Harmon - Image une interview

Le réalisateur Robert Harmon nous parle de The Hitcher

Est-il besoin de présenter The Hitcher ? Alors pour les plus jeunes, il s’agit sans aucun doute d’un des films les plus barrés des années 80, décennie qui n’avait de yeux que pour les gros biscotos de Schwarzy et Stallone, symboles d’une Amérique reaganienne en pleine reconquête d’une aura émoussée par le Nouvel Hollywood et sa critique acerbe d’une société montrée comme malade ou a minima en plein doute. Débarque alors sur les écrans en ce début 1986 aux States et en juin chez nous ce film qui ne ressemble à aucun autre. L’histoire d’un automobiliste qui décide de prendre en stop au milieu d’un nulle-part désertique perdu dans l’arrière-pays californien un homme qui va s’avérer être un psychopathe zigouillant tous ceux qui décident de le prendre dans leur voiture. Dis comme ça, The Hitcher semble n’être rien de plus qu’une bonne série Z que l’on pouvait trouver au fin fond du vidéo-club de son quartier. Et pourtant avec le temps il est devenu ce film culte qui raconte en fait une forme de rite de passage (vers l’âge adulte mais aussi du côté obscur de la Force) d’un jeune homme obligé d’affronter le Diable Rutger Hauer en personne quitte à le devenir lui-même (pour toujours ?). The Hitcher est le premier long du réalisateur Robert Harmon qui a depuis pas mal bourlingué à Hollywood en ayant devant sa caméra des noms tels que JCVD, John Travolta, Tom Selleck, Mimi Rogers et dont les dernières réalisations furent dédiées à la série Blue Bloods diffusée depuis septembre 2010 sur la chaîne CBS.

The Hitcher étant sans conteste un de nos films matriciels, nous nous sommes dit que pour sa ressortie au cinéma et son arrivée pour la première fois en Blu-ray et en Blu-ray 4K en France, l’occasion était trop belle pour ne pas essayer de rentrer en contact avec Robert Harmon d’autant qu’on le sait très investi sur ce film via les annonces de l’éditeur anglais Second Sight qui depuis près de deux ans travaille de son côté et sous sa validation sur une édition elle aussi Blu-ray et Blu-ray 4K. On aura d’ailleurs l’occasion d’y revenir. C’est peu de dire que le réalisateur de The Hitcher est revenu vers nous avec diligence et enthousiasme nous invitant à lui poser toutes les questions que nous voulions. Nous nous sommes restreints à une quinzaine avec la possibilité de pouvoir continuer la « conversation » par téléphone. Ce que nous allons faire très bientôt et qui viendra compléter une chronique des Blu-ray et Blu-ray 4K en cours d’écriture. D’ici là on vous laisse en sa compagnie.

 Robert HarmonRobert Harmon by himself © Robert Harmon 2024

  • Pour commencer, pourriez-vous nous dire ce qui vous a donné le déclic d’embrasser la carrière de réalisateur (un film en particulier ? / Un prof / Un ami / Vos parents…) ?

Robert Harmon : D’aussi loin que je me souvienne, dès ma petite enfance, j’adorais les films. Le grand écran, la capacité de ce média à évoquer des émotions à partir de mots, d’images et de sons. Pour moi à l’époque, c’était de la pure magie, et elle perdure encore aujourd’hui.

  • Votre parcours semble donc tourné dès le début vers le cinéma.

Oui, j’ai toujours dit que je voulais devenir réalisateur avant même de savoir vraiment ce que cela signifiait. Je savais juste que lorsque je regardais un film, j’étais très conscient que c’était ce que je voulais faire, peu importe ce que ce impliquait.

  • Avant The Hitcher, vous avez exercé en tant que directeur de la photo et surtout vous avez réalisé le court-métrage China Lake qui est visible sur Youtube en très mauvaise définition. Est-il possible de le voir ailleurs ?

Je ne suis pas sûr pour le Blu-ray français, mais China Lake a été magnifiquement restauré et sera inclus dans le Blu-ray anglais édité par Second Sight (on vous confirme qu’il n’est pas présent dans le Blu-ray édité par Sidonis / NDR)

  • Est-ce une trajectoire classique aux États-Unis de réaliser des courts-métrages pour accéder à la réalisation de long-métrage surtout au début des années 80 quand l’industrie du clip vidéo et de MTV étaient il me semble la norme pour repérer des réalisateurs en herbe ?

Lorsque j’ai décidé de me lancer sérieusement dans la carrière de réalisateur, je voyais deux voies distinctes pour atteindre cet objectif. La première consistait à écrire de bons scénarios, à en vendre quelques-uns pour qu’ils soient réalisés par d’autres, puis à être finalement pris suffisamment au sérieux pour que je puisse dire : « Oui, vous pouvez acheter ce scénario, mais seulement si je le réalise… »
L’autre voie était, comme vous l’avez observé, de faire un court métrage comme une sorte de « carte de visite du réalisateur ». Faire un court métrage qui pourrait attirer l’attention et contourner l’inévitable question « … Oui, mais peut-il réaliser ?
J’ai choisi cette dernière voie car je ne savais pas si je pouvais bien écrire et même si j’en étais capable. Je me disais de plus qu’il me faudrait des années pour faire mes preuves en tant que scénariste suffisamment crédible pour réaliser l’un de mes scénarios.
C’est pourquoi j’ai écrit, produit, cadré et réalisé China Lake. Heureusement, cela a très bien fonctionné pour moi. J’ai terminé le film, j’ai trouvé un excellent agent presque immédiatement et j’ai commencé à recevoir des offres pour réaliser des longs métrages. La rapidité avec laquelle tout cela s’est produit m’a étonné à l’époque – et je reste étonné encore aujourd’hui.

  • Le producteur Edward S. Feldman avait donc vu China Lake ? Et c’est à sa vision qu’il décide de vous proposer la réalisation de The Hitcher écrit par Eric Red ?

Oui c’est exact. Je me souviens très clairement que pendant qu’Ed Feldman (le producteur de The Hitcher donc) et quelques autres directeurs de studio visionnaient China Lake pour savoir si on pouvait me faire confiance pour diriger The Hitcher, j’ai pensé : « Eh bien, je suppose que j’ai fait le bon court métrage… »
China Lake est, à bien des égards, « The Hitcher, Part One ». Et  j’ai donc décroché le poste.

  • Quel est votre apport au scénario ? Ce que je veux dire c’est est-ce qu’il y a eu d’énormes changements entre ce que vous avez initialement lu et ce que vous avez finalement tourné ?

Le scénario a été modifié de deux manières significatives. La première était de le rendre moins violent, en laissant plus de place à l’imagination.
Le second changement majeur concernait le personnage de John Ryder (interprété par Rutger Hauer / NDR). Dans la version originale d’Eric, Ryder était simplement un psychopathe parcourant le sud-ouest des États-Unis, laissant la mort et le chaos sur son passage. Je voulais qu’il soit plus intéressant que ça.
Ainsi, en essayant de rester subtil, nous avons modifié quelques éléments qui lui ont donné un caractère plus « mystérieux » et ajouté quelques indices concernant ses motivations. Nous ne voulions PAS expliquer clairement pourquoi il faisait ce qu’il faisait, mais nous voulions fournir juste assez d’informations pour que le spectateur ait matière à réflexion.

Robert Harmon et Rutger Hauer sur le tournage de The HitcherRobert Harmon et Rutger Hauer sur le tournage de The Hitcher

  • Le casting était-il déjà bouclé quand vous êtes arrivé sur le projet ?

Non, il n’y avait pas de casting au départ. Pour tout dire, j’ai eu énormément de chance d’avoir Rutger et Tommy (C. Thomas Howell / NDR) – et tous les merveilleux acteurs qui ont joué les seconds rôles. Quelle bénédiction pour un réalisateur débutant !

  • Est-ce vous qui avez pensé à John Seale pour le poste de directeur de la photo ?

Oui, je pense que vous pourriez le qualifier de « ma décision », dans les limites du budget et du fait que les producteurs et le studio avaient un pouvoir de « veto » sur ces décisions. Mais, dans les deux cas, ce pouvoir de « veto » n’a jamais été utilisé et il n’y a eu aucun différend ni problème.
Notre producteur (Ed Feldman) venait de terminer Witness, la merveilleuse collaboration Peter Weir / Harrison Ford dont John Seale venait de signer la photo. Ed m’a fortement suggéré de parler avec John de The Hitcher, ce que j’ai fait. Nous avons eu une excellente conversation et Peter Weir a eu la gentillesse de me montrer de nombreux rushes de Witness, qui était encore en cours de montage lorsque nous préparions The Hitcher. J’ai aimé ce que j’ai vu et j’ai proposé à John le poste de directeur de la photo.

Mark Isham - The Hitcher

  • Comment avez-vous choisi Mark Isham pour la musique ?

Lorsque The Hitcher en était au début de la pré-production, la carrière de Mark ne faisait que commencer. Il n’avait réalisé que quelques musiques de longs métrages, dont Never Cry Wolf (Un homme parmi les loups de Carroll Ballard – 1983 / NDR) et Mrs. Soffel (de Gillian Armstrong – 1984 / NDR). J’ai trouvé ces deux partitions mélancoliques, émouvantes, belles et utilisant une instrumentation plutôt inhabituelle, à la fois acoustique et synthétique.
J’ai adoré ces deux partitions et j’ai toujours voulu que The Hitcher soit marqué du sceau de l’inattendue. Le style musical de Mark semblait garantir que cela se produirait si nous l’embauchions. Il me semble me souvenir d’une certaine appréhension de la part de la « haute direction » (en français dans le texte / NDR), en raison de l’inexpérience de Mark, mais j’ai finalement réussi à convaincre tout le monde de prendre le pari.
Je pense que la musique de Mark a joué un rôle très important dans la notoriété et la longévité du film. D’une manière volontariste, The Hitcher tente la juxtaposition forcée entre une grande beauté (photographique, musicale, etc.) et une grande violence teintée d’horreur. Ce « frottement » est au cœur du style du film.

  • Le choix du scope était-il une évidence ?

100% ! J’ADORE le processus d’anamorphose. Même mon court métrage autofinancé  China Lake a été tourné au format anamorphique.
Et je ne veux pas seulement dire que j’aime le rapport hauteur/largeur (généralement autour de 2.35/1.00). J’ADORE aussi les aberrations optiques et les distorsions de la « vraie » photographie anamorphique. Je fais référence en partie, par exemple, à la façon dont le processus de « compression et décompression » provoque la propagation de sources de lumière spéculaire très brillantes (phares de voiture, etc.) sur l’écran dans une ligne bleuâtre frappante.
De plus, le processus d’anamorphose nécessite d’utiliser environ deux fois la distance focale que vous utiliseriez par rapport à la photographie « sphérique » normale, il est donc beaucoup plus facile d’obtenir une faible profondeur de champ. Et j’ADORE la faible profondeur de champ !

Robert Harmon sur le tournage de The HitcherRobert Harmon sur le tournage de The Hitcher

  • Le film est un échec critique aux USA et ses recettes sur le territoire nord-américain ne parviennent pas à renflouer son modeste budget estimé à 6 millions de dollars. Est-ce que cette affirmation lue par ailleurs est correcte ?

Pour être honnête, je n’ai aucune idée de comment le film fut reçu d’une manière critique ou commerciale. Je peux seulement dire à quel point je suis reconnaissant que The Hitcher  semble avoir la même qualité que John Ryder – c’est-à-dire presque impossible à tuer.

  • Pour information (mais je suis presque sûr de ne rien vous apprendre), en France, le film est bien mieux accueilli. Lauréat du grand prix et du prix de la critique au Festival du film policier de Cognac, sorti en salles le mercredi 25 juin 1986, The Hitcher a réalisé 740 734 entrées. Son succès se confirme lors de son exploitation vidéo. Dans la presse, ses admirateurs les plus enthousiastes sont les jeunes journalistes de Starfix, qui lui ont consacré la couverture du numéro 38 du magazine et l’ont sacré meilleur film de l’année. Pour Christophe Gans et François Cognard, il ne fait aucun doute « qu’un cinéaste d’exception est né ».

Comme je l’ai déjà mentionné, je suis très reconnaissant d’entendre des commentaires comme ceux-ci. Et il est par ailleurs très clair que les français en savent beaucoup plus sur le cinéma que l’américain moyen !

  • Christopher Nolan a déclaré que The Hitcher comptait parmi ses films préférés, ce qui explique peut-être la présence de l’acteur Rutger Hauer au générique de Batman Begins, dans un rôle d’homme d’affaires véreux.

Oui, j’ai entendu cela à propos de Chris Nolan – un autre énorme compliment, en ce qui me concerne. J’ajouterai deux autres exemples qui m’ont énormément touchés : il y a des années, j’ai passé du temps avec David Fincher sur le tournage de The Game, et il a mentionné que The Hitcher avait, selon ses mots « … changé ma vie… » . J’ai fait un film avec le formidable assistant réalisateur britannique Brian W. Cooke, qui avait travaillé avec Stanley Kubrick sur plusieurs de ses films. Selon Brian, Kubrick était également un fan de The Hitcher.

  • Tarantino cite The Hitcher comme l’une des rares exceptions de cette décennie vouée aux divertissements inoffensifs, aux côtés de quelques autres contre-exemples réalisés par Michael Mann, William Friedkin, Paul Verhoeven ou Brian De Palma.

Encore une fois, tout cela est extrêmement gratifiant.

  • Quant à Stephen King, il n’hésite pas à classer The Hitcher parmi ses films d’horreur préférés.

Encore une fois… que d’éloges ! Au fait, j’ai tout simplement adoré son livre On Writing. (Écriture : Mémoires d’un métier – Albin Michel).

  • Est-ce que pour vous justement The Hitcher n’est qu’un simple film d’horreur ?

Pas du tout. Je ne suis pas vraiment un fan d’« horreur », même si le mot « horreur » appliqué à un « genre » de film théorique reste assez vague. J’ai toujours, depuis ma première lecture du scénario jusqu’au dernier jour du mixage, pensé à The Hitcher comme à un « thriller psychologique ». Un autre « genre » vague, mais je n’ai pas trouvé plus précis pour le qualifier.

  • Est-ce que The Hitcher a dorénavant acquis ses galons de classiques aujourd’hui aux États-Unis ?

Ce n’est pas vraiment à moi de juger, mais… je le ferai quand même : je pense que la réponse est « oui ». Ce film me suit depuis de nombreuses décennies et j’ai entendu d’innombrables histoires et anecdotes concernant ses effets sur de nombreuses personnes. Assez inattendu et très satisfaisant.

  • Extrait pris du livret présent au sein de l’édition Blu-ray et Blu-ray 4K français : The Hitcher a été restauré en 4K par Sidonis Calysta en 2024 à partir d’un Interpositif 35m/m qui après un nettoyage du support pour enlever les poussières a d’abord été scanné en 4K par le laboratoire Eclair en France. L’élément scan 4K a ensuite été envoyé au laboratoire Subtilly/DR couleur à Madrid (Espagne) pour y être nettoyé numériquement image par image afin de retirer les défauts et points blancs subsistants et étalonné pour une finalisation destinée à sa ressortie en salles par Tamasa distribution et Sidonis Calysta en 2024. Le film est également doté d’un nouveau sous-titrage en français.
    Ma question est est-ce que vous avez été consulté/sollicité pour cette édition ?

Malheureusement non.

  • Quelle est votre implication au sein de l’édition Second Sight qui annonce être repartie du négatif original ?

J’ai travaillé en étroite collaboration avec Second Sight et j’ai été profondément et particulièrement impliqué au niveau de l’étalonnage.

  • Question bonus : Quel est le dernier film que vous avez vu au cinéma qui vous a fortement marqué ?

Question difficile, avec de nombreuses réponses possibles. Je vais rester simple et choisir Dune. Juste un film époustouflant.

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