Aujourd’hui, Walerian Borowczyk est d’abord connu pour les porno-soft un poil décalés qu’il a réalisés dans les années 1970-80. Plusieurs fois diffusés à la télévision au fil des années, sur Arte et Canal+ notamment (souvenirs très très émus en mode codés de La Bête programmé comme porno du mois au milieu des années 80 / NDSG), Les Contes immoraux ou La Bête ont surpris les yeux curieux des spectateurs de deuxième partie de soirée plus ou moins enchantés de voir des chevaux se monter dessus ou un jeune Fabrice Lucchini courir sur la plage après sa cousine pour la séduire au milieu des dunes dans des récits historiquement marqués qui reprennent certains grands thèmes amoureux desdites périodes : courtois, libertin, romantique… tout en y contrevenant quelque peu.
Théâtre de Monsieur & Madame Kabal
Pourtant, ce qui fait le grand intérêt du cinéaste Polonais tient peut-être davantage à ses perspectives dépravées qu’à sa dépravation sexuelle, ce qu’un certain imaginaire populaire a pourtant retenu. Né près de Poznan en 1923, Borowczyk débute en suivant la grande tradition polonaise de l’époque : la peinture, le dessin mais surtout l’affiche, qu’elle soit créée pour le cinéma, le théâtre, les expositions. L’affiche polonaise s’est surtout développée au cours des années 1950 et 1960, portée par l’académie des Beaux-arts de Varsovie. Elle a permis à de nombreux artistes de s’exprimer de manière simple et puissante au-delà de la censure gouvernementale annihilant souvent des prétentions publicitaires premières pour proposer quelque chose d’autre. C’est l’image donc qui intéresse en premier lieu Borowczyk, ce que suggèrent ses premiers films d’animation en collaboration avec Jan Lenica, autre grand animateur et affichiste polonais.
Au cours de leur collaboration qui dura le temps de 5 courts-métrages, ils ont développé une animation au mouvement très limité, rapprochant leurs films du dessin, de la peinture ou de la photographie, et ayant recours à différentes techniques. Leur objectif avoué était de revenir et de rendre hommage aux trucages et expériences fantasmagoriques des débuts du cinéma : Méliès, Reynaud ou Marey. Leur style, à la fois épuré et quasi dadaïste ou ubuesque a plu puisqu’ils ont remporté le grand prix du festival du film expérimental de Bruxelles avec Dom en 1958, ce qui leur a permis de s’installer en France et de continuer une carrière solo.
Si ces premiers films ne sont malheureusement pas inclus dans le coffret Carlotta, on pourra voir les courts réalisés par la suite. Animés, documentaires, ou fictions en prises de vues réelles, ils sont toujours marqués par une recherche plastique, une hybridité et un aspect grotesque assez surprenant, à l’image des Astronautes, coréalisé avec Chris Marker mais à propos duquel Marker disait qu’il s’agissait plus d’un film de Borowczyk que d’un des siens. Ces courts-métrages – une vingtaine faits entre 1959 et 1984, en plus des longs – sont autant d’expériences sensorielles, narratives et esthétiques qu’il reprendra, ouvrira, développera pour le meilleur ou pour le pire dans ses longs-métrages ultérieurs. On retrouve déjà un imaginaire érotique dans certains d’entre eux, un goût pour l’infanticide (qui ressurgira dans Histoire d’un péché) et le conte noir dans Rosalie, des cauchemars surréalistes et un amour des atmosphères putrides dans quelques autres.
Ces expériences sur l’image et le mouvement seront sublimées dans son seul long-métrage animé, lui aussi combinant de multiples techniques et situé aux confins de la bande-dessinée, du cinéma et des arts graphiques : Théâtre de Monsieur et Madame Kabal, réalisé en 1967. Ce film est une sorte d’ouvroir pataphysique sans réelle narration qui rappelle fortement Beckett ou Topor. Il montre des scènes de la vie quotidienne de personnages mal esquissés et aux prises avec un monde là encore minimal – souvent constitué d’un fond blanc et de quelques traits – et toujours absurde.
Borowczyk arrive au long en prise de vues directes deux ans après, en 1969, avec Goto, l’île d’amour et l’obligation nouvelle d’avoir une narration un peu plus construite même si elle reste une fois encore minimale. On y rencontre Pierre Brasseur en dictateur agréable sur une île perdue on ne sait où aux prises avec un criminel gracié qui cherchera sa perte en manipulant tout le monde autour de lui. Ce qu’on retient c’est l’univers clos, la photo en noir et blanc entrelacée d’image en couleur et le décor inquiétant, bercé de quotidien mais totalement irréel dans lequel Borowczyk amène le spectateur.
Et on se rend compte que même dans le long-métrage, alors que le mouvement s’affine et devient plus commun, une thématique poursuit Borowczyk : la relation et l’interpénétration faussement logique et cauchemardesque entre l’image et l’imaginaire. Son monde est d’abord visuel, bizarre et décalé. Il lui faut nécessairement des images chocs, surprenantes, inattendues, perverses, dégradantes, sublimes, horrifiques qui s’incrustent dans l’esprit du spectateur longtemps après avoir vu les films. La bête du film homonyme en est une belle, de même que son M. Hyde ou que les scènes faussement pornographiques de ses Contes immoraux par exemple.
Si l’univers de Borowczyk est souvent confiné aux espaces clos, dans de grandes propriétés qu’il est compliqué pour les protagonistes de quitter, ainsi qu’à des périodes historiques plus ou moins lointaines, c’est pour créer cet imaginaire et son imagerie. Il ne reconstitue pas les époques qu’il visite, mais il les transforme en nouveaux rêves éveillés, n’hésitant pas à s’approcher de certaines caricatures mais en les travaillant à sa guise. L’enfermement dans un milieu mystérieux mais jamais dépourvu d’un certain degré de réalisme le rapproche du surréalisme auquel il n’a jamais appartenu. En cela, il est comparable à des cinéastes comme Jan Svankmajer ou Terry Gilliam même si leur monde est différent. Le coffret édité par Carlotta avec 7 longs-métrages et plus d’une quinzaine de courts-métrages propose un premier regard sur cette œuvre qui pourra être complétée, peut-être, par la suite, par les films absents.
Sont ainsi inclus :
Courts-métrages : Les Astronautes, Holly smoke, Concert, Encyclopédie de Grand’ Maman, Le Musée, Renaissance, Le Jeu des anges, Le Dictionnaire de Joachim, Le Petit poucet, Rosalie, Gavotte, Diptyque, Le Phonographe, Une collection particulière, Escargot de Vénus, L’Amour Monstre de tous les temps, Jouets joyeux, Scherzo infernal.
Long-métrages : Théâtre de monsieur & madame Kabal (DVD), Goto, l’île d’amour (DVD), Blanche (DVD), Contes immoraux (DVD + Blu-ray), La Bête (DVD + Blu-ray), Histoire d’un pêché (DVD), Docteur Jekyll et les femmes (DVD + Blu-ray).
Test technique
Une fois n’est pas coutume, alors que la France est le premier pays quant aux ressorties en salles des films de patrimoine, régulièrement en DVD les films français sont édités à l’étranger avant d’arriver chez nous. En 2014, Walerian Borowczyk avait déjà eu droit aux honneurs d’une édition en Angleterre chez Arrow dans un joli coffret réunissant cinq des sept films présentés. Puis Dr Jekyll et les femmes et Histoire d’un péché ont été édités en 2015 et 2017.
Les masters de cette précédente édition, d’une grande qualité, ont été repris ici mais seuls Contes immoraux, La Bête et Dr Jekyll et les femmes sont en Blu-ray. En effet, les autres films sont également sortis sous ce format en Angleterre. Histoire d’un péché, Théâtre de Monsieur & Madame Kabal, Goto, l’île d’amour, Blanche. Il est évident que la vitalité du marché anglais pour ce qui est de la vidéo physique comparée à celui en pleine déliquescence que nous connaissons chez nous depuis plusieurs années explique cette différence éditoriale basée donc sur une réalité purement économique. En poussant le curseur un peu plus loin on pourrait même remercier que des éditeurs comme Carlotta existent encore pour nous proposer ce genre de coffret dont les chiffres de vente ne devrait pas dépasser le millier d’exemplaires. Max.
Trois Blu-ray donc qui proposent une image au piqué incomparable, restituant agréablement les différentes textures et le grain naturel des photos d’origine. La restauration a été faite avec soin à partir des meilleurs éléments existants et s’il reste quelques défauts inhérents à l’âge à la rareté de certains films, on ne peut qu’apprécier ce que nous offre Carlotta. De même, le son est à chaque fois encodé en PCM 1.0 (dans une VF originale sans sous-titre) de bonne facture. Certes, parfois on se surprend à augmenter ou baisser un peu le volume pour mieux profiter des dialogues et des ambiances mais le souffle a quasiment disparu et la qualité générale est bonne. Pour les films proposés en DVD, il en va de même : la qualité d’ensemble est bonne mais, sachant que les Blu-ray existent, on se prend à les regarder en se demandant comment seraient l’image et le son dans ce format…
Les suppléments sont à la fois exceptionnels et frustrants. En ce qui concerne les courts-métrages, Théâtre de Monsieur et Madame Kabal, Goto, l’île d’amour, La Bête et Contes immoraux, Carlotta a repris tous les bonus de l’édition britannique à l’identique et c’est une mine d’or. On apprécie notamment les quelques courts-métrages de Borowczyk non inclus dans le DVD des courts, comme les deux versions de Une collection particulière. Les amateurs de La Bête seront ravis de voir le premier montage, devenu inédit, du film avec un cinquième segment. Enfin, les multiples documentaires, interviews, making-of parcourant les films et les principales obsessions et amours de Borowczyk sont réussis. Qui voudrait se plonger davantage dans le monde du cinéaste a là une incroyable matière.
Carlotta a également traduit le livre du coffret Arrow pour l’occasion, Camera obscura, avec essais, interviews et critiques. Les 212 pages de la version française offrent une lecture complémentaire agréable et jamais vraiment redondante avec les autres suppléments. Cet ouvrage est complété par un livret intéressant intitulé Le Dico de Boro. Il s’agit d’un abécédaire qui reprend les principales thématiques liées à sa carrière et à ses films en les associant à des lettres : de A comme Affiche à Z comme Zoophilie. Tout un programme ! Ne manque que la collection de nouvelles de Borowczyk qu’on trouvait chez Arrow et que nous n’aurons donc pas l’occasion de lire…
Seul vrai regret : l’absence, parmi ces documents, d’une traduction de l’interview donnée par Lenica et Borowczyk en Pologne en 1957 pour le n°51 de la revue Film qui est presque leur manifeste artistique. Cet entretien mythique mené par Tadeusz Kowalski reste introuvable et les rares extraits qu’on en lit ci et là ont des traductions différentes en anglais ou en français. Il aurait été bon que quelqu’un la reprenne, la mette en avant et en propose une version intégrale et définitive.
La frustration vient aussi d’Histoire d’un péché et de Dr Jekyll et les femmes. Le coffret inclut un certain nombre de compléments passionnants comme un essai vidéo, des interviews ou reportages et également un très court film de Borowczyk sur le praxinoscope d’Émile Reynaud. L’ensemble est passionnant. Mais ces deux titres, chez Arrow, bénéficient du double de bonus par rapport à l’édition française et notamment de plusieurs des courts-métrages, nouvellement restaurés, de Borowczyk et Lenica. On y trouve aussi le court que Borowczyk a scénarisé en 1958 sur l’affiche et « l’art de rue », depuis longtemps invisible, et des documents sur son travail d’avant 1959. Il manque également une introduction et plusieurs commentaires audio, interviews et autres films courts… Dommage. Pour nous consoler, un supplément inédit chez Carlotta : une interview sympathique avec le trop rare Udo Kier sur ses collaborations avec Borowczyk.
Notes pour l’intégralité du coffret :
- Image : 4/5
- Son : 4/5
- Bonus : 3,5/5
Courts-métrages et animation (1959 – 1984) – 2 DVD-9 – VF, Formats 1.33, 1.66 et 1.85 respectés,
4/3 et 16/9 compatible 4/3, Couleur et N&B, Durée totale : 180min.
Goto, L’île d’amour (1968) – DVD-9 – VF, Format 1.66 respecté, 16/9 compatible 4/3, N&B (avec inserts couleurs), Durée : 91min.
Grozo, misérable serviteur, fait son chemin au travers de l’absurde hiérarchie de Goto, une île coupée du monde par un terrible tremblement de terre. Ses principales tâches sont celles de cirer les chaussures du gouverneur, attraper des mouches et nourrir les chiens. Mais il ne rêve que de posséder la belle Glossia, l’épouse du gouverneur-dictateur de l’île, Goto III…
Bonus
- Introduction de Craigie Horsfield
- Reportage : L’Univers concentrationnaire : Tournage de Goto, l’île d’amour (20min) : Comédiens et techniciens racontent le tournage en plein mai 1968.
- Documentaire : La Porte Dévergondée : sculptures sonores de Borowczyk (13min) : Borowczyk a fabriqué sans clou ni vis des sculptures mobiles produisant des effets sonores.
- Bande-annonce
Blanche (1971) – DVD-9 – VF, Format 1.66 respecté, 16/9 compatible 4/3, Couleur, Durée : 90min.
France, XIIIe siècle. La jeune Blanche est l’épouse d’un vieux baron sénile dont le fils, Nicolas, est secrètement amoureux. Le roi est en visite. Non seulement celui-ci tombe sous le charme de la belle Blanche, mais son page, séducteur impénitent, est tout aussi envoûté…
Bonus
- Introduction du réalisateur Leslie Megahey
- Documentaire : Ballade de la captive : tournage de « Blanche » (27min)
- Interview : Plaisirs obscurs : portrait de Walerian Borowczyk (61min)
- Court-métrage : Au bout des fusils de Peter Graham (1972 – Couleurs – 11min)
- Interview : Derrière les lignes ennemies : tournage de Au bout des fusils (5min)
Cliquez sur les captures Blu-ray (Contes immoraux) ci-dessous pour les visualiser au format 1920×1080
Contes Immoraux (1974) – Combo DVD-9 et BD-50 (1080/23.98p, AVC, VF PCM 1.0, Format 1.66 respecté), Couleurs, Durée du Film : 103min.
Quatre épisodes remontant le fil du temps (« La Marée », « Thérèse Philosophe », « Erzsébet Báthory » et « Lucrezia Borgia »). Quatre tabous reliés par cette maxime de La Rochefoucauld : « L’amour, tout agréable qu’il est, plaît encore plus par les manières dont il se montre que par lui-même. »
Bonus
- Introduction du spécialiste Daniel Bird
- Premier montage : Contes immoraux : montage l’âge d’or (1974 – Couleurs – 120min) : Le film tel que présenté au Festival de l’Âge d’Or avec un cinquième conte : « La Bête »
- Documentaire : L’Amour se révèle : Tournage de Contes immoraux (16min)
- Reportage : Boro brunch : réunion d’équipe (7min) : Retrouvailles lors d’un brunch où fusent anecdotes et souvenirs de tournage.
Court-métrage de Walerian Borowczyk : Une collection particulière (1973 – Couleurs – 12min et 14 min) - Bande-annonce
Cliquez sur les captures Blu-ray (La Bête) ci-dessous pour les visualiser au format 1920×1080
La Bête (1975) – Combo DVD-9 et BD-50 (1080/23.98p, AVC, VF PCM 1.0, Format 1.66 respecté), Couleurs, Durée : 98min.
Un aristocrate français décadent veut redorer son blason en tentant de marier son fils étrange et simplet à une sublime fiancée riche et américaine. Mais les rêves érotiques et bestiaux de la jeune femme vont ébranler ces plans en révélant un terrible secret de famille…
Bonus
- Introduction de Peter Bradshaw
- Documentaire : Le Tournage de La Bête (56min)
- Documentaire : Folie de l’extase : L’évolution de La Bête (4min)
- Court-métrage de Walerian Borowczyk : Escargot de Vénus (1975 – Couleurs – 4min)
- Bande-annonce
Histoire d’un péché (1975) – DVD-9 – VOSTF, Format 1.66 respecté, 16/9 compatible 4/3, Couleurs, Durée : 125min
Bonus
- Introduction d’Andrzej Klimowski
- Interview avec Grażyna Długołęcka : Le Premier pécheur (23min)
- Documentaire : Histoires d’un péché (12min) : Daniel Bird resitue le film dans l’œuvre de Walerian Borowczyk
- Documentaire : La Boîte à musique (18min) : À propos de l’utilisation de la musique classique dans les films de Walerian Borowczyk
Cliquez sur les captures Blu-ray (Dr Jekyll et les femmes) ci-dessous pour les visualiser au format 1920×1080
Dr Jekyll et les femmes (1981) – Combo DVD-9 et BD-50 (1080/23.98p, AVC, VF PCM 1.0, Format 1.66 respecté), Couleurs, Durée : 92min.
Bonus
- Interview avec Udo Kier : Hello Dr. Jekyll (11min)
- Essai vidéo : Phantasmagorie de l’intérieur (14min) : Autour du tableau de Vermeer présent dans le film.
- Entretien avec Bernard Parmegiani : Les Yeux qui écoutent (10min)
- Documentaire : Retour à Méliès : Borowczyk et les pionniers du cinéma (7min)
- Court-métrage de Walerian Borowczyk : Jouet joyeux (1979 – Couleurs – 2min)
- Bande-annonce