Normalement, et comme tous les ans, on aurait dû découvrir le dernier Woody Allen lors des premiers frimas de l’automne. Mais le fait d’avoir été sélectionné pour ouvrir le 69ème festival de Cannes a sans aucun doute précipité les choses avec comme décision pour son distributeur français depuis quelques films de profiter de l’aura médiatique du plus grand festival au monde pour économiser quelques deniers en matière de com tout en sortant Café Society en grande pompe (plus de 400 copies).
C’est que la marque Woody Allen s’expertise depuis 2011 et la prise en main des destinées de la salle par Mars Distribution aux alentours du million d’entrées. Parfois moins (To Rome With Love), parfois beaucoup plus (Minuit à Paris). Le fait est que sortir un Woody Allen en France devient un enjeu financier et commercial majeur. Le petit bonhomme aux premiers abords souffreteux et binoclard fait gagner de l’argent quelle que soit la qualité de ses films. Il est devenu le symbole de ce cinéma d’auteur à potentiel que les exploitants s’arrachent polissant dans le même temps et à moindre frais leur label Art et Essai. De plus, la faune de spectateurs qu’il attire ne risque pas de retourner leurs salles ou de provoquer des rixes entre bandes. Bref, il est devenu plus que jamais ce gendre de cinéma idéal que son dernier film vient une nouvelle fois confirmer dans les grandes largeurs.
Avec Café Society, Woody Allen semble de surcroît revenir à ses premiers amours entre romances contrariées, racines juives et la ville de New-York laissant tomber le temps d’un film (ou plus ?), faux-semblants ou films policiers façon Mary Higgins Clark. Non que cette veine soit infamante, bien au contraire, mais on est quand même heureux de retrouver le réalisateur de Manhattan foulant une nouvelle fois sa ville même si un bon quart du film est censé se dérouler à Hollywood. Mais de Los Angeles on ne verra que le Chinese Theater et quelques villas de stars des années 30. Le reste se déroulant en intérieur avec une photo des plus glamours tirant vers le sépia ou l’or (première collaboration avec l’immense chef op Vittorio Storaro). C’est là que l’on y découvre un rejeton de la fratrie Dorfman interprété par Jesse Eisenberg venu s’y exiler espérant trouver sa voie avec comme piston son oncle, agent de stars incontournable qu’endosse un Steve Carell à mille lieux de son personnage savoureusement branque dans The Office ou de celui de Ari Gold magistralement endossé par Jeremy Piven dans la série (et film) Entourage.
C’est que l’idée de Woody Allen n’est pas de faire dans du Barton Fink. Il ne s’agit pas de dézinguer le Hollywood des années 30 pour mieux en expliciter les travers actuels. Ceci n’est qu’un décor, somptueux au demeurant, qui montre d’ailleurs à quel point le réalisateur aurait aimé tourner durant cette période de tous les excès (La Rose pourpre du Caire l’avait déjà amplement démontré). Mais il retrouve surtout ce plaisir resté intact de nous plonger à nouveau dans l’intimité d’une famille juive de Brooklyn rappelant son formidable Radio Days où se mêlait avec humour et tendresse chronique familiale d’inspiration autobiographique sur fond d’âge d’or de la radio. Woody Allen n’est jamais aussi précieux que quand il s’adonne à ce genre d’exercice. Les dialogues y sont alors toujours aussi drôles, sonnent toujours aussi juste et s’évaporent avec toujours autant de liberté.
Mais Café Society s’apparente aussi à un film choral où Woody Allen s’attache à nous présenter bien plus de personnages que d’habitude avec le même niveau de présence à l’écran dont le point de convergence est cet établissement tendance tenu par les deux frères de la famille. Certes l’histoire amoureuse à trois bandes dont nous ne révélerons pas tous les protagonistes histoire de maintenir le petit coup de théâtre en plein milieu du film (attendu quand on connaît le bougre derrière la caméra), reste le moteur central. Mais à l’aide d’un montage fait de flash-backs en forme de vignettes teintées d’humour peu coutumiers dans son cinéma linéaire (on pense un peu tout de même à l’OVNI Zelig), Woody Allen permet au puzzle narratif de prendre un tour beaucoup plus enjoué et retors que la voix off qu’il assume lui-même ne fait qu’accentuer.
On sent qu’il aurait aimé embrasser le rôle d’Eisenberg. Si le temps qui a passé le lui en empêche définitivement, la vitalité de son récit, sa mise en scène toujours aussi classique et alerte, sa direction d’acteurs fabuleusement enivrante dont on retiendra la grâce éthérée de Kristen Stewart, des dialogues à la mélancolie intacte… doivent on l’espère lui donner un certain baume au cœur. C’est en tout cas notre sentiment à nous, simple spectateur admiratif de la constance avec laquelle cet homme enrichit année après année une filmo marquée de (très) hauts et de bas, mais à nulle autre pareille.
Café Society de Woody Allen – 1h36 (Mars Distribution) – 11 mai 2016
Ce film a été présenté Hors Compétition au Festival de Cannes 2016
Résumé : New York, dans les années 30. Coincé entre des parents conflictuels, un frère gangster et la bijouterie familiale, Bobby Dorfman a le sentiment d’étouffer ! Il décide donc de tenter sa chance à Hollywood où son oncle Phil, puissant agent de stars, accepte de l’engager comme coursier.
Note : 3,5/5