Caligula - Ultimate Cut : Image une critique

Caligula – The Ultimate Cut et transgression à la clé

Oubliez tout ce que vous savez sur Caligula. Oubliez la version dite intégrale ou longue non censurée caviardée de scènes de culs tournées dans le dos du réalisateur Tinto Brass voulues par le producteur et « accessoirement » fondateur du magazine Penthouse Bob Guccione. Version qui pour la petite histoire avait été diffusée la première fois en France en juillet 1985 sur Canal+ et qui avait eu valeur de « test » pour la chaîne inaugurant depuis la diffusion d’un film pornographique le premier samedi du mois. Oubliez les versions dites censurées qui ont été exploitées en Italie ou en Angleterre. Quant aux « novices » qui ne savent rien ou qui ont toujours voulu éviter la vision d’un film précédé de sa réputation nanardesque, là aussi virez-moi ces a priori et prenez la peine de découvrir ce Caligula – The Ultimate Cut qui ne vole absolument pas son « ultimate » de qualificatif. On vous explique pourquoi.

Caligula - Ultimate Cut : Affiche

Caligula raconte tout simplement l’ascension et la chute de l’empereur romain Caligula au pouvoir de 37 à 41 apr. J.-C. Dis comme ça, le film attribué à Tinto Brass peut faire référence à un doc de la chaîne Histoire avec reconstitution en costumes des faits marquants de sa vie. Mais Gore Vidal le scénariste (Ben-Hur / Soudain l’été dernier / Paris brûle-t-il ?) dont le nom apparaît au générique précédé de la mention « adapté d’un scénario de » et Tinto Brass ne l’ont pas vu ainsi. Le premier voulant mettre en avant toute la décadence d’une époque que cet empereur a symbolisé jusqu’au-boutiste n’hésitant pas à mettre l’accent sur son homosexualité qui épousait en fait les principes de vie normés de l’époque et le second en l’accentuant par le contre-pied usant d’une mise en scène et un imprimatur s’inspirant du Satyricon (1969) de Fellini. À l’arrivée en 1979 rien de tout cela sinon un Caligula couchant avec sa sœur, des scènes non simulées de sexe donc, des décors baroques totalement hors sol et une interprétation générale frisant l’hystérie et le ridicule. Pour autant, cette version que l’on a découvert sur le tard du fait de censures diverses et variées en fonction des pays où Caligula fut exploité a, avec le temps, développé une aura, à la limite de l’hypnotisme, indéniable.

À tel point que de nanar, le film qu’ont renié Tinto Brass et Gore Vidal est devenu avec le temps une œuvre culte pour de bonnes ou mauvaises raisons à commencer par la volonté de se rincer l’œil alors que s’ébatte sous nos yeux ébaubis un Malcolm McDowell azimuté et affublé de costumes qui siéraient à n’en pas douter dans n’importe quel club échangiste un soir à thème sous le signe de la « Rome antique », un Peter O’Toole qui en fait des caisses ou encore une Helen Mirren alors déjà membre éminente de la Royal Shakespeare Company pas bégueule ici pour mettre en avant ses attributs physiques plus que sa diction. Il faut croire que ce Caligula là est tellement perché, malade, infidèle aux intentions de départ, fiévreux dans sa propre décadence qui fait écho à ce qui se passe devant la caméra qu’il en a acquis une légitimité auprès de certains et une forme d’adoubement auprès d’autres. C’est parmi ces personnes que l’on trouve Thomas Negovan. Auteur et archiviste, il a été mandaté en 2016 par l’ayant droit Penthouse Films pour faire dans un premier temps un inventaire d’un paquet de bobines du film entreposées et quasi oubliées depuis 40 ans dans un entrepôt. Lors d’un entretien accordé à Julien Sévéon que l’on peut découvrir dans le dossier de presse, Thomas Negovan dit alors qu’il a eu « l’impression d’être dans la dernière scène des Aventuriers de l’arche perdue où des trésors inestimables sont enfouis sous la poussière. »

C’est en effet ainsi qu’il exhume des centaines d’heure du film jamais vues issues de prises non retenues pour différentes raisons à la fois techniques ou artistiques mais qui selon Negovan changent diamétralement la perception que l’on pouvait avoir du film tout en ayant l’impression que celles-ci se rapprochaient plus des intentions initiales à la fois de Brass et de Vidal. Thomas Negovan fait alors une proposition à Penthouse Films qui l’accepte devenant du coup producteur de cette version dorénavant baptisée « Ultimate Cut ». Son travail est titanesque puisqu’il consistera à dérusher ces centaines d’heures pour y choisir ce qui lui semblait être les meilleures prises et au final effectuer le scan en 4K de plus de 90 heures de négatifs originaux. Le nouveau montage qui en ressort se targue ainsi d’être plus conforme au scénario original. Les performances d’acteur sont aussi annoncées plus convaincantes car issues de prises qui ne furent pas exploitées du fait de problèmes de son. Grâce à l’IA et à une technologie audio de pointe, les bruits de plateau et autres bruits mécaniques ont ainsi pu être supprimés des enregistrements originels permettant de sauver des prestations d’acteurs qui auraient été définitivement oubliées.

Dans la continuité d’autres améliorations sont aussi visibles et audibles. Par exemple dans la version originale, la voix de l’actrice principale Teresa Ann Savoy qui joue la sœur de Caligula a été remplacée par un dialogue enregistré par une actrice anonyme. L’Ultimate Cut récupère et restaure la performance vocale originale de Teresa Ann Savoy. Le dossier de presse précise aussi qu’en raison des contraintes de production, des décors originaux ont été complétés à la hâte par des rideaux ou des arrière-plans peints. Pour la nouvelle version, les arrière-plans plats ont été complétés et rehaussés par des effets visuels numériques. Sans oublier de mentionner que le tout a bénéficié d’une restauration 4K qui indéniablement rehausse encore la qualité d’un spectacle aux antipodes du Caligula que l’on connaissait. Ce qui nous fait dire que cet Ultimate Cut ne correspond pas aux intentions originelles recherchées par Tinto Brass ou Gore Vidal et ce même si cela est annoncée comme tel.

Ce Caligula – The Ultimate Cut est en fait un objet cinématographique protéiforme, totalement à part et qui a dorénavant sa vie en propre.

Mais si on veut continuer à le comparer avec la précédente version dite intégrale, précisons alors que l’on ne trouve entre les deux moins de 30% de plans identiques (sur 178 minutes !) ordonnancées de surcroît au sein d’un montage radicalement différent. Ainsi et juste pour l’exemple, prenons la séquence d’introduction du Caligula – Version intégrale où l’on voit Malcolm McDowell batifoler dans la forêt en toge ultra légère à la poursuite d’une jeune femme dont on ne sait pas encore que c’est sa sœur. Et bien cette séquence intervient bien plus tard dans la version Ultimate Cut. Et elle prend ici un tout autre sens bien plus pervers encore mais aussi délictueusement onirique pour ne pas dire touchante. Une opposition de style au sein d’une même séquence qui déstabilise le spectateur et qui fait figure d’intention formelle (et un travail de fond) sans cesse répétée. Et c’est bien là que se situe la grande victoire de ce montage. Être arrivé à rendre le personnage de Caligula plus humain. Sa folie, ses excentricités, ses pulsions meurtrières et sexuelles, sa peur obsessionnelle qu’on en veuille à sa vie… sont ici exposés non pour l’excuser ou pour l’absoudre mais plus pour montrer le cheminement de sa personnalité. Chez les scénaristes on appelle cela la caractérisation. Et de fait Caligula prend ici vraiment chair. Il est montré dans ses travers, ses contradictions mais aussi dans sa conception du pouvoir proche de l’anarchisme. Si les sénateurs sont bien souvent exécutés, torturés ou rabaissés ce n’est pas tant qu’il y voyait des ennemis partout (encore que) mais aussi parce qu’il les considérait comme des parasites qui ne servaient pas Rome.

Caligula – The Ultimate Cut propose ainsi une lecture bien plus complexe et passionnante du personnage infusant par ricochet aux autres protagonistes qui acquièrent du coup une tessiture et une épaisseur indéniables. D’un film malade (comme la critique aime bien cataloguer ce genre de productions qui ont totalement dérapées avec pour Caligula une impression qu’à la fin plus personne ne contrôlait quoi que ce soit), on obtient aujourd’hui une forme de miracle qui ne convaincra certes pas tout le monde mais qui permettra de rendre un tantinet justice à cette entreprise démiurge certainement voulue et commanditée pour des raisons plus que bancales mais qui au final donne un film dont la réhabilitation pleine et entière est dorénavant en marche.

Caligula – The Ultimate Cut (2023) de Tinto Brass – 2h58 (Bac Films) – Au cinéma le 19 juin 2024.

Présenté à Cannes Classics 2023

Résumé : Rome, 37 de notre ère. Après avoir assassiné son grand-père adoptif, l’empereur Tibère, Caligula s’empare du pouvoir et commence à démanteler l’Empire romain de l’intérieur. 40 ans après sa sortie, le film culte Caligula refait surface avec un nouveau montage inédit explorant la décadence du pouvoir à travers la corruption, la folie et la dépravation.

Note : 3,5/5

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