Waves 98 - Palme d'or Court Métrage Cannes 2015

Cannes 2015, jour 9 : Du court et encore de l’animation

Après un premier papier sur l’animation avec Pixar et des films du marché, on revient ici avec deux séances qui vogueront du calamiteux au plus réussi. On aura donc vu Le Petit Prince de Mark Osborne et la séance de courts métrages en compétition. Et pendant que le réalisateur de Kung Fu Panda détruisait le personnage de Saint-Exupéry, on était un peu plus heureux de voir ce que les courts proposaient en terme d’animation. Le jury court, emmené par Abderrahmane Sissako a d’ailleurs décerné sa palme à un film animé : Waves ’98 d’Eli Dagher.

Affiche - Le Petit Prince

Pour être franc, après avoir vu les deux bandes-annonces du Petit Prince, on était plutôt perplexe à l’idée de découvrir cette animation au Festival de Cannes : le rendu graphique était moyen, l’histoire à mille lieues du livre avait l’air insipide. Il est pourtant possible de faire de bonnes adaptations de Saint-Exupery. En live, Stanley Donen l’a fait dans les années 70. Sans être parfait, le film regorge de bons éléments comme une séquence mémorable où Bob Fosse en serpent fait du Michael Jackson bien avant l’heure. En animation de pâte à modeler Will Vinton en a réalisé un excellent court métrage en 1979. On entrait donc dans la salle la peur au ventre et ce à quoi on a eu droit était bel et bien un cauchemar. En fait, on a cru au film les deux premières minutes, en voyant apparaître à l’écran le boa ouvert et le boa fermé puis une première partie, en images de synthèse, a débuté. Techniquement, elle est simple et on trouve quelques idées intéressantes comme les pages du livre gribouillées à la main mais c’est l’ensemble du récit qui ne va pas. Déjà on maltraite Léon Werth – celui à qui est dédié le Petit Prince, ami de l’auteur, pacifiste et écrivain – et puis on navigue dans les clichés : l’aviateur en hurluberlu loufoque qui n’a rien du personnage d’origine de l’aviateur et tout des excentriques lambdas d’Hollywood, les grosses ficelles scénaristiques reprises encore et toujours comme s’il était impossible d’être un tant soit peu original. Les moments en papiers mâchés, tirés directement du livre, apportent de petites transitions agréables et techniquement réussies, mais ils sont mal amenés, trop courts comme si on cherchait à s’en débarrasser, reprenant quelques phrases clés de Saint-Ex pour faire croire qu’on n’a pas totalement travesti son œuvre. Ils servent juste de faire valoir. Pendant environ 45 minutes ce qu’on voyait n’était donc pas terrible, mais aurait pu être tellement pire.
Puis l’aviateur arrive à l’hôpital et c’est là que l’horreur a débuté : la petite fille cherche à savoir si le petit prince est bien rentré et elle le découvre sur une autre planète, adulte au côté du businessman qui l’a réduit en esclavage. C’est ce qu’on pouvait imaginer de pire. Pourquoi reprendre un personnage (car on a quitté depuis longtemps l’adaptation à ce niveau là) pour le démolir et faire quelque chose qui est à l’opposé de ce dernier ? Pourquoi n’avoir pas simplement inventé une autre histoire sans ce Petit Prince qui est d’une horreur totale ? Ce nouveau monde est laid, sans imagination, sans grâce, totalement vain. On a eu mal aux yeux à chaque seconde pendant les 45 dernières minutes. Pour aimer ce film, il faut vraiment détester le livre et avoir été abreuvé au formatage des scénarios de films pour enfants à l’américaine.
Patriot - Affiche Cannes - Court métrage
Après être mort mille fois devant le désastre précédent, on a réussi à ressusciter pour une séance de courts métrage. Le problème de Cannes c’est que malgré son short film corner et ses différentes sélections de films courts, on a l’impression que ceux-ci passent un peu à la trappe. Les gens viennent d’abord pour le long et on n’aborde que trop peu cet autre format alors qu’il regorge d’œuvres passionnantes. La sélection 2015 était plutôt intéressante avec des œuvres souvent politiques ou sociales (Patriot sur la rencontre de deux ados en Angleterre, un gitan et une fille aux parents ultranationalistes, Copain sur la tentative d’un ado de séparer ses amis issus de milieux populaires et ses parents ultraconservateurs, Ave Maria sur la Cisjordanie et Israël à travers une communauté de religieuses) et des détours vers le fantastique (The Guests sur un étrange appartement et une soirée plus étrange encore), la comédie (Love is Blind où une jeune femme trompe son mari sourd et se dispute verbalement avec son amant qui essaye de se cacher du mari) et le quotidien (Sali, sur le mardi ordinaire d’une jeune lycéenne en Turquie). Ce qu’on en retient d’abord c’est le nombre de films autour de l’adolescence et la sélection jeune, notamment par rapport à l’année précédente. Mais plutôt que de s’intéresser aux problématiques typiquement ados, les cinéastes montrent à travers eux et leur entre deux âges, l’incompréhension du monde qui s’offre à eux et dans lequel ils vont devoir cohabiter.
Waves 98 - Palme d'or Court Métrage Cannes 2015
Le film qui a remporté la palme du court est Waves’98. C’est un dessin animé qui raconte l’histoire métaphorique d’un ado au Liban qui cherche à s’enfuir en rêvant dans un monde hanté par les problèmes de guerre ou de religion. Il est en fait assez consensuel, peu novateur dans le fond comme dans la forme mais à la fois fantastique et militant, et on comprend pourquoi il a pu remporter le prix. On retiendra davantage l’excellent et plus radical Repas dominical de Céline Devaux, une véritable confirmation pour l’auteure du déjà remarqué Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch RaspoutineLe Repas dominical c’est d’abord l’envie de raconter la perception de l’éternel déjeuner en famille du point de vue d’un jeune homme qui se débarrasserait bien de cette obligation, des discours et discussions qui reviennent, des espoirs et déceptions qu’ils engendrent. Mais loin de figurer le repas, le film joue sur les perceptions mentales et sentimentales à l’aide de métamorphoses infinies et d’une animation crayonnée mobile et changeante. Ce qu’on capte ce sont des bribes de repas et quelques éléments moteurs de ce dernier pendant que la voix off portée par un incroyable Vincent Macaigne – on croirait entendre Zed dans Police Academy – nous raconte l’histoire de ce déjeuner aux allures de film d’horreur.
Demain, on revient à Un certain regard avec le palmarès et trois films (à suivre).

 

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