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Midi-Minuit Fantastique Volume 3 : Restauration d’un objet mythique

Le tome 3 (et son DVD, chroniqué un peu plus bas en détails car il contient beaucoup de choses : un documentaire, 6 courts métrages et deux pièces radiophoniques) de cette nouvelle édition Midi-Minuit Fantastique reliée, revue et augmentée est un tome-charnière dans la mesure où il unifie matériellement en un seul format l’ancienne séparation physique entre la première période du petit format (de 1962 à 1966, du n°1 au N°13) et la seconde période grand format (de 1966 à 1971, du n°14 au n°24), séparation qui était assurément gênante pour l’unité d’une bibliothèque. On y découvre pour la première fois, comme dans les deux tomes déjà parus, un certain nombre de documents photographiques en couleurs. Les documents photos ont été pour un grand nombre d’entre eux, re-photographiés à la source : leur définition et leur précision sont donc nettement supérieures à celles de la première édition. Les couvertures d’origine sont soigneusement reproduites afin que les collectionneurs retrouvent immédiatement l’ordre de chaque numéro et son esthétique originale au sein du tome, dans l’ordre de parution.

Midi-Minuit Fantastique Volume 3 - Page Recto

Les critiques sont inégales : celle du Dracula prince des ténèbres (1965) de Fisher par Michel Caen, celle de The Plague of the Zombies [L’Invasion des morts-vivants] (1966) de John Gilling par Jean-Claude Romer sont discutables. Caen estime que la première partie du Fisher vaut mieux que la seconde mais il rate ainsi la construction cauchemardesque pourtant revendiquée dès le pré-générique et son accélération spectaculaire sur le plan dramaturgique. Romer regrette que la totalité du métrage du film de Gilling ne baigne pas dans l’ambiance du cauchemar d’une séquence précise, celle du cimetière. Mais si c’était le cas, il n’y aurait plus de fantastique ! Ce qui intéresse Gilling est la marge, la frontière ténue entre le réalisme et le fantastique, et surtout la peur qui manifeste son approche. Plus ennuyeux du point de vue de l’histoire du cinéma, Bernard Eisenchitz critique une version lacunaire (il manque à la copie, qu’il a visionnée dans un festival, l’histoire de La Femme des neiges [Yuki onna]) du magnifique Kwaidan (1964) de Kobayashi, sait qu’elle est lacunaire mais n’hésite pas à porter un jugement négatif et définitif sur l’ensemble. Plus désinvolte encore, tel ou tel titre est critiqué en deux ou trois lignes méprisantes par une apprentie critique pseudo-féministe avant l’heure. Les critiques envoyées par les correspondants étrangers tels que Raymond Durgnat sont parfois tout aussi désinvoltes. Les photos d’exploitation (qu’il s’agisse des lobby-cards américaines ou des autres) et les photos de production  (« production stills » américaines qu’il ne faut pas confondre avec les photos de plateau simplement numérotées) sont presque systématiquement détourées mais c’est une plaie générale de l’édition française de livres de cinéma du vingtième siècle et de ce début de vingt et unième siècle tout aussi bien. Cette nouvelle édition ne peut pas transformer cela tout du long (l’entreprise serait titanesque) mais elle corrige à l’occasion ce défaut : Nicolas a par exemple inséré une ou deux mignonnes photos d’exploitation non détourées de L’Horrible cas du docteur X (1963), l’un des films fantastiques les plus remarquables de Corman, hors série Edgar Poe, en raison de l’originalité de son scénario, au carrefour de la science-fiction et de la méditation métaphysique sur le rapport entre apparences et réalité, en raison aussi de la critique du fondamentalisme calviniste qui l’achève d’une manière terrible. Certains documents publiés en noir et blanc sont à présent révélés dans leurs couleurs originales. Des fragments de dossiers de presse (qu’on devine magnifiques : Jean-Claude Michel ne me contredira pas, lui qui se souvient avec émotion de la beauté plastique de ceux de la série Edgar Poe de Roger Corman), sont également reproduits à l’occasion (provenant par exemple des dossiers italiens originaux de presse de Six femmes pour l’assassin de Mario Bava, de Danse macabre d’Antonio Margheriti).

Dracula Prince of DarknessDracula Prince of Darkness – Terence Fisher

Enfin, il y a des inédits : textes, photos, dessins qui n’avaient pas trouvé place à l’époque mais qui la trouvent à présent, en raison d’une rationalisation de l’espace, gain d’un travail acharné mené en collaboration entre Nicolas Stanzick (Dans les griffes de la Hammer) et Michel Caen (l’un des rédacteurs en chef de la revue originale, décédé peu de temps avant la parution du tome 2 de cette nouvelle édition qui n’est donc pas une simple réédition).  C’est ainsi que le mythique double n° 25-26 demeuré inédit à cause de l’arrêt de la revue en 1971 devrait enfin voir le jour, avec des articles sur Tarzan, Pierre Mac Orlan, Terence Fisher sans oublier un Index général qui sera publié dans le quatrième et dernier volume de cette nouvelle édition intégrale. Sans oublier non plus des textes originaux écrits à l’occasion de cette édition revue et augmentée dont le détail concernant ce tome 3, se trouve ci-dessous.

Voici à présent une description succincte du contenu du tome 3 de 752 pages, 800 photos couleur et noir et blanc. Il contient :

  • Une préface d’Édith Scob
  • Raquel et la Lettre volée, un texte de Nicolas Stanzick
  • Les numéros 12 à 17 de Midi-Minuit Fantastique, avec une iconographie enrichie :
    • N°12 : Domenico Paolella, Barbara Steele, Jacques Tourneur
    • N°13 : Edgar G. Ulmer, les festivals
    • N°14 : Christopher Lee, Fu Manchu, Batman
    • N°15/16 : Le Golem, Karel Zeman, Trieste, San Sebastian
    • N°17 : Barbara Steele, Jean-Pierre Mocky
  • Entretiens avec Jacques Tourneur, Barbara Steele, Edgar G. Ulmer, Christopher Lee, Karel Zeman, François Truffaut ou Jean-Pierre Mocky.
  • Dossiers sur le péplum, Fu Manchu, James Bond, le Golem.
  • Reportages photo sur les happenings de Jodorowsky, sur les premières planches de Philippe Druillet ou de Nicolas Devil, et plus largement, sur toute l’actualité fantastique du moment, qu’elle soit anglaise, italienne, américaine ou française.
  • Un chapitre de textes inédits (« L’Entracte du Midi-Minuit ») avec une rubrique érotique (de belles photos de Rita Renoir, remémorée par Christophe Bier), un entretien (Roger Corman interrogé par Nicolas Stanzick qui constitue, sans l’avoir voulu, une parfaite introduction à sa volumineuse autobiographie de 1991 d’environ 500 pages tout récemment traduites chez l’éditeur Capricci avec des notes additionnelles de 2018), une rubrique dessin (les mythiques illustrations du Dracula de Bram Stoker par Druillet), un reportage photo (Jean Boullet, par Jean-Claude Romer).

Jean Boullet - Midi Minuit FantastiqueJean Boullet, mauvais garçon, montreur d’ombres – photo Philippe Druillet

Le DVD inséré contient, pour sa part, un documentaire sur Jean Boullet (environ 50 minutes), 6 courts et moyens métrages rarissimes et 2 pièces radio qui ne le sont pas moins (un DVD produit par Soft-Prod, durée 240 minutes) :

Jean Boullet le montreur d’ombres (2018) de Nicolas Stanzick et Erwan le Gac. Excellent documentaire comportant de nombreux documents de première main, parfois inédits, et des témoignages de Michel Caen, Jean-Claude Romer, Jean -Pierre Bouyxou, Alain Venisse, Jean-Claude Michel, Boris Bergman, Philippe Druillet, François Angelier. Intéressante remarque de Bergman sur la mort de Boullet, reproduisant peut-être la mort du protagoniste de la classique nouvelle fantastique de Bram Stoker, La Maison du juge. Séduisante hypothèse que Bergman étaye sur le fait que Boullet admirait Stoker. Témoignages assez peu chaleureux de Caen et de Romer sur Boullet qui fut d’abord le parrain artistique des premiers numéros avant une rupture dont les tenants et aboutissants sont intéressants à connaître. Témoignages (de Michel, Bergman et Druillet) sur la cinéphilie Hammer de Boullet et surtout, sur le désert français en matière de cinéma fantastique à la fin des années 1950. Du coup, les cinéphiles voyageaient à Londres ou à Bruxelles (Roland Lethem y découvre Barrière de chair – 1964 de Kyonori / Seijun Suzuki et fait ensuite part de sa découverte à MMF mais il faudra attendre 1990 environ pour que le film sorte effectivement en exploitation commerciale normale à Paris… c’est dire la situation française, toujours ahurissante rétrospectivement).

Dracula - Jean BoulletDracula – Jean Boullet

Dracula,  film de Jean Boullet, 1963, 9min. Montage fait à partir de rushs numérisés en définition standard (Soft-Prod/Stanzick, 2018). Très curieux court-métrage d’animation reconstitué par Nicolas et Erwan le Gac à l’aide de photos retrouvées chez un collectionneur. On sait que Boullet présentait des animations, des ombres fantômes, à la Cinémathèque française durant l’époque d’Henri Langlois. On sait aussi, grâce au remarquable documentaire sur Jean Boullet qui accompagne l’ensemble, que Boullet admirait Bram Stoker.

La Brûlure des 1000 soleils,  film de Pierre Kast, France 1965, 26min. Numérisation Haute définition à partir du négatif 35 mm (Argos Films, CNC, 2018). Beau film d’animation dont la photo noire et blanche parue autrefois dans René Prédal, Le Cinéma fantastique, éditions Pierre Seghers, 1970, m’avait longtemps fait rêver. En fait, je découvre en 2018 que le titre est en couleurs. Beau scénario, intemporel et un peu tragique, vaguement inspiré par l’histoire de Titus et Bérénice, très bien lu en « voix-off » par l’acteur Pierre Vaneck.

Les Coudes pointus. Un film de Jean Streff, France 1966, 18min. Numérisation en définition standard d’une copie 16 mm.  Jean Streff avait écrit un livre intéressant sur le masochisme au cinéma, édité en son temps par Henri Veyrier. Il contenait notamment de très belles photos de plateau aux noirs admirablement contrastés du chef-d’œuvre de Fisher, Les Maîtresses de Dracula (1960). Nous sommes loin de cette esthétique ici mais plutôt proche de l’underground expérimental. Intéressant historiquement, mais mineur par lui-même.

L’Homme aux chats. Un film d’Henri Glaeser, France 1969, 22min. Numérisation Haute définition d’une copie 35 mm (CNC, 2018).  Original scénario, plastiquement bien filmé et monté, dans le cadre d’un budget serré mais doté d’une direction artistique soignée, avec un comédien remarquable. L’idée finale est peut-être empruntée à un plan célèbre de La Malédiction d’Arkham [The Haunted Palace] (1963) de Roger Corman (au titre original emprunté au poème de Poe mais au scénario emprunté à  L’Affaire Charles Dexter Ward de Lovecraft) mais je ne me souviens plus si le titre de Corman était sorti à Paris avant ou après 1969.

Le Détour. Un film de Patrice Molinard, France 1970, 12min. Ne pas confondre avec le titre homonyme, à l’article défini près, du classique du film noir américain réalisé par Edgar G. Ulmer en 1945 ! Numérisation Haute définition d’une copie 35 mm (CNC, 2018). Plastiquement beau mais je n’ai pas été très convaincu par l’ensemble dont la ligne directrice, la ligne dramaturgique,  me semblent un peu floue. Mais intéressant car assez typique des tentatives françaises de cinéma expérimental, héritières elles-mêmes des plus anciennes tentatives de Jean Cocteau ou d’Alain Resnais.

Ténèbres. Un film de Claude Loubarie, France 1971, 12min. Numérisation Haute définition d’une copie 35 mm (CNC, 2018). Ne pas confondre avec le titre homonyme signé Dario Argento en 1980. Ici, il y a une influence esthétique du cinéma italien, au demeurant, mais plutôt celui, dans ces vastes plans d’ensemble aux angles vifs, noyés dans la pénombre, du giallo des années 1965-1970. Le scénario est assez lovecraftien, en outre. Très curieuse surprise. Il faut dire que le « trou des Halles » (ce colossal chantier qui métamorphosa Paris vers 1970) inspira les cinéastes de tous les genres confondus. Qu’on se souvienne par exemple de la belle séquence durant laquelle Fabio Testi échappe à la souricière tendue dans ce quartier par Jean Gabin dans Le Tueur (1972) de Denys de la Patellière.

Danse macabre - Midi Minuit FantastiqueDanse macabre avec Barbara Steele

Sans oublier deux pièces radiophoniques :

La Musique d’Érich Zann. Une pièce radio adaptée de la nouvelle fantastique de H.P. Lovecraft, narrée par Jean Topart, 32min. Diffusée sur France Inter le 21 février 1965.

Le Bruit du moulin. Une pièce radio de l’écrivain fantastique Marcel Béalu, avec les voix de Édith Scob et Jean Topart, 25min. Diffusée sur France Inter le 4 décembre 1966.

Dans les deux cas, il s’agit d’illustrations passionnantes d’un genre à part entière qui fut celui de la pièce radiophonique ou de l’histoire radiophonique. Il faut savoir que dans les années 1950-1960, la radio était un medium techniquement aussi important que la télévision ou le cinéma. Un cinéaste tel que Riccardo Freda pouvait ainsi convaincre un producteur de financer I Vampiri [Les Vampires] (1957) avec Gianna Maria Canale ou Raptus [L’Effroyable secret du professeur Hichcock] (1962) avec Barbara Steele s’il lui faisait écouter leurs continuités dialogues-musiques-effets sonores. Une série radio pouvait aussi tout naturellement accoucher d’un film tel que Quatermass Xperiment [Le Monstre] (1955) de Val Guest, premier grand succès public fantastique de la Hammer dont le succès radiophonique avait été phénoménal en Angleterre. La France, pour sa part, fidèle à sa culture équilibrée entre lettres et arts plastiques, adapta systématiquement les classiques, y compris les classiques récents. Faire lire une nouvelle de H. P. Lovecraft par un comédien tel que Jean Topart, c’était conférer à Lovecraft la qualité et la valeur qu’on attribuait à Pierre Corneille ou à Eschyle, dont le même Topart pouvait interpréter les classiques à la télévision, sur scène ou à la radio. Dans le cas de Béalu, auteur d’admirables recueils de contes fantastiques tels que L’Aventure impersonnelle ou les Mémoires de l’ombre, il y avait vraiment une volonté encore plus affirmée de rapprocher la radio d’une élite littéraire raffinée digne de celle de la fin du siècle précédent.

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