Les Passagers de la nuit - Image une critique

Les Passagers de la nuit – Ce sentiment de l’éternité

Ce qui frappe dès les premières images est la sensualité à nul autre pareil du cinéma de Mikhaël Hers. Une sensualité immédiatement palpable à tel point qu’elle embrase littéralement l’écran lui octroyant une vitalité formelle incroyable. Pour caricaturer c’est un peu comme si Rohmer et sa façon de raconter la comédie humaine tout en apesanteur rencontrait Agnès Varda qui elle ne jurait sur le sujet que par un existentialisme organique. Et encore on serait loin du compte tant Les Passagers de la nuit synthétise un idéal inédit de mise en scène et de représentation humaniste qui s’affermit de film en film. Du genre à d’abord vous laisser sans voix, puis à vous assécher le canal lacrymal pour finir par vous mettre littéralement sur le flanc entre tristesse infinie et bonheur indéfectible.

Les Passagers de la nuit - Affiche

Les Passagers de la nuit est le quatrième long de Mikhaël Hers. On pourra s’amuser à trouver des liens, une ou des thématiques récurrentes entre eux… Il y en a bien entendu. Mais l’exercice serait facile et de toute façon très orienté critico-journalistique comme la profession adore le faire histoire de se rassurer quant à sa cinéphilie mais aussi pour ranger dans des cases qui vont forcément prendre la poussière des hommes ou des femmes qui n’en demandaient de toute façon pas tant. Et puis ce serait réduire la portée du cinéma de Mikhaël Hers à quelque chose de foncièrement balisé alors que si Les Passagers de la nuit rappelle et appelle tous ses autres films (moyens et longs métrages), il est une œuvre à part tant chez Hers qu’au sein du cinéma français.

À part dans sa propension à ancrer l’action dans un passé identifié et totalement assumé. Ce vers quoi Mikhaël Hers ne s’était pas trop aventuré jusqu’ici. Les Passagers de la nuit débute en effet un soir de mai 1981 quand tout un pays est à sa joie d’avoir envoyé François Mitterrand à l’Élysée. Pour cela le cinéaste passe par la tessiture de l’image en guise de reconstitution d’une époque. C’est par un savant mélange entre du 35 mm (pour des décors très compliqués à capturer en numérique), du numérique travaillé pour avoir du grain, du 16 mm capturé via une caméra Bolex et enfin des images d’archive reprises tant à des anonymes que du côté de l’INA qu’il nous transporte au sein d’une décennie à la fois pas si lointaine mais déjà dans l’Histoire. Le générique de début est à ce titre édifiant et annonciateur de toute la tonalité du film. La jeune Talulah (Noée Abita incandescente mais on y revient) débarque dans le métro parisien avec son sac à dos de voyage. Elle cherche son chemin sur un plan à diodes comme on en trouvait alors. Son visage vient alors se superposer aux trajets qui s’allument et s’éteignent sur une musique doucereusement électronique de Anton Sanko (déjà compositeur sur Amanda). Elle est témoin de l’effervescence qui anime toute la ville tout en y étant étrangère. Un décalage qui sera comme le fil rouge d’une histoire de famille touchante et en apesanteur.

Une histoire qui se déroule au sein d’une topographie précise à savoir le quartier de Beaugrenelle et ses immeubles en forme de champignon construits dans les années 70 faisant face à la Seine. Comme souvent chez Mikhaël Hers les lieux sont, au-delà d’être des personnages essentiels, des présupposés qui impulsent le rythme, la couleur et les attendus du film. Dans Les Passagers de la nuit ils sont le réceptacle de la rencontre entre Talulah, désormais sans domicile fixe de son état, et Charlotte Gainsbourg qui endosse les habits d’une maman récemment séparée élevant seule un ado et une jeune fille sur le départ. Elle habite au sein d’une de ces tours et traverse le pont de Grenelle toutes les nuits afin de rejoindre la Maison de la Radio où elle vient de décrocher un poste de standardiste unique auprès de l’animatrice (Emmanuelle Béart) qui tient l’antenne jusqu’à l’aube à l’écoute des âmes en peine et autres « passagers de la nuit ».

Talulah est venue en personne se raconter à l’antenne et voici que l’émouvante Charlotte décide de la recueillir ne supportant pas l’idée qu’elle puisse disparaître ainsi dans la nuit. Forcément l’équilibre familial va s’en trouver chamboulé, mais sous l’œil de Mikhaël Hers chaque soubresaut, chaque décision, chaque accompagnement devient une pulsation de vie qui donne la respiration d’un film perclus de grâce et d’humanisme. Quant à Noée Abita, elle traverse le film à la manière d’un fantôme. Celui de Pascale Ogier, l’actrice « rhomérienne » trop tôt disparue en 1984 à 25 ans. Il suffit d’écouter le phrasé qu’elle adopte et jusqu’aux mimiques pour que nous revienne immédiatement à l’esprit Les Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer que Talulah découvre justement un soir au cinéma entouré de sa nouvelle famille. Mikhaël Hers déroule ainsi sa pelote avec tact et empathie pour tous ses personnages sans oublier le spectateur transporté au sein d’un univers d’où l’on ressort certes groggy mais en proie à une douce et mélodieuse mélancolie.

Le cinéma de Mikhaël Hers est celui de l’indicible et de l’impalpable d’où affleure un sentiment doux amère du temps qui passe ou qui est passé et donc de la disparition. Dans Amanda ou Ce sentiment de l’été il s’agissait du deuil et de la reconstruction. Ici comme il le dit si bien il s’agissait « (…) de réinvestir le passé à l’aune du présent, dans lequel il continue à essaimer. C’est ma manière de trouver une paix avec cette question de la disparition et du deuil. C’est aussi pour ça que je fais des films : construire un semblant d’éternité. » Les Passagers de la nuit ou ce sentiment de l’éternité ? Sans aucun doute.

Les Passagers de la nuit (2022) de Mikhaël Hers – 1h51 (Pyramide Distribution) – 4 mai 2022

Résumé : Paris, années 80. Elisabeth vient d’être quittée par son mari et doit assurer le quotidien de ses deux adolescents, Matthias et Judith. Elle trouve un emploi dans une émission de radio de nuit, où elle fait la connaissance de Talulah, jeune fille désœuvrée qu’elle prend sous son aile. Talulah découvre la chaleur d’un foyer et Matthias la possibilité d’un premier amour, tandis qu’Elisabeth invente son chemin, pour la première fois peut-être. Tous s’aiment, se débattent… leur vie recommencée ?

Note : 4,5/5

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