Brett Morgen - Cannes 2022 - Image une

Journal d’un festivalier – Cannes Jour 6

Journée chargée aujourd’hui puisqu’en plus des quatre projections et du dorénavant rituel petit déjeuner sur la plage Nespresso, nous sommes allés assister au « colloque » du 75eme anniversaire du festival de Cannes. Pour célébrer ces trois quart de siècle, Thierry Frémaux a eu l’idée de réunir des réalisateurs afin de les interroger sur ce qu’était être cinéaste aujourd’hui et comment ils voyaient l’évolution cinéma. Les discussions étaient libres, non filmées. Le panel d’invité était assez particulier : Costa-Gavras, Paolo Sorrentino, Claude Lelouch, Guillermo del Toro, Mathieu Kassovitz, Gaspar Noé, Michel Hazanavicius… soit des hommes blancs de plus de 50 ans pour évoquer le cinéma actuel. On ne s’étonnera guère des positions prises par certains qui relève du déni ou du conservatisme : « mais les gens vont retourner en salle », « les plateformes c’est juste une mode » et autres « on fait trop de films ». Del Toro était étonnamment le plus progressiste à expliquer qu’il fallait suivre le changement plutôt que chercher à le repousser car, même si ça peut faire mal, les évolutions sont inévitables. Le colloque continue demain mais si c’est pour entendre encore la même chose dans la bouche d’autres personne, on ira plutôt voir un film.

En attendant, la fatigue commence à se faire de plus en plus ressentir et la pluie arrive petit à petit. Raison de plus pour faire encore un tour du marché du film et se retrouver dans les salles. Aujourd’hui, nous avons pu voir deux films présentés à Un Certain Regard, une séance de minuit consacrée à Bowie et la projection de 5 courts métrages à la Semaine de la critique.

Direction la salle Debussy d’abord pour assister à Metronom d’Alexandru Belc puis Godland de Hlynur Palmason.

Metronom - Cannes 2022Metronom d’Alexandru Belc (Un Certain Regard)

Le premier film de fiction d’Alexandru Belc, Metronom, parle de la Roumanie des années 1970, quand Ceaucescu régnait et cherchait à accroître son pouvoir en censurant les médias au maximum. Un groupe d’adolescents, amateurs de musique du bloc ouest, écoutent régulièrement l’émission Metronom diffusée sur une radio clandestine et ils finissent par être arrêtés. Le réalisateur s’amuse avec un format 1.37 et reprend les teintes ternes de l’époque pour cette histoire au scénario solide. La mise en scène reste classique mais efficace et s’attarde à décrire une certaine idée de la jeunesse, du quotidien, de l’insouciance et des premières amours dans un pays où tout est surveillé, sous contrôle et où s’aimer relève de la gageure. Un film maitrisé mais qui ne restera probablement pas dans les mémoires. Sortie prévue dans les salles françaises le 11 janvier 2023 distribué par Pyramide.

Godland - Affiche Cannes 2022

Hlynur Palmason revient à Cannes trois ans après Un jour si blanc. Cette fois ce n’est pas l’Islande contemporaine qu’il interroge mais celle du 19ème siècle alors qu’elle était sous la coupe du Danemark depuis déjà plusieurs siècles. Un prêtre danois est envoyé construire une église en bois dans une petite bourgade de l’île et se retrouve dans un univers qu’il prenait de haut mais qui ne lui fera guère de cadeau. Le film évoque la folie dans laquelle le personnage sombre, la manière dont le religieux va contrevenir à chaque principe qu’il dit défendre et, par conséquent, l’univers impitoyable d’une île qui n’épargne personne. Le point de départ du film réside dans les premières photographies retrouvées de l’Islande dont le cinéaste va totalement inventer l’histoire. Là aussi l’écran 1.37 est respecté et colle au format photo. Les paysages sont aussi fabuleux que dangereux, la mort rode sans état d’âme et la terre prend autant qu’elle donne. Sans être dépourvu d’une certaine ironie Palmason interroge les limites de l’humain mais également de l’image en faisant de son protagoniste un photographe – quelque peu maudit – et en proposant, comme à son habitude, plusieurs séries de portraits filmés qui scandent le récit. Godland est une œuvre contemplative et lente mais réussie et totalement maîtrisée. Au cinéma ce 21 décembre distribué par Jour2fête.

Moonage Daydream - Affiche Cannes 2022

Minuit arrivant, on s’est rué sur David Bowie. Non pas qu’on soit particulièrement connaisseur du chanteur – ce texte n’est pas écrit par un fan absolu – mais parce que Brett Morgen (image de une © Olivier Vigerie / Hans Lucas) de The Kids stays in the picture à Kurt Cobain: Montage of Heck en passant par Chicago 10 a souvent repoussé les limites du documentaire et intégré différents types d’images comme étant parfaitement complémentaires quand d’autres les penseraient totalement opposées. Moonage Daydream n’échappe pas à la règle. La réussite du film réside dans le fait que le cinéaste ne cherche pas à raconter la vie du chanteur-artiste. Aucune chronologie n’est respectée et les grands événements de sa vie ne sont pas montrés. Le film commence par une citation de Bowie sur Nietzsche et Dieu pour laisser place à ses morceaux principaux et des bribes de réflexion sur de nombreux sujets : son style, sa personnalité, sa croyance, sa vision du monde, ses voyages ou l’amour. Le personnage est un mystère pour nous comme pour lui-même, et Morgen tente de recoller les pièces de cet impossible puzzle dans un brillant exercice de montage qui joue davantage sur les chocs formels, colorés, auditifs ainsi que sur les associations musiques/interviews que sur la logique narrative. Ainsi, nous avons l’impression, 2h20 durant, d’avoir pu approcher quelque peu la personnalité, la pensée, l’être intime de Bowie sans pour autant connaître sa vie – ce que n’importe quel autre reportage montrerait. Le cinéaste entremêle des images d’archives, des concerts, des films et pièces de théâtre des photographies du chanteur mais aussi des éléments extérieurs que Bowie aimait : peintures, films, etc… dans un film qui devient une abstraction psychédélique foisonnante et passionnante. Cela devrait être distribué par Universal mais pour l’instant aucune confirmation et surtout point de date de sortie.

Raie Manta - Cannes 2022Raie Manta d’Anton Bialas (court-métrage – Semaine de la critique)

Enfin, retour au palais Miramar avec les courts métrages de la semaine de la critique. Au programme, Sur le trône de Xerxès d’Evi Kalogiropoulou, un inutile et paresseux film grec et quatre autres courts bien plus intéressants. Raie Manta d’Anton Bialas montre un Paris dévasté par l’autoritarisme et dans laquelle trois personnages marginaux se détachent, le tout dans une méditation poétique ponctuée de raies manta (sic). Ice Merchants de Joao Gonzalez est une très jolie métaphore animée et sans parole d’une disparition et de la chute qui s’ensuit. Canker de Lin Tu montre, avec des associations d’images, une influenceuse qui n’influence personne. Le film interroge notre rapport à l’image et à son hors champ et révèle la fausseté du monde qu’elle cherche à exposer, de ses photos ridicules alors que la réalité est grise et douloureuse. Enfin, Cuerdas d’Estibaliz Urresola Solaguren est un drame social plutôt classique mais bien écrit et interprété sur une chorale qui se demande si elle peut éthiquement accepter un financement de la mairie ou s’il vaut mieux tout arrêter.

Dans l’ensemble la journée fût bonne mais heureusement que le festival s’achève bientôt car nos yeux commencent à rendre l’âme. Demain retour à Un Certain Regard avant de clore sur un film surprise !

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