Daniel - Image une test BD

Daniel de Sidney Lumet en Blu-ray chez Spectrum Films

Sidney Lumet est un nom connu des cinéphiles. Mais quid du grand public ? Pour Jean-Baptiste Thoret qui intervient dans l’un des bonus de cette édition, la réponse ne fait aucun doute. De fait, si 12 Hommes en colère (1957), Serpico (1973), Un après-midi de chien (1975), Network (1976), Le Verdict (1982), L’Avocat du diable (1993) sont des œuvres qui peuvent et vont parler à un cercle étendu de passionnés de cinéma, pas certain que la majorité saura mettre un nom sur le réalisateur. C’est en tout cas son postulat en forme de paradoxe. Et à bien y réfléchir il n’a peut-être pas tort. Ne serait-ce que chez les cinéphiles français, la sortie du bouquin édité en 2016 chez Capricci intitulé Faire un film, aura été une révélation. Écrit par Lumet et publié pour la première fois en 1995 aux States, il sera une bible pour les réalisateurs en herbe qui y trouveront toutes les étapes extrêmement documentées et truffées de ses propres expériences de tournage pour, comme son titre l’indique, faire un film. Pour les autres, c’est une mine d’information qui démontre en creux (mais pour les plus amoureux de son cinéma ce n’est pas une révélation) l’extrême densité et l’évidente récurrence thématique de sa filmographie. Sidney Lumet est donc cet auteur, selon la définition française de la chose, dans lequel Daniel que sort en Blu-ray l’éditeur ultra indépendant Spectrum Films, joue un rôle charnière.

Daniel raconte comment un couple de juifs new-yorkais dans les États-Unis des années 50, se retrouve en prison puis exécuté sur la chaise électrique parce que communistes accusés d’espionnage pour le compte de l’Union soviétique. Mais en fait ce n’est pas trop cette histoire qui intéresse Lumet. Une histoire qui rappelle à l’évidence celle des époux Rosenberg qui furent en effet condamnés à mort en 1953 pour avoir filé à l’URSS des informations classées top secret relatives à la bombe atomique. Lumet dira d’ailleurs en interview à commencer par celle d’époque présente là-aussi en bonus de cette édition, que Daniel ne s’inspire aucunement de l’affaire Rosenberg et ce même si le bouquin qu’il adapte ici, The Book of Daniel d’E. L. Doctorow, s’inspire lui originellement de l’histoire vraie d’Ethel et Julius Rosenberg. Mais même cette affirmation est réfutée par Lumet himself qui justifie cette position en se référant à l’auteur du livre qui affirmait lui non plus ne pas s’inspirer de l’affaire Rosenberg. Selon lui le film ne reprend aucun fait de la réalité des époux Rosenberg. Et d’ailleurs Lumet affirme n’avoir fait aucune recherche sur les époux pour coller à une quelconque réalité. Soit. Mais impossible de ne pas y penser tout de même. C’est comme ça.

Quoi qu’il en soit, il est vrai aussi comme le dit Thoret, que Daniel s’intéresse d’abord et surtout aux rapports entre les générations. Plus précisément ici, le film tente de répondre à la problématique suivante : comment les actions des parents influent-elles sur le devenir de leurs enfants ? Daniel observe ainsi l’impact des luttes des parents sur la génération d’après. Des parents qui de part leurs convictions pour une société plus juste et égalitaire en viennent à commettre l’irréparable provoquant du côté des enfants une forme d’héritage que Thoret nomme « le rapport au fardeau ». Celui avec lequel doit composer une sœur et un frère que Lumet décide de mettre en scène en jouant sur deux époques. Celle où ils forment avec leur parent une famille en apparence heureuse et unie dans le Brooklyn des années 40 et celle où ils sont proches de la trentaine dans l’effervescence de la fin des années 60. La sœur prolonge l’esprit des parents en s’engageant dans un maximum de causes alors que le frère a décidé de laisser ce passé derrière lui en embrassant une vie plus rangée avec femme et petit garçon. L’opposition entre les deux époques Lumet le fait aussi ressentir en jouant sur la photo : limite sépia et chaude dans les années 40, beaucoup plus naturaliste et neutre dans les années 60. Mais avec toutefois la volonté de réunir ces deux styles visuels lors des séquences finales où la mise à mort des parents sur la chaise électrique est montré avec force et détail.

Deux époques – Deux ambiances – Deux photos…

Une photo signée au passage Andrzej Bartkowiak avec qui Lumet collaborera à onze reprises (Daniel étant la quatrième) et dont on retrouve aussi le nom accolé à de nombreux blockbusters des années 90. Thoret insiste enfin sur un autre point qui frappe par sa résonance avec l’époque actuelle. Celle qu’il qualifie de « confusion volontaire » entre anticommunisme et antisémitisme dans les années 50. Une séquence vient illustrer frontalement cette affirmation quand les parents et leurs enfants se rendent à un concert de Paul Robeson, chanteur noir, militant des droits civiques et sympathisant communiste, en pleine campagne façon Woodstock. En repartant dans les bus affrétés par leur organisation, ils sont pris à parti par des imbéciles armés de matraques rappelant les procédés du Ku Klux Klan dans le sud et scandant à tue-tête des « sales communistes et bâtards de juifs ». Un antisémitisme qui se cache donc derrière la haine du communisme alors beaucoup plus acceptable comme l’est aujourd’hui ce même antisémitisme qui ne veut pas dire son nom quand il se « transforme » en antisionisme.

Une telle judéité inscrite dans le film a été reprochée à Sidney Lumet qui après 12 ans de gestation et de mise en chantier sort finalement en 1984 au sein d’une décennie déjà plus en phase avec ce discours critique d’une Amérique qui bombait alors le torse sous l’administration Reagan. De plus, Lumet semble progressivement abandonner l’idée de travailler avec des acteurs de premier plan ou tout simplement des monstres sacrés tels que Sean Connery, Al Pacino, Faye Dunaway, Richard Burton, James Mason, Paul Newman… Avec Daniel il met en vedette le jeune Timothy Hutton dans le rôle du frère qui s’il sortait d’un Oscar n’en était pas moins peu connu à l’époque. Tout comme le reste du cast dont seule la tête d’Ellen Barkin en épouse du frère nous est familière. Daniel est en fait un moment de bascule dans la filmo de Lumet puisque quasi tous les films qu’il mettra en scène par la suite traiteront de près ou de loin de la filiation. À commencer par À bout de course que Thoret qualifie de « film jumeau » que Lumet réalisera en 1988 et qui est à notre avis encore plus abouti que Daniel ne serait-ce que pour le charisme du alors jeune River Phoenix.

A bout de course - Affiche

Le film ne marchera pas fort au box-office et récoltera même des critiques mitigées. Avec le recul il mérite bien évidemment cette édition qui sera pour beaucoup on en est certain, l’occasion de découvrir un film nécessaire car rouage majeur dans la filmo de Lumet sinon dans celle de cette Amérique qui à l’époque ne voulait plus regarder en arrière, voire même faire table rase des 15 dernières années qui avait plongées le pays dans une dépression à la fois psychique et économique. Daniel tente une forme de synthèse que symbolise ce passage de relai générationnel imparfait pour ne pas dire traumatique mais que l’on se doit de regarder en face au risque de répéter les mêmes erreurs. Ce que l’histoire récente de nos sociétés ne manque pas de malheureusement nous le rappeler encore et encore.

D’autant que voilà un Blu-ray qui propose Daniel dans une copie plus que convaincante en ce sens que l’encodage respecte parfaitement les styles visuels décrits plus haut sans oublier le grain argentique qui va bien. Pas ou peu de scories de pellicule et juste ce qu’il faut pour que ce que l’on voit ne s’apparente pas à une image numérique. Les contrastes sont appuyés, la définition est au rendez-vous et niveau son on a droit au bon vieux mono des familles qui se révèle en DTS-HD MA d’une redoutable efficacité tant sur les passages requérant amplitude et précision que lors des scènes dialoguées jamais prises en défaut quant à leur intelligibilité.

Daniel - Cap menu Blu-ray

Enfin, pour compléter ce que l’on a déjà avancé au niveau des bonus, précisons que l’interview d’époque avec Lumet et Hutton peut se voir ici mais sans sous-titres français. Et qu’enfin outre l’intervention de Jean-Baptiste Thoret, l’éditeur a eu la bonne idée de faire appel à Antonin Moreau et Etienne Cadoret, animateurs de l’émission Le Cinéma est mort sur la radio rennaise Canal B, pour un document intitulé Lumet par la gauche qui se propose de revenir sur le traitement au sein du cinéma US du communisme et d’une manière plus générale des mouvements très fortement inclinés à gauche. Et il n’y en a pas bézef. Une contextualisation bienvenue qui donne à Daniel un côté encore plus unique et précieux. Et puis les deux compères reprennent eux aussi à leur compte ce que Thoret appelle « le rapport au fardeau » et qu’ils nomment « L’hérédité problématique ».

De quoi refermer Daniel de la meilleure des façons possibles tout en donnant envie de (re)découvrir la filmo des années 80 et 90 de Lumet qui si elle semble en effet moins connue recèle en son sein des réalisations majeures pour ne pas dire supérieures à la plupart des œuvres commises lors de la première partie de sa vie professionnelle.  Si malheureusement bon nombre manque à l’appel en Blu-ray citons les quelques titres de cette période qui devraient vous convaincre, si ce n’est pas déjà le cas, que voilà un cinéaste majeur pour ne pas dire incontournable du cinéma US, l’un des rares à avoir su faire le lien entre celui des années 60/70 et celui des années 80/90 et même du début des années 2000 :

  • Contre-enquête (Q & A – 1990) : Le dernier grand « film dossier » de Lumet (sur les déviances et autres passes droits au sein de la police à NY) avec un Nick Nolte énorme. Chez Carlotta.
  • Le Verdict (The Verdict – 1982) : Un immense Paul Newman pour un énième « film dossier » qui met à nu la corruption au sein d’un hôpital de la ville de Boston. Disponible chez 20th Century Studios.
  • Il manque à l’appelle À bout de course bien entendu (dispo en DVD chez Warner à un prix ne défiant aucune concurrence mais que l’on peut trouver en Blu-ray import US chez Warner Archive (sans sous-titre français ni VF) ou encore Le Prince de New York (Prince of the City – 1981), remarquable et nouveau film enquête qui parle d’une police corrompue lui aussi dispo qu’en DVD de par chez nous mais que l’on peut se procurer en import US chez Warner Archive avec les mêmes caractéristiques de langue mentionnées précédemment.
  • Enfin citons aussi Une étrangère parmi nous (A Stranger Among Us – 1992) qui en reprenant en partie la trame de Witness de Peter Weir réalisé sept ans auparavant est un Lumet certes mineur dans ses intentions et sa mise en scène mais qui demeure un récit d’acceptation de l’autre remarquable avec en plus une Melanie Griffith qui n’a jamais été meilleure depuis. Malheureusement totalement inédit chez nous mais dispo en import US chez Kino Lorber avec là encore les mêmes caractéristiques de langue mentionnées précédemment.
  • Ah et dernière chose, seul Serpico (1973) a eut les honneurs d’une édition Blu-ray 4K UHD en France chez StudioCanal alors que l’on peut aussi trouver 12 hommes en colère (12 Angry Men – 1957) chez nos amis ricains toujours chez Kino avec là encore les mêmes caractéristiques de langue mentionnées précédemment.

Daniel - Jaquette Bu-rayDaniel (1984) – Combo Blu-ray + DVD

Réalisateur : Sidney Lumet
Éditeur : Spectrum Films
Sortie le : 14 octobre 2023

Au milieu des années 50, Rochelle et Paul, communistes américains, ont été accusés d’espionnage au profit de l’URSS. Quinze ans plus tard, leur fille Susan devient militante politique. Son frère Daniel cherche à oublier. Mais, suite à un événement tragique, il doit se replonger dans l’histoire familiale…

Spécifications techniques Blu-ray :

  • Image : 1.85:1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langue(s) : Anglais DTS HD-MA 2.0 mono
  • Sous-titre(s) : Français
  • Durée : 2h09min 45s
  • 1 BD-50

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Bonus (en HD et en VOST) :

  • Bobbie Wygant Archive : Lumet & Hutton (1983 – 14min 17s)
  • Avant le film : Introduction de Jean-Baptise Thoret (2023 – 20min 03s)
  • Après le film : Emission Le cinéma est mortLumet par la gauche par Antonin Moreau et Etienne Cadoret (2023 – 35min 09s)
  • Bande annonce (1min 08s)

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