Les Derniers hommes - Image une critique

Les Derniers hommes – Voyage au bout de l’enfer

Si vous êtes familier avec le travail du scénariste / réalisateur David Oelhoffen, vous avez donc sans doute déjà deviné que Les Derniers hommes, sous ses atours de film de guerre, n’en est pas vraiment un. Tout comme Frères ennemis, son précédent opus, transgressait allègrement les codes du polar et que Loin des hommes adoptait ceux du western pour raconter l’histoire de deux hommes que tout oppose dans l’Atlas algérien de 1954, Les Derniers hommes prend pour cadre historique une colonne de légionnaires obligés de fuir à travers la jungle vers la frontière chinoise dans l’Indochine de 1945 occupé par les japonais. Un prétexte pour une nouvelle fois aborder l’interaction entre les hommes par gros temps et en milieu hostile. Entre les hommes oui car la filmographie d’Oelhoffen ne met jamais en scène la femme (à part quelques plans lors de son premier long Nos retrouvailles) semblant vouloir systématiquement l’expulser de ses récits. Ce qu’il a d’ailleurs fait en adaptant Les Chiens jaunes à l’origine des Derniers hommes puisque dans ce récit écrit par un légionnaire Alain Gandy, il y avait une infirmière qui finissait par provoquer la zizanie au sein de la colonne. Ici, les tensions, les trahisons, les accrochages avec l’ennemi… sont le seul fait des hommes, de leur déchéance physique et morale provoquée par une nature impitoyable et une autorité de plus en plus contestée.

Les Derniers hommes - Affiche définitive
Affiche définitive

Mais avant de continuer, une petite contextualisation s’impose. Le 9 mars 1945, les japonais qui occupaient l’Indochine depuis septembre 1940 décident de se débarrasser de l’administration coloniale française issue du régime de Vichy par un coup de force dans le seul but de faire proclamer l’indépendance du Viêt Nam, du Laos et du Cambodge. Parmi les 34 000 civils et 12 000 militaires d’origine métropolitaine présents dans la région, plus de 3 000 sont tués en moins de 48 heures. L’administration coloniale française est détruite de fait et si des poches de résistance émergent, le reste des troupes rescapées s’enfuient dans la jungle par petits groupes formant ce que l’on a appelé la « colonne Alessandri » (du nom du général Marcel Alessandri en poste alors dans le Tonkin) pour essayer de rejoindre la frontière chinoise. Ils y arrivèrent au prix de lourdes pertes. Dans Les Derniers hommes, David Oelhoffen utilise ce contexte historique pour mettre en scène un groupe de légionnaires chassé par le coup de force japonais d’un centre de repos pour alcooliques au Moyen-Laos. Commandé par l’adjudant d’origine polonaise Janiçki, les voici donc crapahutant dans l’enfer de la jungle avec très peu de ressources pour rejoindre un hypothétique eldorado situé à plus de 300 kilomètres.

David Oelhoffen va dès lors s’employer à filmer son petit groupe sans jamais essayer de donner à chacun un passé. La caractérisation, car il y en a bien une, se fait par petites touches et uniquement en suivant les mésaventures et autres avatars subis par la troupe pris dans son ensemble. Et par ce biais sort du lot des tronches et des personnages à commencer par Tinh joué par Teng Va, un paysan habitant la Guyane où le film a d’ailleurs été tourné mais bien originaire des montagnes du Cambodge où il est né. Casté alors qu’il n’avait aucune expérience devant une caméra, il est inoubliable de par son visage buriné, sa silhouette ramassée et ce phrasé lapidaire et économe dont la mission est de tenter de guider ces hommes jusqu’en Chine. Il y a aussi Lermiotte joué par l’acteur italien Guido Caprino. Il est celui qui remet sans cesse en cause les ordres entrainant avec lui une partie de la troupe. Avec l’acteur polonais Andrzej Chyra qui joue l’adjudant Janiçki en charge de la colonne, ils forment la clé de voute du film alors même que le réalisateur ne s’attarde jamais dans sa mise en scène sur leurs visages, les gestes particuliers de chacun ou même sur leurs jeux. Ou plutôt si mais uniquement pris dans un ensemble. Et de fait la caméra semble se lover dans la nature pour suivre ces hommes harassés pour ne pas dire désespérés et bientôt au bord de la folie. De loin ou de près le but est de faire ressentir un tout où explosera une individualité au détour d’une temporalité qui a depuis longtemps volé en éclat.

La nature au demeurant est peut-être le véritable personnage des Derniers hommes. La même que filmait Terrence Malik dans La Ligne rouge (1999) à la différence tout de même qu’ici elle n’est pas élégiaque ou porteuse de la symbolique du bien et du mal. Chez Oelhoffen elle est ce qu’en font les hommes. Rien de plus. Mais à l’image et au son cela donne une sensation d’immersion totale et onirique qui confine encore une fois à la folie. Celle-là même qui enveloppait et suintait du personnage joué par Martin Sheen au terme de sa quête dans Apocalypse Now. Mais si on devait raccrocher les wagons des Derniers hommes à un autre film, ce serait bien entendu à La 317ème section, le chef-d’œuvre absolu de Pierre Schoendoerffer. Si l’action se situait au moment de la bataille de Diên Biên Phu en 1954, on ne peut s’empêcher d’y voir comme une suite à rebours ou une volonté d’y apporter sa propre conclusion. D’autant qu’entre les deux films, il y a Jacques Perrin. Tout jeune acteur chez Schoendoerffer, il est à l’initiative et le producteur des Derniers hommes dont il n’a eu le temps que de voir les rushes (qu’il a adoré) avant de nous quitter. Le point commun entre ces deux morceaux de bravoure est cette immersion des hommes au sein d’une histoire qui les dépasse et dont ils essayent de donner un sens et ce jusqu’à leur dernier battement de paupière.

Les Derniers hommes raconte une humanité qui se désagrège mais dont il en ressort quand même l’acceptation d’une forme de rédemption certes poisseuse mais réelle. Les codes du film de guerre ne sont pas ici détournés, transgressés ou même dilués dans un film d’auteur. Non. Les Derniers hommes raconte la guerre telle une malédiction qu’il faut porter jusqu’à son dernier souffle et même au-delà. Et en cela David Oelhoffen réinvente tout simplement la représentation de la guerre à l’écran entre naturalisme et onirisme, entre vérité et cauchemar permanent.

Ps : On vous invite à découvrir notre longue interview avec le réalisateur ci-dessous pour en savoir plus.

Les Derniers hommes (2023) de David Oelhoffen – 2h (Tandem) – 21 février 2024

Résumé : 9 mars 1945. L’armée japonaise lance un assaut foudroyant contre les troupes françaises en Indochine. Traquée par l’ennemi, une colonne de légionnaires déjà affaiblis s’élance au cœur de la jungle pour rallier les bases alliées à plus de 300 km.

Note : 4/5

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