Croix de fer - Image une critique

Croix de fer – La guerre selon Peckinpah

Croix de fer est certainement de tous les films réalisés par Sam Peckinpah celui qui porte en lui une schizophrénie latente propre encore aujourd’hui à lui donner un sens et une acceptation qui ne sont absolument pas les siennes. La méprise est originelle. Quand le producteur allemand qui a fait fortune dans le porno même pas chic se met en tête de recruter le plus sulfureux des cinéastes ricains, c’est pour mettre en boîte un film de guerre qui ne pourra que se complaire dans le style ultra violent proche du voyeurisme qui a fait la réputation de Sam Peckinpah. Mais Wolf C. Hartwing n’avait pas compris que si Peckinpah usait et abusait des ralentis et autres procédés propres à styliser la violence, ce n’était pas dans un but d’emphase mais pour mieux en dénoncer les instigateurs.

Croix de fer - Affiche 1977

On est donc là au cœur même du nihilisme propre au cinéma de Peckinpah. De celui qui renvoie tout le monde dos à dos laissant au spectateur comme un goût de cendre dans la bouche. Le but n’étant pas de le caresser dans le sens du poil mais bien de lui rentrer dans le buffet jusqu’à ce qu’un éventuel éveil cérébral s’ensuive. Avec Croix de fer Sam Peckinpah pousse le bouchon encore plus loin. Plus loin que dans Les Chiens de paille (1971) car ici la violence est légale, institutionnalisée et même récompensée par la fameuse Croix de fer si convoitée par l’un des protagonistes. Celle-ci est encore plus nihiliste que dans La Horde sauvage (1968) où elle revêtait encore une forme de naïveté et de romantisme symbolisée par la fameuse séquence finale. La violence décrite dans Croix de fer est de celle dont on ne revient pas. Elle vous terrasse bien entendu physiquement (jusqu’ici on est en terrain connu), mais aussi moralement en ce sens que le point de non-retour est dépassé depuis fort longtemps. Dès les premières minutes en fait quand un petit groupe d’hommes mené par le sergent Steiner trucide à mains nus des soldats russes. Nous sommes en 1943 sur le front russe et cela commence à plus que sentir le roussi pour l’armée allemande qui se prend rouste sur rouste. C’est d’ailleurs quelque part le sens de la séquence intervenant un tout petit plus tard quand le camp allemand croule sous un déluge de feu tout en étant bientôt encerclé par l’Armée rouge.

Peckinpah use et abuse des ralentis et d’une pyrotechnie ébouriffante qui finit par polir le cadre jusqu’à ses extrémités. Le malaise vient dès lors du commentaire en sous-texte. On se surprend en effet à prendre parti pour les défenseurs d’autant que Peckinpah semble filmer ça comme s’il s’agissait d’américains face à des Viêt-Cong. En fait comme si Peckinpah voulait nous dire que toutes les guerres sont les mêmes et que rien ne les justifie. La suite viendra renforcer ce premier ressenti puisque de héros ou d’anti-héros il n’y a point. James Coburn en sergent Steiner relayant admirablement les intentions du cinéaste jusqu’à le confondre avec le capitaine Stransky (Maximilian Schell) son supérieur en quête de la fameuse Croix de fer au sein d’une séquence finale homérique. Peckinpah qui les avait opposés tout du long en fait au final des « Brothers in Arms » se moquant ainsi d’une quelconque morale propre à tous les films de guerre pour renvoyer à une réalité empreinte d’un renoncement total à une quelconque humanité et encore moins d’une moralité patriotique.

Peckinpah n’hésite pas non plus à évoquer les exécutions sommaires (la scène avec le jeune prisonnier russe) ou les viols. Soit le quotidien de n’importe quelle armée. Qu’elle soit conquérante ou en déroute. Si Croix de fer est un échec commercial aux États-Unis (mais aura plus de succès en Europe), la suite donnera (quelque part) raison à Peckinpah puisque la représentation de la guerre au cinéma va prendre un tout autre visage. On pense ainsi au hasard à Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter – 1978) de Michael Cimino ou encore à Au-delà de la gloire (The Big Red One – 1980) de Samuel Fuller. Peu de cinéastes peuvent ainsi se vanter d’avoir changé le cours d’un genre en un seul et unique film. Croix de fer est de cet ADN-là qui mérite de fait la revoyure encore et toujours.

Croix de fer (Cross of Iron – 1977) de Sam Peckinpah – 2h12 (Prodis) – 18 janvier 1978 – Reprise le 23 septembre 2015 (Les Acacias)

Résumé : Péninsule de Taman, 1943. Les armées allemandes battent en retraite. Au régiment que commande le Colonel Brandt arrive un nouveau Commandant de Bataillon, Stransky, aristocrate prussien, qui s’est porté volontaire pour le front russe afin d’en rapporter une Croix de fer, symbole convoité de bravoure. ​​ De fait, une antipathie profonde s’instaure aussitôt entre ce dernier et le sergent Steiner, un baroudeur aimé de ses hommes et qui méprise les officiers…

Note : 4/5

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