Le Procès Goldman - Image une critique

Le Procès Goldman – Les Racines du mal

Il est des films qui sans crier gare vous emportent en des contrées jamais ou peu explorées. Une appréciation hautement subjective forcément assumée mais qui ne vaudrait rien si le film en question devait se casser les dents sur le triumvirat sacré parfaitement résumé un jour par Jean Gabin (leitmotiv qu’il emprunta d’ailleurs à Julien Duvivier) : « Il faut trois choses pour faire un bon film : d’abord une bonne histoire, puis une bonne histoire, et enfin une bonne histoire ». Et autant l’affirmer d’entrée, Le Procès Goldman explose tout ces attendus. D’un fait divers, devenu l’une des chroniques judiciaires les plus emblématiques des années 70, Cédric Kahn nous raconte une époque qui fait furieusement échos à la nôtre traversée de personnages, Pierre Goldman en tête, caractérisés en des postures raciales qui nous sont plus que familières aujourd’hui au sein d’un pays qui n’a finalement que peu dévié de ses certitudes sociétales d’alors. Le tout dans un quasi huit clos de prétoire d’où suinte par tous les pores un amour inconsidéré du cinéma.

Le Procès Goldman - Affiche

Pour ceux qui comme l’auteur de ces lignes découvriraient les tenants et les aboutissants de cette affaire, disons, en guise de synthèse, que Cédric Kahn a décidé ici de s’intéresser à une affaire judiciaire qui avait alors défrayée la chronique. Elle avait pour personnage principal le militant d’extrême gauche Pierre Goldman (accessoirement demi-frère d’un certain Jean-Jacques Goldman) accusé d’avoir assassiné deux pharmaciennes au cours d’un de ses nombreux braquages en plein Paris. Ce qu’il a toujours nié clamant son innocence sur ce point précis. Gangster oui, assassin jamais. Pierre Goldman avait été accusé et condamné pour ce double meurtre en 1969 mais il obtient la révision de son procès bien aidé par le succès en librairie de Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France (Seuil – 1975), un livre autobiographique où il démontait point par point les charges de l’accusation tout en se décrivant tel un martyr romantique pour lequel toute la gauche de l’époque avait pris fait et cause à tel point qu’il était devenu à leurs yeux le symbole du bandit politique et un insoumis s’érigeant contre un pouvoir policier gangréné par un racisme omnipotent. Cela ne vous rappelle rien ? Le Procès Goldman retrace de fait très précisément les 7 jours (du 26 avril au 4 mai 1976) du second procès qui s’est tenu à Amiens devant la cour d’assises de la Somme.

Comme on l’a déjà souligné, à part trois séquences distinctes (deux dans une cellule où l’accusé est en transit et une autre dans le bureau de l’avocat), le métrage n’a pour cadre que les quatre murs de la cour d’assises le tout filmé en 1.33 comme si l’essentiel ne pouvait être ailleurs qu’au sein d’un format resserré et constamment sous tension via un montage au cordeau. Un parti-pris de mise en scène qui montre d’entrée ce que Cédric Khan avait en tête. Celui de filmer la justice en action avec forcément ses zones d’ombre mais aussi et surtout pour y capter sa scénographie, ses acteurs, ses coups de théâtre… En quelque sorte ses mécanismes qui ressemblent à s’y méprendre à une mise en scène de cinéma. Cédric Kahn ordonnance cela d’abord en cartographiant minutieusement son décor pour mieux en formaliser les enjeux. On est ensuite frappé par Arieh Worthalter que l’on avait déjà croisé sur d’autres films mais dont la prestation ici marquera tout un chacun à vie. Lui le premier. Il incarne Pierre Goldman avec une densité hallucinante faisant vibrer le cadre, l’auditoire et les spectateurs bouche-bée. À propos de l’auditoire (des silhouettes sur lesquels la caméra du cinéaste s’attarde de temps à autre en des contre-points toujours saisissants), Khan a précisé que celui-ci n’avait reçu que des consignes vagues. Ici les pros, là les antis et on vous laisse réagir en fonction de vos convictions. On précisera d’ailleurs que Cédric Kahn a tourné en respectant l’ordre chronologique du procès.

L’autre figure importante de ce procès est l’avocat Georges Kiejman alors étoile montante du barreau et futur ministre de la justice sous Mitterrand. Il avait été choisi par Goldman lui-même sur recommandation et ce procès jouera un rôle fondamental pour la suite de sa carrière. Il est ici interprété par le scénariste, réalisateur et donc acteur Arthur Harari (Onoda – 10 000 nuits dans la jungle) qui manie avec virtuosité la langue si particulière au pénal mais au demeurant pas si éloigné du métier d’acteur. C’est d’ailleurs l’autre intérêt commué en énergie vitale du film. La façon dont sont montrés les rouages de la justice. Comment jouer avec les incertitudes, comment s’appuyer ici sur un témoignage qui semble fragile et en récuser un autre en apparence plus solide, comment transformer une impression en certitude, comment recréer un moment de l’enquête a priori défavorable pour son client en un instantané désagréable pour la police judiciaire. Avec au final la conviction que Cédric Kahn ne cherche pas à savoir si Goldman était coupable ou innocent mais de chercher à comprendre si la justice a tout fait pour se donner les moyens de le savoir. Et une telle proposition sur grand écran relève ici d’un moment littéral de grâce dont les vérités admonestées au détour de chaque plan viennent heurter nos propres certitudes.

Et puis Cédric Kahn n’élude pas l’essentiel. Pierre Goldman, juif ashkénaze né en France de parents polonais, figures communistes de la résistance française durant la seconde guerre mondiale, est ici défendu par un juif polonais né en France. Une ascendance commune que Kahn met en scène avec force et subtilité lors de sa plaidoirie qui renvoie incidemment à l’affaire Dreyfuss. Il n’omet pas aussi de pointer du doigt cette police accusée de racisme. Goldman n’hésitant pas à la qualifier ainsi dans sa globalité quand Kiejman préférait relever des comportements de certains policiers pour le moins douteux. Et puis Goldman avait vadrouillé en Amérique du Sud, il était passionné par la culture antillaise et avait pour compagne Christiane Succab née en Guadeloupe qu’il épousera en 1976. Il rêvait de pouvoir engendrer des petits « juifs au sang nègre ». Un mode de vie et de pensée qui ne pouvait que hérisser le poil auprès des partisans de l’autre bord à commencer par certains membres des forces de l’ordre tels que décrits en tout cas dans le film.

De ce Procès Goldman, il en ressort que truand ou révolutionnaire / les deux / ou plus truand qu’autre chose, Pierre Goldman n’a pas fini de continuer à fasciner. Son procès ainsi disséqué met un coup de projecteur plutôt acéré et brut de décoffrage sur la société française de 2023 où les prétendus « Insoumis » finalement au diapason de ceux d’en face dans une conception sociétale jusqu’au-boutiste, n’ont que pour seule ambition d’arriver à l’Élysée. Un peu comme si Cédric Kahn filmait les racines du mal.

Le Procès Goldman (2023) de Cédric Kahn – 1h55 (Ad Vitam) – 27 septembre 2023

Présenté à La Quinzaine des cinéastes 2023 – Film d’ouverture

Résumé : En novembre 1975, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.

Note : 4,5/5

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