Fiche film : Bad Luck Banging or Loony Porn (2021)

Bad Luck Banging or Loony Porn est né au fil de conversations qu’a eues Radu Jude avec des amis. À plusieurs reprises, ils ont longuement discuté de faits-divers mettant en cause des professeurs expulsés de leurs écoles – en Roumanie, ou ailleurs – pour des motifs relevant de leur vie privée (discussions sexuelles en direct via web-cam, diffusion de contenus intimes, etc.). Leurs échanges furent si animés que le réalisateur s’est dit que c’était loin d’être un sujet banal ou superficiel. Ce qui l’a décidé d’en faire un film.

Bad Luck Banging or Loony Porn a remporté l’Ours d’or au Festival de Berlin 2021. Radu Jude est un habitué de la Berlinale puisqu’il avait reçu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur pour Aferim! en 2015.

Bad Luck Banging or Loony Porn a été interdit aux moins de 16 ans avec avertissement.

Bad Luck Banging or Loony Porn (Babardeală cu buclucsau porno balamuc – 2021)

Réalisateur(s) : Radu Jude
Avec : Katia Pascariu, Claudia Ieremia, Olimpia Mălai
Durée : 1h46
Distributeur : Météore Films
Sortie en salles : 15 décembre 2021

Résumé : Emi, une enseignante, voit sa carrière et sa réputation menacées après la diffusion sur Internet d’une sextape tournée avec son mari. Forcée de rencontrer les parents d’élèves qui exigent son renvoi, Emi refuse de céder à leur pression, et questionne alors la place de l’obscénité dans nos sociétés.

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Notre avis : Quelle serait votre réaction si tout à fait par inadvertance (ben voyons) vous tombiez sur une sextape et que vous y reconnaissiez la prof de votre enfant ? On précise à ce stade de votre réflexion que par sextape on entend ici des ébats dans le cadre intime d’un couple marié qui auraient fuités par accident. C’est d’ailleurs par les images de cette sextape que débute Bad Luck Banging or Loony Porn, le nouveau film du cinéaste roumain Radu Jude. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne s’embarrasse d’aucune fausse pudeur tout en ayant le mérite de nous mettre dans le bain sans autre forme de préliminaire. Le spectateur est ainsi pénétré à sec via un viol rétinien dont on peine toujours à trouver la moindre jurisprudence cinématographique. Le plus marrant est alors de constater le silence de mort qui règne parmi l’auditoire professionnel de la petite salle privée parisienne où nous avons été invités pour découvrir le film avant sa sortie. Personne ne se lève en faisant claquer son fauteuil comme à Cannes mais même la buée provoquée par les masques a disparu des lunettes…
Après cette intro tonitruante, Bad Luck Banging or Loony Porn va ensuite se décliner en trois parties distinctement nommées à l’écran. La première suit inlassablement notre héroïne dans la faune de Bucarest selon une mise en scène qui n’hésite pas à la perdre dans la densité des rues de la capitale roumaine alors que la caméra est posée ostensiblement à un endroit plutôt en retrait de l’action. Celle-ci s’attardant alors sur un fait de rue jamais anodin : une affiche politique, une pub, des travaux de voirie incessants, des conversations dans une pharmacie… Radu Jude posant là un premier jalon de sa démonstration. Où se situe exactement l’obscénité du monde moderne ? Dans la divulgation d’une sextape où madame montre une personnalité fort différente de l’image renvoyée dans la sphère publique ou cette personnalité politique promettant une Roumanie préservée de l’immigration, une pub vantant les mérites d’un produit dont on n’a pas le besoin ou encore ce conducteur garé avec son gros 4X4 en plein trottoir qui insulte à qui veut l’entendre tous ceux qui lui reprocherait son incivilité ?
La deuxième partie est un patchwork hallucinant d’images d’archives récentes ou plus lointaines dans le temps empruntées à la télévision, à la publicité ou prises sur internet. Le tout montrant en creux une époque totalement à la ramasse faite de certitudes et de lieux communs propres à foutre la gerbe. Le plus fort c’est que si Radu Jude veut y montrer les travers de la société roumaine, on n’a aucun mal à se reconnaître dans ce montage expérimental jamais gratuit et à l’humour noir dévastateur. Notre sidération est totale devant ce montage qui montre au final tant d’à-propos et d’imagination pour dénoncer notre quotidien qui se délite toujours un peu plus chaque jour.
La troisième partie voit notre héroïne face aux parents courroucés. La direction de l’école a en effet organisé une rencontre à ciel ouvert (COVID oblige) en ce sens. Mais ce qui devait être une réunion pour que tout le monde puisse s’expliquer et échanger devient très vite un tribunal populaire où Radu Jude prend un malin plaisir à exposer un peu toutes les strates de la société roumaine qui ressemble quand même pas mal à la nôtre mais en moins policée (c’est dire). Là on ne parle pas de crêpage de chignon mais bien de règlements de compte à OK Bucarest. Cela commence d’ailleurs par la diffusion en intégralité de la sextape au cas où certains parents ne l’auraient pas encore maté (ben voyons bis) et puis ensuite c’est la curie avec notre héroïne bien seule en face tentant de se défendre. Encore une fois Radu Jude oppose la supposée obscénité de la sextape à celle d’une société qui dit tout haut là-bas ce que beaucoup d’entre nous ici ne font encore que penser tout bas. Mais jusqu’à quand ? De fait, si Bad Luck Banging or Loony Porn constate le pire de la Roumanie moderne, ne prophétise-t-il pas quelque chose en creux partout ailleurs ? Le pire c’est que cela ne fait même pas froid dans le dos tant cette réalité est déjà à nos portes. 3,5/5

Box office : 99 entrées sur l’unique copie parisienne à la séance 14h. Plutôt une sacré perf. Est-ce l’interdiction aux moins de 16 ans promettant des images croustillantes qui a fait se déplacer certains pervers en mal de sensations fortes ou tout simplement des fans du cinéma de Radu Jude ? On ne connait pas le nombre de copies France au moment où nous écrivons ces lignes. Edit 16/12 : 1 319 entrées sur 34 copies France lors du 1er jour d’exploitation.