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Fiche film : El (1953)

El est un film de la période mexicaine de Luis Buñuel, librement inspiré d’un roman autobiographique de Mercedes Pinto au titre éponyme publié en 1926.

« Peut-être est-ce le film où j’ai mis le plus de moi-même. Il y a quelque chose de moi dans le protagoniste. […] Je partage le sentiment qu’il éprouve lorsqu’il voit les gens tout en bas, comme des fourmis, et qu’il dit : “J’aimerais être Dieu, pour les écraser… » – Luis Buñuel, dans Conversation avec Luis Buñuel, Tomás Pérez Turrent et José de la Colina, Cahiers du cinéma

Restauré en 4K par « The Film Foundation World Cinema Project », « The Material World Foundation », La Cinémathèque de Bologne, OCS et Les Films du Camélia. Avec le soutien de Guillermo Del Toro.

El (Él – 1953)

Réalisateur(s) : Luis Buñuel
Avec : Arturo de Cordova, Delia Garces, Luis Beristain, Aurora Walker, Carlos Martinez Baena
Durée : 1h31
Distributeur :  Les Films du Camelia (Rep. 2022)
Sortie en salles : 2 juin 1954
Reprise le : 2 novembre 2022

Résumé : Francisco Galván De Montemayor, riche propriétaire foncier et catholique fervent, tombe sous le charme d’une fidèle, Gloria Milalta. Bien qu’elle soit déjà fiancée à Raul, un ingénieur, Francisco parvient à la séduire.Il ne lui faut guère plus de temps pour la convaincre de l’épouser. Mais très vite, il révèle sa jalousie maladive et s’enfonce dans la paranoïa…

Articles / Liens :

  • Notre avis : Henri-Georges Clouzot a forcément vu El quand il décide d’entreprendre L’Enfer au début des années 60, un film qui, rappelons-le, restera inachevé pour ne pas dire maudit dans la carrière du cinéaste du Salaire de la peur (1952). Les deux films racontent quasiment la même histoire et mettent en avant les mêmes ressorts dramatiques : un homme en proie à une jalousie maladive glisse peu à peu dans la paranoïa et la violence envers son épouse. Mais à la différence de Clouzot puis de Chabrol qui reprendra le flambeau en 1994, ce qui intéresse Buñuel n’est pas tant une représentation ad hominem de la jalousie qui ronge le mari, même si cette partie n’est pas escamotée chez Buñuel, mais bien des conséquences de celle-ci sur son épouse jouée ici par Delia Garcés. El donne ainsi autant la parole à la victime qu’au bourreau, preuve s’il en était encore besoin de l’extrême modernité du regard porté sur ses semblables par le cinéaste espagnol alors exilé au Mexique.
    El est donc un film porté par le regard de la femme. C’est par lui que nous découvrons cette histoire depuis la rencontre avec son futur mari dans une Église (chez Buñuel c’est l’endroit idéal pour tomber amoureux) alors qu’elle est déjà promise à un autre homme puis toujours par lui sa longue descente en enfer qui débute dès le premier jour de sa lune de miel. La caméra de Buñuel se fait alors clinique quand elle est braquée sur l’homme (l’acteur mexicain Arturo de Córdova) en ce sens qu’il semble tout bonnement fasciné par son sujet enregistrant ses moindres déviances jusqu’à ses crises de paranoïa aiguë qui font littéralement froid dans le dos. Comme cette scène tétanisante où muni d’un bâton il frappe d’une manière obsessionnelle et en pleine nuit la rampe d’escalier de son immense demeure. On est dans la pénombre, la caméra recule en un long travelling arrière jusqu’à ce cut qui nous envoie dans la chambre de son épouse où, s’attendant à tout moment à ce que son mari y déboule, se bouche frénétiquement les oreilles, allongée sur son lit, en hoquetant de sanglots.
    Si Buñuel se montre plus emphatique à son encontre, il n’en loupe toutefois pas une miette dans le but évident d’équilibrer le propos de son film ne désirant pas laisser à l’homme le devant de la scène et incidemment à l’acteur la propension à tirer la couverture à soi. Un procédé qui lui permet aussi de ne jamais distiller le doute. À la différence de Clouzot qui en se focalisant quasi uniquement sur ce qui pouvait bien se passer dans le cerveau de l’époux en arrivait par ricochet à lui donner une telle profondeur psychologique que le sentiment de pitié développé par le spectateur n’était jamais bien loin. Non la femme ici constate avec horreur et nous avec la transformation de son mari en Mister Hyde et son impossibilité de crier à l’aide (jusqu’à sa mère qui lui rappelle que ses devoirs d’épouse passent par l’acceptation d’une situation dont elle ne peut-être d’ailleurs que l’unique responsable). Le tout au sein de la haute société mexicaine où le moindre écart de conduite de la femme est sévèrement jugé et critiqué.
    Il n’empêche que c’est quand Buñuel s’attache à suivre la folie dévastatrice de l’époux que son film acquiert définitivement ses lettres de noblesse. Comme lors de cette séquence où tout en haut de l’Église (encore elle), l’homme fait comprendre à demi-mot à sa femme qu’il serait facile pour lui de mettre fin à leurs tourments. Les plans sont tels qu’ils rappellent alors furieusement quelques autres distillés dans Sueurs froides (1958) de sieur Alfred Hitchcock qui ne s’est de toute façon jamais caché d’apprécier le travail de Luis Buñuel. Jusqu’à cette fin qui sous ses apparences « hollywoodiennes » laisse sourde une tension à fleur de peau qui peut péter à tout moment. El est de fait un film à l’équilibre toujours précaire provoquant une tension permanente qui ne pouvait en effet que laisser admiratif Hitchcock et qui lui donne encore aujourd’hui une aura atemporelle sous le sceau d’une modernité exacerbée. 4/5
  • Box office : El est annoncé pour l’instant sur 5 copies dont une sur Paris au Christine Cinéma Club qui est aussi le cinéma où nous l’avons redécouvert en avant-première.
  • La chronique Blu-ray : On a posé la question d’une éventuelle future édition Blu-ray possiblement prise en charge par Les Films du Camélia déjà instigateur/distributeur de la ressortie du film en salles. Et pour l’instant rien n’est acté. C’est d’autant plus dommageable que El bénéficie dorénavant d’une restauration 4K effectuée depuis le négatif original. De quoi instantanément enterrer le DVD (qui s’enterrait tout seul ceci dit) édité en son temps par Films sans Frontières. On ne peut que croiser les doigts ou se dire que si un autre éditeur voulait s’en donner la peine, il pourrait se mettre en relation avec Les Films du Camélia pour prendre le relai. On dit ça…

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