Le Règne animal - Image une critique

Le Règne animal – La Planète des Hommes

La première réflexion qui nous vient à l’esprit au moment où le générique de fin remplit son office, c’est la réussite évidente des intentions revendiquées dès les premières images par Le Règne animal. On parle ici de la volonté affichée d’aller chercher dans le cinéma dit de genre un récipiendaire propre à faire évoluer celui dit d’auteur à la française bien trop souvent enfermé dans ses certitudes datées. Il y a en effet dans ce deuxième long de Thomas Cailley un joli mélange des genres (justement) où il use sans en abuser du mode fantastique pour raconter une histoire entre un père et son fils dans un monde en plein bouleversement sociétal et environnemental. On est (enfin) conquis et on va tenter de vous expliquer pourquoi.

Le Règne animal - Affiche

Bien souvent le film de genre, dans son acceptation la plus « pure », est un alibi censé mettre à nu un système de pensée, un système politique, un système tout court… pour en montrer ses contradictions, ses injustices et autres déviances. Une fois énoncée cela, et pour rester dans le trio fantastique / horreur / SF, nous vient forcément en tête Invasion Los Angeles (1988) de Sieur Carpenter où ses protagonistes pouvaient apercevoir l’envers du décor capitaliste une fois endossées un certain type de lunettes de soleil. On pourrait aussi citer Zombie (1978) de Romero qui avec sa horde de morts-vivants déferlants dans un centre commercial a très vite été compris comme une critique de la société de consommation dans laquelle s’était jetée à corps perdu l’Amérique. Le cinéma étasunien regorge de productions de ce type à la différence de la France qui n’a que très rarement su saisir les tenants et les aboutissements de cet exercice… éminemment politique. Notre approche de la chose fantastique est en effet bien plus frontale et/ou poétique/onirique. Ces films un tant soit peu iconoclastes (selon la définition de Scorsese) n’existent pas ou peu chez nous du fait d’un système de production qui ne croit pas en la chose et/ou d’auteurs ne maîtrisant pas cette double ou triple superposition. Mais aussi parce qu’en France la politique des auteurs a longtemps sanctuarisé le réalisateur et son final cut (une donnée cependant moins nette aujourd’hui) alors qu’aux States la censure induite venant d’une obligation de rentabilité, les films passent par les fourches caudines du Dieu dollar. Et pour cela, la première itération (inscrite dans le marbre hollywoodien) est qu’il faut que cela plaise au plus grand nombre.

Le Règne animal semble vouloir en fait s’inscrire consciemment ou non dans le prolongement de Grave de Julia Ducournau qui en 2017 avait su elle aussi associer cinéma de genre et préoccupations de société habituellement abordées dans le champ cinématographique français. Il vient de fait briser la litanie des ratés dans le domaine que sont Revenge (2017) de Coralie Fargeat, La Nuée (2020) de Just Philippot, Teddy (2020) des frères Boukherma ou encore Ogre (2021) d’Arnaud Malherbe. Des films qui oublient systématiquement de prendre de la distance avec leurs sujets histoire de leur permettre tout simplement d’exister quand Le Règne animal aborde le sien sans avoir la prétention de donner toutes les clés de compréhension mais sans jamais non plus s’appuyer sur cette facilité scénaristique pour laisser le spectateur se démerder.

Nous voici donc plongé dans une société où l’Homme semble frappé par un virus qui le transforme en animal sans que l’on sache très bien qui peut être infecté. On pense forcément au COVID. Mais cela s’arrête là puisque aucune mesure de confinement ou mise à distance entre humains ne semble avoir été décrétée. Quant à un éventuel vaccin, on n’en parle même pas. On est plus ici dans l’allégorie. Des hommes et femmes se transforment en animaux et la question qui se pose plutôt est comment les maintenir ou non dans la société des humains. La notion de différence et de normalité est de fait au centre des thématiques ici. Une fois exposé cela on apprend alors à mieux connaître François (Romain Duris) qui déménage dans le sud avec son fils Émile (Paul Kircher) afin de rester au plus près de sa femme qui a été regroupée avec d’autres « mutants » dans un centre médicalisé adapté et sécurisé. Le sous-texte de la problématique actuelle des migrants apparaît bien entendu clairement à ce stade.

On ne dévoilera rien de plus de l’intrigue mais on aura quand même compris que voilà un scénario à double et triple fonds admirablement tissé par Thomas Cailley et Pauline Munier (issue de la FEMIS et à l’origine de cette histoire) sans que pour autant il prenne le pas sur la mise en scène qui impose de toute façon son rythme et son point de vue dès la séquence spectaculaire introductive. Et le moins que l’on puisse dire c’est que Thomas Cailley est généreux, se fait plaisir, et nous avec. On parle bien entendu ici de la partie effets-spéciaux qui permettent au Règne animal de là aussi passer un cap densifiant encore plus le propos jusqu’à lui donner définitivement chair. Un peu comme si Cronenberg était venu passer une tête pour donner son avis d’expert en la matière. Mais toujours avec ce recul et même une certaine dose d’humour incarnée par le personnage de gendarme interprété par Adèle Exarchopoulos. Ce que Ducournau avait d’ailleurs perdu de vue avec Titane, son deuxième long palmé à Cannes.

On ne sait si Thomas Cailley va vouloir lui aussi creuser le sillon ou si Le Règne animal est un accident miraculeux. On a peut-être un début de réponse quand il parle de son premier long : Les Combattants « (…) commençait sur un ton réaliste et glissait progressivement vers le fantastique. Ce trajet n’était pas programmé, je l’ai découvert en faisant le film. Mais les possibilités du fantastique m’ont enthousiasmé. (…) Je tiens beaucoup à cette irruption du fantastique dans nos vies de tous les jours. Cette friction entre le réel et la fiction est une source précieuse d’empathie, de décalages, de dérèglements, de comédie. ». Ce qui est certain par contre c’est que Le Règne animal fera date dans sa propension à soulever des questions on ne peut plus clivantes (qu’est-ce que la normalité ?), actuelles (quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ?) et pour tout dire quasi insolubles (le vivre ensemble) tout en ayant compris comment les poser. Ou plutôt en maîtrisant tellement son sujet qu’il permet au débat d’être accessible au plus grand nombre. Sans aucun doute, la meilleure des définitions possibles de ce que doit être le cinéma de genre.

Le Règne animal (2023) de Thomas Cailley – 2h10 (StudioCanal) – 4 octobre 2023

Film présenté en ouverture de la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023.

Résumé : Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce mal mystérieux. ​ Alors que la région se peuple de créatures d’un nouveau genre, il embarque Emile, leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence.

Note : 3,5/5

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