Un homme est mort - Image une test BD

Un homme est mort en Blu-ray chez Gaumont

Quand Jacques Deray part s’installer en 1971 à Los Angeles ce n’est pas pour réaliser Un homme est mort. Enfin pas tout de suite. Il est en fait contacté par le producteur Jacques Bar avec qui il avait déjà travaillé pour Rififi à Tokyo afin d’adapter le livre de René Hardy, L’Aigle et le cheval. Un récit équestre devant se situer à San Diego. Comme déjà une évidence, Deray appelle Jean-Claude Carrière pour l’aider dans cette tâche et si celui-ci amène dans ses bagages une première version du scénario, tous deux vont travailler du côté de Beverly Hills sans jamais oublier d’arpenter de long en large la ville tels des touristes patentés. Jacques Deray n’est alors plus un inconnu tant en France qu’à l’international. À son actif il a La Piscine (1969) et surtout Borsalino (1970) qui a rencontré un vif succès aux States (co-prod Paramount – Delon) et, faut-il le rappeler, tous deux co-écrits avec Carrière. C’est donc tout naturellement que Jacques Bar qui a déjà produit des films aux États-Unis avec des castings ad hoc, soit revenu vers lui pour lui proposer cette aventure que Deray espérait prolonger au long cours. La suite ne lui donna pas forcément raison mais lui permit tout de même de réaliser l’un de ses meilleurs films qui encore aujourd’hui ne bénéficie pas de toute la reconnaissance qu’il mériterait.

Un homme est mort

Éditeur :Gaumont
Sortie le :18 octobre 2023  

Au cinéma le : 18 janvier 1973

Résumé : Après avoir perdu aux jeux, Lucien Bellon s’engage auprès d’Antoine, un truand, à tuer un homme à Los Angeles. Sur place, tout a été organisé pour qu’il puisse exécuter au mieux sa mission. Sous un nom d’emprunt, il obtient un rendez-vous avec sa victime, et l’abat. Mais sur le point de repartir, c’est lui qui devient à son tour la cible d’un mystérieux tueur, à qui il lui faut maintenant échapper.

Un homme est mort - Affiche

Très vite les trois frenchies se retrouvent pourtant dans une impasse. L’histoire est trop « française » pour intéresser des Studios hollywoodiens et autres boîtes de prod locales. Jean-Claude Carrière a alors le déclic de proposer un changement radical : abandonner le projet et se lancer dans une histoire originale. Un thriller qui mettrait en scène un français venu pour exécuter un contrat à Los Angeles très vite lâché par ses commanditaires qui veulent le liquider alors que dans le même temps il est activement recherché par la police. Dans ses mémoires (J’ai connu une belle époque aux Éditions Christian Pirot) Deray nous dit que c’est Carrière qui a l’idée du titre au bord de la piscine (sic !). Jacques Bar d’abord réticent se montre finalement enthousiaste et fait alors jouer son carnet d’adresses. C’est lui qui a l’idée de contacter Jean-Louis Trintignant (après avoir pensé à Lino Ventura) dont la renommée aux États-Unis ne cesse de croître depuis 1966 et Un homme et une femme de Claude Lelouch et plus récemment de Z (1969) de Costa Gavras. Deux films qui, rappelons-le, remportèrent l’Oscar du meilleur film étranger. Roy Scheider qui sort tout juste du tournage de French Connection (1971) accepte le rôle du tueur à gage censé liquider Trintignant. L’actrice Ann-Margret qui avait déjà joué dans un film produit par Jacques Bar – Les Tueurs de San Francisco (1965 – Once a Thief) de Ralph Nelson avec Alain Delon – endosse quant à elle celui de la seule personne qui va aider Trintignant dans sa cavale. Et puis au générique on trouve aussi l’immense Angie Dickinson qui avait définitivement marqué les esprits dans Rio Bravo (1959) d’Howard Hawks. Elle est l’épouse d’un des pontes de la Mafia de la côte ouest que doit liquider Trintignant.

Tout ce beau monde (et quelques autres) se retrouvent donc à arpenter des décors naturels pour le moins atypiques repérés par Deray (accompagné parfois de Carrière) lors de ses pérégrinations touristiques. Il s’agit là d’un Los Angeles cartographié à la marge qui permet au cinéaste de retrouver d’une part son genre de prédilection à savoir le polar mais aussi de confronter à nouveau son cinéma à une mégalopole étrangère. Celle-ci devient bien entendu chez Deray un des personnages principaux sinon le plus important. Et comme pour Rififi à Tokyo il accompagne cela d’un sentiment exacerbé de déracinement et de solitude dont le seul échappatoire possible est la mort. Aujourd’hui plus que jamais c’est cet aspect qui fascine dans Un homme est mort. Cette façon à la fois naïve, pour ne pas dire européenne, et lucide de capter ainsi l’atmosphère d’une ville qui a forcément bercée l’imaginaire d’un cinéaste biberonné aux films noirs de l’âge d’or hollywoodien. On est frappé par cette volonté de filmer l’inédit précédant quelque part l’identité visuelle du Nouvel Hollywood qui commence tout juste à envahir les écrans américains. On pense ainsi à la course poursuite entre Scheider (qui en profite pour se casser une jambe) et Trintignant dans une partie de Venice Beach à l’abandon à une époque où la « génération Woodstock » n’en avait pas encore fait totalement l’un des lieux de la contre-culture.

Voici d’ailleurs ce que dit Deray dans ses mémoires à propos de cette volonté de trouver des décors qui lui ressemblent ou plutôt qui ressembleront à l’identité visuelle de son film : « Convaincu que seul le tournage sur les lieux réels de l’action donne force et vérité à l’histoire, je me retrouve dans les mêmes conditions qu’à Tokyo, à la rencontre d’une ville démesurée, surprenante et hallucinante. J’abandonne vite les assistants chargés de me la faire découvrir. Chaque jour, je pars seul à la recherche de lieux de tournage. Je me perds bien souvent, mais trouve des endroits complètement inconnus des professionnels et des habitants d’Hollywood. Mes étonnements devant un décor, mes envies, mes découvertes guident le travail des auteurs. Tous les soirs, je leur fais part de mes découvertes. (…) Les yeux d’un français arrivant pour la première fois à Los Angeles, hors de toute mesure humaine, seront les miens. » Par « les auteurs » Deray entend bien entendu Jean-Claude Carrière mais aussi un certain Ian McLellan Hunter, scénariste d’origine britannique qui vient se greffer au projet pour apporter sa connaissance de la ville et corriger ainsi certaines approximations propres à un film écrit par des européens se déroulant à Los Angeles. Pour l’anecdote, Ian McLellan Hunter est présenté ainsi par Deray : « (…) scénariste connu pour avoir écrit Vacances romaines avant d’être porté sur la liste noire en 1947. Liste où était inscrits tous ceux qui, à Hollywood, étaient suspectés de communisme. Pour eux, la porte des Studios restait fermée. » Étonnant de constater qu’en 2003 (date de publication du livre de Jacques Deray), le cinéaste ne sache pas que Ian McLellan Hunter n’était que le prête-nom de Dalton Trumbo, véritable auteur du scénario du film de William Wyler, pour lequel il a reçu un Oscar. L’Académie avait d’ailleurs corrigé cette attribution au profit de Trumbo dès 1992.

Un homme est mort - Cap menu Blu-ray

Deray nous dit toujours dans son livre qu’Un homme est mort a été tourné en langue anglaise. Mais il omet de préciser que Jean-Louis Trintignant a tourné toutes ses scènes deux fois. En anglais et en français. Un carton donne d’ailleurs cette information au sein de cette édition au moment du choix de la langue. Ce qui donne deux montages où la version anglaise est 34s plus longue que la version française. Un choix qui s’apparente à une obligation de logique du récit. Dans l’absolu c’est bien entendu la version anglaise qui a notre préférence. Elle reflète une réalité intrinsèque. Un exemple. Trintignant s’introduit pendant quelques heures dans un appartement où vit une mère (Georgia Engel révélée l’année précédente dans Taking Off de Miloš Forman) élevant seule son jeune fils. Là il téléphone en France mais s’assure avant qu’elle ne comprenne pas le français. Pour ça il lui parle en français. Devant son incrédulité, il va passer son coup de fil rasséréné. Forcément cette scène disparait dans la version française tout en provoquant incidemment un manque de réalisme. Autre exemple quand le personnage joué par le génial Michel Constantin débarque vers la dernière partie du film pour rejoindre son ami Trintignant et l’aider à se sortir de ce merdier dont il est l’instigateur malheureux, les échanges se font en français puis en anglais quand il s’agit de dialoguer avec les autochtones. Une évidence frappée au coin du bon sens qui disparaît instantanément quand tout le monde baragouine avec l’accent titi parigot. Ces deux montages sont pour info proposés distinctement sur le Blu-ray.

C’est de plus aller à l’encontre de l’effet « fiction documentaire » recherché par Deray où la ville est comme on l’a dit une cannibale qui engloutit tout ce qui lui est étrangère et rebelle. Un sentiment qu’aura vécu jusqu’au-boutiste Jacques Deray. Lui qui au début de l’aventure d’Un homme est mort aurait en effet tant aimé prolonger l’aventure sur place, finit par rentrer en France : « Je quitte Los Angeles avec une vraie nostalgie. Mes agents de la William Morris me proposent de rester aux USA pour tourner la suite du film French Connection. Le producteur Hal Wallis me sollicite, lui aussi, pour un film de gangsters. J’hésite mais pas longtemps : je préfère rentrer en France. Sans doute la peur d’être seul à Hollywood et la peur d’être dévoré. Le besoin, aussi, de me retrouver dans le confort familier des studios de Boulogne. Mais je pense que la vraie raison reste la langue. En six mois, à Los Angeles je n’ai pas été capable de parler correctement l’anglais. C’est sans doute le seul mauvais souvenir que je garde de mon séjour aux USA. Une occasion manquée. Too bad. »

On touche finalement ici au cœur même d’Un homme est mort. Film sur le déracinement et la solitude certes mais aussi sur une greffe qui si elle prend ne peut conduire que dans une impasse où la vie ne vaut plus grand chose. On a là comme une relecture des codes du film noir. Pas encore ce que l’on a appelé le néo noir mais plutôt une transgression vivifiante qui revisite jusqu’aux lieux des crimes d’antan pour leur rendre un hommage à l’européenne.

Tout aussi vivifiante est la possibilité de (re)découvrir Un homme est mort via un master restauré 4K que l’on présume avoir été effectué depuis le négatif original (aucune précision dans un sens ou un autre n’est apporté par cette édition) tant l’image proposée est en tout point admirable. Par contre, Daphné Borenstein aujourd’hui en charge des restaurations chez Hiventy a posté un long fil de discussion sur X en octobre dernier à propos de son travail sur ce film. Faisant alors partie du staff chez VDM, elle a donc révélé ses nombreuses recherches concernant le format du film qui au final est en 1.66 en version française et en 1.85 en version anglaise. Ce qui nous semble logique si l’on se réfère aux habitudes de captation et de projections de ces deux pays à cette époque. On vous conseille d’aller le lire tant c’est passionnant et surtout donne de nombreux détails sur certaines coulisses du film avec entre autres une image de Roy Scheider en slip chaussettes en train de conduire absolument hilarante mais qui indique en filigrane les formats adoptés du film.

Pour ce qui est du résultat final on a droit du coup à une très belle définition, un grain plus qu’appréciable et une colorimétrie qui semble respecter la photo originelle qui cherchait à retranscrire l’oppression tentaculaire de la ville en accentuant les couleurs et les contrastes même de nuit et en cramant les blancs lors des scènes sous le cagnard (autant dire presque toutes les scènes de jour et d’extérieur). On a déjà sinon précisé que la version anglaise a pour des raisons évidentes notre préférence. D’autant que la VO s’intègre parfaitement aux ambiances alors que la VF est plus sourde avec une mise en avant bien trop poussée sur la voix de Trintignant. La bande originale aux influences très « blaxploitation » signée Michel Legrand que Deray retrouvait après La Piscine et Un peu de soleil dans l’eau froide (1971) bénéficie aussi en VO d’une meilleure dynamique et d’un meilleur équilibre dans la répartition voix – ambiances. On précisera que les deux versions sont encodées en DTS-HD MA 2.0 mono.

Un mot pour finir sur les deux suppléments. Le module avec Olivier Père revient sur les coulisses de cette prod tournée avec des capitaux exclusivement français aux États-Unis. Une première pour l’époque. Si Olivier Père reprend comme nous ce que Deray annotait dans ses mémoires, il ne se prive pas pour élargir son propos en citant d’autres films européens venus à l’époque filmer la mégalopole ne serait-ce que Chinatown (1974) de Roman Polanski ou encore Model Shop (1969) de Jacques Demy. Il ne se gêne pas non plus pour effectuer un focus sur la musique de Michel Legrand, déjà très bien identifié à Hollywood et sur le producteur Jacques Bar. Il s’agit d’un supplément très complet.

Un homme qui court revient quant à lui sur la carrière de Trintignant. Il fait intervenir Jean-Yves Katelan, journaliste et co-auteur du livre Jean-Louis Trintignant, dialogue entre amis, qui nous raconte un acteur déjà au sommet de sa carrière mais qui a subi la perte de son enfant alors âgé de quelques mois en 1969. On découvre un homme assez en phase avec les personnages qu’il joue à l’écran. Torturé et peu sûr de lui allant même jusqu’à se demander pourquoi il jouait si bien les salauds (sic !). Un Trintignant qui retrouvera d’ailleurs Deray en 1975 pour Flic Story qui l’opposera à Delon.

Enfin, la bande annonce restaurée clôt cette interactivité. Elle permet de voir tout le chemin parcouru en termes de restauration avec celle d’époque quand le film a été (peu de fois) diffusé à la télé. Voilà. Et si avec tout ça, on ne vous a pas donné envie de (re)voir Un homme est mort et bien allez-vous faire foutre.

Spécifications techniques Blu-ray :

  • Image : 1.85:1 encodée en AVC 1080/24p pour la version anglaise / 1.66:1 encodée en AVC 1080/24p pour la version française
  • Langue(s) : Français DTS HD-MA 2.0 mono et Audiodescription (montage VF) / Anglais DTS HD-MA 2.0 mono (montage version US)
  • Sous-titre(s) : Français pour sourds et malentendants (montage VF) / Français (montage version US)
  • Durée : 1h51min 21s (montage version anglaise) / 1h50min 47s (montage version anglaise)
  • 1 BD-50

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Bonus :

  • Un homme et son double avec les interventions de Olivier Père, directeur général d’ARTE France cinéma (2023 – 36min 45s – HD)
  • Un homme qui court avec Jean-Yves Katelan, journaliste et co-auteur avec le réalisateur Serge Korber de Jean-Louis Trintignant, dialogue entre amis (2023 – 17min 26s – HD)
  • Bande annonce restaurée (3min 14s – HD)

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *