Dune : Deuxième partie - Image une critique

Dune : Deuxième Partie – Le côté obscur de la Force

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’avec Dune : Deuxième partie (on n’y peut rien c’est la dénomination officielle), Denis Villeneuve lâche quelque peu les chevaux. Les connaisseurs ne seront pas surpris étant entendu que le cinéaste canadien ne fait que suivre à la lettre et depuis le début les aventures du futur Kwisatz Haderach par Franck Herbert. Mais pour les autres qui ont de surcroît eut du mal avec la première partie, ce sera une délicieuse surprise dont nous allons essayer de comprendre en filigranes les implications futures.

Dune : Deuxième partie (2024) de Denis Villeneuve - Affiche

Débutons donc par ce qui nous a littéralement enthousiasmé. À savoir cette facture visuelle dont personne ou presque ne peut nier la réussite, l’ampleur et le tour de force sémantique. En ce sens que Denis Villeneuve renoue ici avec la tradition du Blockbuster que certains ont pu qualifier d’auteur et dont on peut remonter la filiation à La Porte du paradis (1980) avec les conséquences funestes sur toute l’industrie hollywoodienne et les réalisateurs en quête de liberté de création qui en ont découlé. Si Villeneuve n’est pas ce cinéaste démiurge et jusqu’au-boutiste que fut Michael Cimino, il n’empêche qu’à l’instar d’un Christopher Nolan, il semble se donner à chaque nouveau film les moyens de ses ambitions avec des budgets sans cesse à la hausse sans que pour autant ses exigences « d’auteur » mettent en péril tout l’écosystème. Et tant que c’est rentable, on continue. Le b.a.-ba me direz-vous et une règle du jeu qui depuis longtemps n’épargne personne à l’instar d’un Damien Chazelle qui depuis le crash au box-office de Babylon doit pour l’instant se résoudre à envisager des projets moins onéreux. D’autres diront moins ambitieux. Chez Villeneuve, la progression ou plutôt l’ascension semble sans heurt et ce n’est donc pas avec ce Dune : Deuxième partie que sa carrière va s’ensabler (oui on sait elle est facile). Chiffres du box-office mondial à l’appui.

À cela plusieurs raisons que Nolan a lui aussi compris ou plutôt qu’ils ont anticipé. En effet comment attirer le public post-Covid au cinéma sinon en utilisant les mêmes recettes éprouvées par Hollywood dans les années 50 quand il fallait arracher le quidam de sa télé nouvellement installée dans les foyers. Du grand spectacle avec l’introduction du format Scope, de la couleur (le N&B rappelant dorénavant l’écran de télé) et des histoires épiques. Une trinité totalement respectée par Dune : Deuxième partie. Le grand spectacle s’apprécie désormais en IMAX, 4DX, Dolby Vision… le cul vissé sur des fauteuils inclinables bien plus conforts que son canapé. Les projections se font de surcroît selon des procédés toujours plus hightech pour des images encore plus ciselées et précises à même de baffer les expériences domestiques les plus abouties. Enfin, les histoires comme celle de Dune qui ont été maintes fois travaillées et qui au final rassurent les Studios puisque, rappelons-le, George Lucas l’avait déjà quelque peu étrennée pour son Star Wars épisode IV : Un nouvel espoir (1977). Elles ne peuvent que drainer les foules à partir du moment où toute la campagne de communication générée autour appuie sur les bons mots clés comme « Passage à l’âge adulte » qui dans Star Wars devenait « Apprentissage de la Force », « Romance contrariée » qui dans Star Wars devenait « La Princesse est ma sœur », « Hérédité » qui dans Star Wars devenait « Je suis ton père ».

Bien entendu rien n’est jamais acquis en matière de succès au cinéma mais il aurait été quand même tragique qu’une telle débauche à l’écran ne soit pas vue dans les conditions optimales précitées d’autant que Villeneuve poursuit invariablement ici certaines de ses obsessions. De celles qui parcouraient déjà Incendies en 2010, film qui avait révélé le cinéaste à l’international. Film qui racontait déjà une recherche d’identité en forme de voyage initiatique. Quasiment tous ses films investissent peu ou prou ce chemin jusqu’à Prisoners (2013), son meilleur film à date, qui envisageait là aussi le passage vers un autre « moi » en usant du pire des apprentissages (la recherche d’un enfant kidnappé). Ce que le personnage de Paul joué par Thimothée Chalamet vit quelque part aussi. En tant qu’héritier d’une famille décimée par ses ennemis mais dont l’apprentissage et la formation avaient préparé à cette éventualité, il doit cependant lui aussi s’adapter rapidement à une réalité bien plus retorse, organique et tragique. Un arc narratif qui constitue le fil rouge pour ne pas dire l’épice (oui on sait celle-ci aussi est facile) d’un film qui a pour lui de tenir invariablement son cap. Celui de l’avènement (programmé) d’un leader doublé d’un Messie dans le seul but de renverser ceux qui l’ont cru mort avec tous les siens et de reprendre les rênes d’une planète qu’on leur avait spolié.

Pour cela il va s’appuyer sur le peuple des sables dit « Fremen » qui progressivement voit en lui le Messie évoqué déjà plus haut et celui qui leur permettra de se débarrasser de colons que seule l’exploitation outrancière de « l’épice » intéresse. À ce stade il faut faire une petite pause et revenir sur le livre Dune. Quand le premier tome est publié au mitan des années 60, l’américain Franck Herbert y pose déjà tout ce qui fera le succès quasi mystique d’une saga en devenir de 6 volumes. Parmi les thèmes les plus saillants sont le pouvoir et la religion (l’un n’allant pas sans l’autre selon Herbert), la faculté d’adaptation de l’homme aux environnements les plus extrêmes et les dangers qu’engendrent un leadership à tendance charismatique envers les êtres à l’esprit plus malléable sans oublier les prémices d’une conscience envers l’écologie. Villeneuve retranscrit tout cela à la virgule près mais forcément, l’écho du livre à l’époque ne peut pas être celui du film aujourd’hui. À la fin des années 60, le monde occidental se sort tout juste des guerres de décolonisation et Dune est une façon de rendre compte de cette période historique du 20è siècle. À ce titre on peut même dire que le Kwisatz Haderach rappelle quelque peu l’épopée d’un certain Thomas Edward Lawrence dit Lawrence d’Arabie que tout le monde a en tête grâce au film de David Lean. Un anglais qui va soulever et unifier les peuplades arabes contre l’Empire Ottoman entre 1916 et 1918 avec les conséquences que l’on sait (trahison de l’Empire britannique etc…). Une autre source d’inspiration peut aussi être L’Homme qui voulut être roi, la nouvelle de Rudyard Kipling parue à la fin du 19è siècle (devenu un film de John Huston) qui raconte comment un aventurier anglais se persuade d’être devenu un demi dieu dans un coin reculé de l’Afghanistan jusqu’à ce que les autochtones découvrent la supercherie.

Le Dune : Deuxième partie de sieur Villeneuve ne peut à l’évidence se prévaloir des mêmes références. Mais celles auxquelles il fait appel sont toutes autant fortes et pleines de sens. Ainsi, si les hommes sont toujours autant manipulables, les temps ont tout de même changé et montrer des individus prêts à combattre au nom d’une croyance religieuse ne peut que rappeler une actualité pas forcément folichonne. Les génuflexions de Javier Bardem en plein désert, sa conviction en la venue d’un Messie ne peuvent que nous titiller nerveusement. La tactique de guérilla employée pour faire plier le pouvoir en place ne peut que faire échos à tous les conflits passés et présents menés aux quatre coins de l’Afrique, de l’Asie et du Moyen-Orient. Sans parler du terrorisme qui touche le monde entier à commencer par les pays autrefois colonisateurs. Sa démonstration est assez convaincante sans pour autant tomber dans la complaisance. On en veut pour preuve la toute fin du film vis-à-vis du personnage interprété par Thimothée Chalamet qui se prend à l’évidence au jeu qu’il avait jusqu’ici refusé d’assumer basculant de facto du côté obscur de la Force.

Pour autant, on souhaite bien du plaisir à Villeneuve et à ses futurs co-scénaristes pour adapter le troisième livre considéré comme le plus abscons et surtout le moins clair quant au jugement porté sur son personnage principal. D’ici là il faut profiter de ce deuxième opus qui propose des trajectoires comme les aiment Hollywood (pas trop sinueux et déjà éprouvés dans d’autres films ayant conquis le public). C’est d’ailleurs certainement la seule réserve (et même si elle est de taille) que l’on pourra adresser à Dune : Deuxième partie. Son côté peu surprenant, attendu pour ne pas dire usé jusqu’à la garde concernant les ambitions du récit. Mais la pilule passe avec une délectation qui force le respect devant, encore une fois, la magnitude incroyable du spectacle visuel proposé. De celui qui ne peut s’apprécier sur son écran de smartphone aussi imposant soit-il. Et en cela Denis Villeneuve et Warner, tout comme Nolan et Universal (qui était auparavant chez Warner avant d’en partir au moment où rappelons-le le Studio ne jurait plus que par le streaming au temps de Tenet et du Covid) ont au moins trouvé leur boussole pour les deux ou trois prochaines années. Et ce même si avec Barbie et deux ou trois autres succès en 2023, cela cache à peine la forêt menaçante des plateformes. On va dire que c’est déjà ça.

Dune : Deuxième partie (Dune: Part Two – 2023) de Denis Villeneuve – 2h46 (Warner Bros. France) – 28 février 2024

Résumé : Dans Dune : Deuxième partie Paul Atreides s’unit à Chani et aux Fremen pour mener la révolte contre ceux qui ont anéanti sa famille. Hanté par de sombres prémonitions, il se trouve confronté au plus grand des dilemmes : choisir entre l’amour de sa vie et le destin de l’univers.

Note : 3/5

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